La création d’Israël et la guerre des 6 jours
La résolution 242 (1967) est une résolution du Conseil de sécurité ayant pour but de mettre fin aux hostilités entre Israël et les états arabes voisins à la suite de la guerre des 6 jours (5-10 juin 1967). L’interprétation de cette résolution a donné lieu à de nombreux débats et exégèses par les juristes sur le sens sémantique326 de son texte. Il ne faut certes pas surévaluer son importance dans un conflit qui existe depuis soixante-dix ans, mais il est clair que cette résolution est l’exemple parfait d’un texte qui, parce qu’il s’est trouvé au cœur des tentatives diplomatiques de résolution d’un conflit aussi long, s’est vu ausculté et interprété de façon intensive voire abusive. L’intérêt d’une méthode d’analyse de corpus nous semble donc évident puisque le débat entre juristes n’a jamais trouvé de conclusion définitive dans un sens ou dans un autre quant à la détermination du sens sémantique de la résolution. Pour comprendre les enjeux de la résolution 242 (1967), il convient de brièvement la remettre dans son contexte politico-historique. À la fin de la Première guerre mondiale, le sort des colonies allemandes (en Afrique) et ottomanes (au Moyen Orient) se pose. Les États-Unis s’opposant à ce que ces territoires ne fassent que changer de puissance coloniale327, le statut de mandat international est alors créé par la Société des Nations, statut intermédiaire entre la colonie et l’indépendance. Ces territoires étaient administrés par une puissance mandataire, et étaient promis à l’indépendance à plus ou moins long terme selon le niveau de développement des populations. Le dernier mandat – transformé et rebaptisé en tutelle avec la création de l’ONU – s’est terminé avec l’indépendance de Palau en 1994. C’est donc à la France et à la Grande-Bretagne que sont confiés les mandats sur le Moyen Orient selon une division décidée à l’avance par ces deux pays par l’accord secret Sykes-Picot de 1916. Les États du Proche-Orient accèderont effectivement à l’indépendance, la plupart juste après la deuxième guerre mondiale : le Liban et la Syrie en 1945, la Jordanie en 1946. Restait donc le sort de la Palestine mandataire. Suite à la déclaration Balfour de 1917, la Grande-Bretagne avait permis une intense immigration juive en Palestine pour la création d’un foyer national juif, ce qui provoqua une montée des tensions intercommunautaires sur ce territoire anciennement colonie ottomane, qui se traduit d’abord par des révoltes arabes (1936-1939), puis juives (1944-1947). En 1947, la Grande-Bretagne annonça unilatéralement son retrait de ce territoire, et donc la fin de son mandat, faute d’avoir pu trouver une solution à ces conflits intercommunautaires en Palestine. Il revenait donc à l’ONU de décider quoi faire de ce territoire sans État. En 1947, l’Assemblée générale adopta, dans sa résolution A/RES/181(II), le plan de partition de la Palestine mandataire (cf. Figure 37) 328 Celle-ci devait être divisée en huit parties discontinues territorialement : trois juives, trois arabes, plus une enclave arabe à Jaffa, et Jérusalem sous tutelle internationale, le tout réuni dans une union économique. La partie juive devint l’État d’Israël en 1948, la partie arabe n’a toujours pas accédé au statut d’État reconnu universellement, même si la Palestine est reconnue depuis 2012 comme État non-membre observateur à l’ONU329. La population arabe palestinienne est reconnue par l’ONU depuis 1974 comme étant représentée par l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine).L’adoption de ce plan de partition fit dégénérer les conflits entre les populations en une véritable guerre civile avec déplacements de populations. La Grande-Bretagne retira malgré tout ses troupes pour s’extraire de ce conflit, et Israël déclara alors son indépendance le 14 mai 1948. Le lendemain, les États arabes voisins intervenaient militairement. La guerre civile se transforme alors en guerre interétatique : la guerre Israélo-Arabe de 1948-1949, qui se termina par des accords d’armistices séparés entre Israël d’une part, et l’Égypte, le Liban, la Jordanie et la Syrie d’autre