L’institutionnalisation du reporting extra-financier. Le cas de la Global Reporting Initiativ
Les enjeux de la standardisation du reporting extra financier étant posés, ce chapitre étudie le processus d’institutionnalisation de la Global Reporting Initiative. A partir d’une discussion des cadres néo institutionnalistes en sociologie, nous élaborons un cadre d’analyse croisant trois dimensions (connaissances, relations, instruments) afin d’étudier la genèse, la conception et la diffusion des standards de la GRI. L’étude du processus d’institutionnalisation de la GRI permet de mettre en lumière l’existence de deux étapes du pilotage du processus (phase entrepreneuriale / phase managériale), et suggère une variété de trajectoires possibles d’institutionnalisation. Nous concluons sur la portée du modèle de pilotage du développement durable en tant que contrôle externe. pilotage du développement comme contrôle externe de l’entreprise. Comme nous l’avons souligné, ce modèle de pilotage repose sur un projet d’ajustement des entreprises aux demandes de leur environnement social. Après avoir rendu compte des incertitudes concernant les modalités d’opérationnalisation de ce modèle de pilotage, nous avons souligné les enjeux posés par l’élaboration d’un dispositif composé de plusieurs marchés. Nous avons montré qu’un tel dispositif implique l’élaboration, la canalisation et la stabilisation des pratiques de reporting extra financier. La capacité à standardiser et à professionnaliser le reporting apparaît ainsi comme un enjeu clé pour comprendre la portée du modèle de pilotage du développement durable comme contrôle externe.
Dans ce chapitre, nous proposons d’avancer dans cette perspective en étudiant le processus de standardisation initié par la Global Reporting Initiative (GRI), principale initiative en la matière. Ce chapitre est construit autour de cinq parties. La première partie est consacrée à une discussion des théories néo-institutionnelles en sociologie et propose un cadre d’analyse permettant de rendre compte du rôle des outils et des dynamiques de savoir dans les processus d’institutionnalisation (I.). Dans un deuxième temps, nous analysons la diffusion de pratiques en matière de reporting environnemental et social. Nous cherchons à caractériser ces pratiques en tant que champ institutionnel et à mettre en évidence les enjeux associés à leur institutionnalisation (II.). Nous présentons ensuite le design de recherche et la méthodologie retenue pour l’étude de la GRI (III.). Nous présentons alors nos résultats concernant l’histoire de la GRI et son institutionnalisation (IV.). La dernière partie est consacrée à une discussion / analyse de ces résultats, à la fois d’un point de vue théorique (nous revenons sur les théories néo institutionnelles) et au niveau de la portée du modèle de pilotage du développement durable en tant que contrôle externe (V.).
Etudier les processus d’institutionnalisation : discussion des cadres d’analyse néo institutionnalistes
Ces dernières années ont été marquées, dans le champ de la stratégie, par la multiplication des cadres d’analyse, visant à compléter une posture rationaliste, majoritairement dérivée des cadres de l’économie industrielle (Porter, 1995), qui ont exercé une influence structurante sur le champ de la stratégie. Dans ce contexte de réouverture se développent des approches plus processuelles de la stratégie et des phénomènes gestionnaires, plus proche des acteurs et empruntant souvent aux cadres d’analyse sociologiques ou de l’économie évolutionniste (Laroche et Nioche, 1998). Il s’agit de montrer comment les stratégies sont structurées par les cadres cognitifs individuels et collectifs (Laroche, 2001), ou comment les rationalités d’acteurs sont le produit de processus historiques et d’interactions –cf. le concept de rationalité interactive de Jean-Pierre Ponssard- (Ponssard, 1994). En s’efforçant de mieux appréhender l’activité, il s’agit de mettre à jour les processus concrets de prise de décision ou de fabrique de la stratégie (Golsorkhi, 2005). Ce processus de réouverture s’est aussi traduit par un autre mouvement, prenant de la distance par rapport à une analyse centrée sur l’entreprise ou son noyau stratégique afin de théoriser des dynamiques collectives plus larges. Etudiant un secteur d’activité plus qu’un acteur, il s’agit alors de s’interroger sur l’élaboration des cadres de l’action (régulation, normes, standards, croyances collectives, etc.), et de comprendre la manière dont ces règles du jeu influencent et structurent les stratégies d’acteurs. Ce deuxième niveau s’est notamment traduit par un renforcement de la dimension « institutionnelle » dans le champ du management stratégique (Gomez et Jones, 2000; Laufer, 2001; Desreumaux, 2004; Gomez, 2004; Huault, 2004). Ce questionnement s’est traduit par la structuration, dans le champ des théories des organisations, d’un vaste corpus néo-institutionnaliste (DiMaggio et Powell, 1991). Ce courant, développé aux Etats-Unis114 et d’inspiration sociologique, a été fortement influencé par les travaux de Weber sur la bureaucratie (Weber, 1922 – 1995) et de Selznick sur le processus d’institutionnalisation d’une organisation (Selznick, 1949, 1957, 1996).