Du caoutchouc naturel au caoutchouc synthétique
Le caoutchouc provient du latex issu de différentes plantes, dont l’hévéa. Le terme caoutchouc signifie en Quetchuan bois (« cao ») qui pleure (« tchu »). A partir du 15e siècle, alors que les Européens partent à la découverte du « nouveau monde », ils observent l’utilisation locale de ce matériau dans des produits tels que les balles, les bottes, les toiles … De retour de son voyage en Amérique du sud, en 1745, Charles Marie de la Condamine, avec François Fresneau, communiquent leur travaux concernant le caoutchouc à l’Académie des Sciences de Paris. En 1770 apparaissent les premières gommes à effacer en Grande-Bretagne. En 1819, Thomas Hancok découvre le procédé de « mastication », permettant ainsi la mise en forme ultérieure du matériau. C’est en 1839 que Charles Goodyear constate qu’en chauffant un mélange de caoutchouc et de soufre, les qualités élastiques du matériau sont améliorées et définitivement stabilisées : c’est la vulcanisation. L’industrie du caoutchouc commence son essor, mais le coût de la matière première reste élevé car seul le Brésil est producteur. Ainsi, Wickham, planteur britannique installé au Brésil en 1876, recueille 70000 graines d’hévéa pour les mettre à germer en Angleterre puis les planter dans les colonies d’Asie du sudest. Seuls 3000 plants sont expédiés à Ceylan. Ils sont à l’origine d’une grande partie des plantations de caoutchouc dans le monde. En 1888, Dunlop réinvente le pneumatique utilisé pour les vélos en collant à la roue en bois des bandes de caoutchoucs. Cette technologie est également transposée pour les automobiles à partir de 1895. En 1909, le chimiste allemand Friedrich Hofmann dépose le premier brevet pour un véritable caoutchouc synthétique. Il faut attendre la première guerre mondiale et les effets du blocus pour initier une production industrielle de caoutchouc synthétique, qui prend de l’ampleur au fil des années, jusqu’à atteindre le niveau de celle du caoutchouc naturel dans les années 60. La crise pétrôlière de 1973 provoque une remise en question de la prépondérance des caoutchoucs issus de l’industrie du pétrôle. Après des décennies, le ratio entre caoutchoucs synthétiques et caoutchouc naturel est de nos jours à 60/40.
Généralités sur les élastomères
Les élastomères synthétiques sont constitués de longues chaînes macromoléculaires, issus de la polymérisation de motifs monomères, conférant au matériau ses propriétés physico-chimiques. A l’état cru, les chaînes macromoléculaires, configurées sous forme de pelote statistique aléatoire (fig 1.2), ne sont reliées entre elles que par des liaisons faibles, qui conduisent à un glissement inter-chaînes pour de faibles contraintes. La vulcanisation crée des liaisons fortes, menant à la création d’un réseau tridimensionnel. Historiquement, la vulcanisation implique la réticulation au soufre. Actuellement, il existe une diversité de vulcanisation, suivant le type de laisons crées entre chaînes, dont les principales sont : – La vulcanisation au soufre, en créant des ponts −C −Sn−C− (fig. 1.3) par l’incorporation de soufre. Cette technique permet l’obtention de bonnes caractéristiques mécaniques, au détriment d’une tenue à la température plus délicate à obtenir. – La vulcanisation au peroxyde, en créant des ponts −C − C− par réactions radicalaires générées par les peroxydes. Cette vulcanisation apporte des bonnes tenues en température, mais des propriétés mécaniques légèrement plus faibles que celles de la vulcanisation au soufre. – La vulcanisation aux oxydes métalliques, spécifique aux élastomères hallogénés (CR, BIIR, CIIR …). Les éléments fondamentaux structurant les propriétés d’un caoutchouc sont les types de polymère et de vulcanisation. Cependant, les propriétés obtenues par ce biais peuvent être améliorées par l’usage d’éléments secondaires tels que les charges, les plastifiants, les accélérateurs … Les charges sont utilisés pour rigidifier le matériau (fig. 1.4). Les deux charges renforçantes les plus utilisées dans l’industrie du caoutchouc sont la silice et