L’évaluation socio-économique des projets d’investissements publics réalisée par les porteurs de projets dispose pour sa part d’importantes marges de progrès
L’article 17 de la LPFP pour 2012-2017 a créé une obligation générale d’évaluation socio- économique des projets d’investissements publics, sur le périmètre précisé par le décret n° 2013-1211 (voir supra concernant ses difficultés de délimitation). La mission constate toutefois que l’utilité de cette obligation est liée : Les maîtres d’ouvrage du secteur des transports sont, de longue date, habitués aux évaluations socio-économiques qui font l’objet d’un encadrement normatif et méthodologique précis depuis les années 1980 (cf. encadré 2), en appui sur des travaux scientifiques de haut niveau, régulièrement actualisés (rapports Boiteux I et II en 1994 et 2001, rapport Lebègue en 2005, rapport Quinet en 2013…)48. L’article 14 de la loi du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs (LOTI) dispose que « les choix relatifs aux infrastructures, équipements et matériels de transport et donnant lieu à financement public, en totalité ou partiellement, sont fondés sur l’efficacité économique et sociale de l’opération. Ils tiennent compte des besoins des usagers, des impératifs de sécurité, des objectifs du plan de la Nation et de la politique d’aménagement du territoire, des nécessités de la défense, de l’évolution prévisible des flux de transport nationaux et internationaux, du coût financier et, plus généralement, des coûts économiques réels et des coûts sociaux. » En revanche, les autres secteurs sont nettement plus démunis : faute d’obligation antérieure à l’article 17 de la LPFP pour 2012-2017 et de travaux scientifiques permettant de monétariser les externalités de leurs projets (valeur d’une année d’instruction universitaire, externalités d’un nouvel hôpital sur l’offre de soins du territoire ou d’un nouveau centre pénitentiaire, effets d’une offre culturelle accrue, etc.), ils ne disposent pas encore, à la date de la mission, de méthode robuste d’évaluation socio-économique.
le projet du canal Seine Nord a confié à un bureau d’études des travaux sur la valorisation des « wider economic benefits » (WEB), sous la houlette d’un « comité économique » présidé par le professeur Émile Quinet depuis 2004. Dans le calcul de la VAN-SE pour l’Europe du projet Seine-Escaut 2020, ces WEB représentent 1,5 Md€ sur 6,6 Mds€53 ; pour l’évaluation du projet « Grand Paris Express » porté par la société du Grand Paris (SGP), un comité scientifique présidé par le professeur Jacques-François Thisse et composé d’économistes de haut niveau a été créé en 2012, et pilote des travaux confiés à des laboratoires de recherche, notamment sur les effets d’agglomération. Sur la ligne 18 du Grand Paris Express, la VAN-SE est estimée à 330 M€ seulement, malgré 1,4 Md€ liés à ces seuls effets d’agglomération54. La valorisation des effets d’agglomération a un effet direct sur l’aménagement du territoire et une approche homogène de ces effets dans l’évaluation socio-économique des projets d’investissements apparaît indispensable. À la demande de la mission, France Stratégie a donc proposé de lancer un groupe de travail sur le sujet (voir note de France Stratégie jointe au rapport). Au Royaume-Uni, l’ensemble des interventions publiques peuvent et doivent être en principe évaluée conformément aux principes établis par le Green Book (cf. encadré 3), qui est complété par des focus méthodologiques spécifiques (évaluation des effets environnementaux, effets de concurrence, analyse des risques, biais d’optimisme, analyse multicritères, etc.) et des guides d’application sectoriels (par exemple dans le secteur de la santé ou pour les partenariats locaux).
Le Green Book, dont les premières versions datent des années 1960 et la dernière version de 2003, présente les principes directeurs retenus par le ministère des finances britannique (HM Treasury). Il promeut la cohérence et la rationalité des interventions publiques, de leur conception à leur mise en œuvre, dans une logique cyclique en six étapes : Appraisal (évaluation ex ante) : la phase suivante, qui correspond à l’évaluation préalable en France, « doit offrir une appréciation de l’utilité de la proposition et indiquer clairement des conclusions et recommandations ». Elle implique d’abord la « préparation de la liste des options qui pourraient être envisagées pour atteindre les objectifs, y compris une option a minima, qui permette de juger l’opportunité des actions plus interventionnistes ». Elle doit ensuite analyser les coûts et bénéfices des options (ACB), c’est-à-dire « quantifier en termes monétaires le plus de coûts et bénéfices possibles du projet, y compris les éléments pour lesquels le marché n’offre pas de mesure satisfaisante de leur valeur économique ». Le Green Book détaille de manière synthétique les différentes techniques d’évaluation à mettre en œuvre dans cette ACB (évaluation des externalités, taux d’actualisation, valeurs tutélaires, analyse des risques, ajustement du biais d’optimisme, etc.). Une évaluation peut, selon son objet, être à l’origine d’une multitude de livrables, comme l’analyse de rentabilité pour un projet d’investissement (business case), une étude d’impact pour une nouvelle norme (regulatory impact assessment), des études des effets sur l’environnement, sur la santé, etc.