le noir de carbone. La première provient principalement de la neutralisation de silicate de sodium par un acide (Boudimbou, 2011) tandis que le second résulte de la combustion incomplète d’hydrocarbures dans un four (Gauchet, 2007). Les ingrédients présents dans la formulation du matériau sont introduits dans un mélangeur interne. Ce dispositif est constitué de deux rotors placés dans une chambre fermée et thermorégulée. Ceux-ci, positionnés en vis-à-vis, tournent en sens contraire. Cette étape permet de faciliter la mise en oeuvre du matériau brut (en coupant les chaînes macromoléculaires) et l’incorporation des ingrédients. Le produit résultant est ensuite mis en feuille avec un mélangeur à cylindres, puis vulcanisé suivant deux techniques de moulage pour produire les éprouvettes nécessaires à cette étude : – Le moulage par compression permet l’obtention de plaques rectangulaires de 2mm d’épaisseur. Une ébauche est placée dans un moule, dont les parois sont chauffées à la température de vulcanisation du matériau (170oC). Enfin, le moule est mis sous pression durant la vulcanisation (17 minutes). Ces plaques sont utilisées pour y découper des éprouvettes H2 et de double cisaillement (cf. paragraphe 1.4.3). – Le moulage par injection est appliqué à la production des éprouvettes de type diabolo, de structure axisymétrique (fig. 1.5). Le matériau est injecté dans un moule à huit empreintes, puis vulcanisé sous pression à la même température que le moulage des plaques (4 minutes)
Comportement mécanique des élastomères
Dans cette partie, nous allons voir en quoi le comportement mécanique des élastomères est complexe, et développer leurs différentes spécificités.
Hyperélasticité
Les élastomères, dans leur état caoutchoutique, peuvent supporter de grandes déformations, et ce, de manière quasi-réversible. Treloar (1944) caractérise le comportement statique d’un caoutchouc naturel chargé pour différentes sollicitations : traction uniaxiale (UT), traction equibiaxiale (ET) et cisaillement pur (PS) (fig. 1.6). Il met en évidence une déformation du matériau pouvant atteindre 800% en traction simple, ce qui dépasse nettement le cadre des petites déformations. Outre le comportement hyperélastique exhibé par les élastomères, ils présentent un comportement qui dépend fortement des conditions de chargement qui leur sont imposées. La partie suivante expose les différents phénomènes liés à la réponse cyclique, puis dynamique des élastomères.
Effet Mullins
Lorsqu’un élastomère est sollicité cycliquement, un adoucissement est observé dans les premiers cycles, communément appelé effet Mullins. Ce phénomène a été mis en évidence par Mullins (1948) pour des caoutchoucs naturels chargés au noir de carbone, puis pure gomme (Harwood et al., 1966) ainsi que pour d’autres élastomères (SBR (Harwood et al., 1965), NBR (Kakavas, 1996), EPDM (Flamm et al., 2008)). Plusieurs interprétations se sont succédées pour expliquer ce phénomène : désagrégation de la structure secondaire de charge (Mullins et Tobin, 1965), destruction et reconstruction des liaisons entre les charges et la matrice (Bueche, 1960), glissement des chaînes macromoléculaires au niveau des surfaces de charge (Houwink, 1956). Une schématisation de ces interprétations est proposé par Diani et al. (2009) (fig. 1.7). Besdo et Ihlemann (2003) développent un modèle cohérent de l’effet Mullins par la prise en compte de liaisons faibles (Van der Waals) et de laisons fortes (réticulation) entre chaînes macromoléculaires dans le comportement du matériau, mettant ainsi en évidence le rôle des interactions entre chaînes macromoléculaires dans l’effet Mullins. Dorfmann et Ogden (2004) montrent que l’effet Mullins est d’autant plus marqué que le taux de noir de carbone dans le caoutchouc est important. L’effet Mullins est un phénomène qui a été étudié pendant plusieurs décennies, mais son interprétation physique reste délicate. Il peut être décrit par différents réarrangements structurels au sein du matériau, liés à la configuration des chaînes macromoléculaires et des structures de charge.