part, respectivement les 24 février, 23 mars, 3 avril et 20 juillet 1949. Ces accords consacrent une ligne d’armistice (cf. Figure 38), connue sous plusieurs noms : la ligne verte, la ligne d’armistice de 1949, ou encore, la ligne ou les frontières de 1967 puisque cette ligne sera une frontière de facto jusqu’à cette date. Cette, ou plus précisément, ces lignes d’armistice dessinent une carte nettement simplifiée comparé au lan de partage de 1947. Par rapport à ce dernier, Israël contrôle 60% de territoire en plus et gagne sa continuité territoriale, ainsi que Jérusalem Ouest. Les Arabes palestiniens ne contrôlent eux toujours rien : la bande de Gaza est sous contrôle égyptien, bien que l’Égypte ne revendique pas ce territoire ; la Cisjordanie et Jérusalem Est sont annexés par la Jordanie. Cette annexion n’est reconnue que par trois États dans le monde (Royaume-Uni, Irak et Pakistan) et la Jordanie n’abandonnera cette revendication qu’en 1988, plus de vingt ans après en avoir perdu le contrôle. Plus de 700 000 Arabes palestiniens fuiront les territoires nouvellement contrôlés par Israël331, et à peu près autant de Juifs des pays arabes immigreront en Israël, souvent suite à des expulsions. La population des pays en question était en 1950332 : 1,2 millions pour Israël, 480 000 pour la Jordanie, 1,3 millions pour le Liban, 3.4 millions pour la Syrie et 20,7 millions pour l’Égypte. Ces mouvements de population, assez minimes pour l’époque mais importants pour la région333, créeront le problème des réfugiés palestiniens dans les états arabes voisins.
L’adoption de la résolution
Le mercredi 22 novembre 1967, le Conseil de sécurité se réunit à 15h30 au siège de l’ONU à New-York pour sa 1382e séance, sous la présidence du Mali. Outre ce dernier, le Conseil est alors composé des représentants des cinq membres permanents, les États-Unis, l’URSS, la Grande-Bretagne, la France et la République de Chine (Taïwan)336, et des autres membres élus par l’Assemblée générale : l’Argentine, le Brésil, la Bulgarie, le Canada, le Danemark, l’Éthiopie, l’Inde, le Japon et le Nigéria. L’ordre du jour a pour sujet « La situation au Moyen Orient » et le point discuté est une lettre de l’Égypte adressée au président du Conseil de sécurité (S/8226).337 Le Conseil doit considérer l’adoption de cinq drafts de résolution proposés par différents États: le premier par l’Inde, le Mali et le Nigéria (S/8227) ; le deuxième par les États-Unis (S/8229) ; le troisième par l’URSS (S/8236) ; le quatrième par la Grande-Bretagne (S/8247) ; et le cinquième, un deuxième draft proposé par l’URSS (S/8253). Sont invités à prendre place à la table du Conseil pour participer aux discussions sans droit de vote, les représentants de l’Égypte, de la Jordanie, de la Syrie et d’Israël. Le premier représentant à prendre la parole est celui de la Syrie. Suivra ensuite le représentant de l’Éthiopie, de l’Inde, du Royaume-Uni, puis des États-Unis, avant de passer au vote. Au moment du vote, le président indique que les auteurs du premier draft n’insistent pas pour qu’il soit mis aux voix. Les États-Unis font de même pour leur proposition, ainsi que l’URSS pour sa première proposition. La proposition du Royaume-Uni est donc la première à être soumise au vote et est adoptée à l’unanimité par vote à main levée, proposition qui devient donc la résolution 242 (1967) du Conseil de sécurité. L’URSS retire alors sa seconde proposition. Ces retraits ne sont effectivement pas une surprise. Le représentant syrien dans sa déclaration d’avant vote n’ayant commenté que le draft du Royaume-Uni, montrant ainsi que le sort des autres drafts lors de la séance de vote était connu d’avance. S’ensuivent les déclarations des différents représentants : celui du Nigéria, celui d’Israël, celui des États-Unis, celui de la France, celui de l’URSS, celui du Brésil, celui du Canada, celui de la Bulgarie, celui de l’Égypte, celui de la Jordanie, celui de l’Argentine, celui du Japon, celui du Danemark, celui de la Chine, celui du Mali, et enfin de la Syrie. La séance se termine par la reprise de parole du représentant israélien qui conclut par un bref commentaire. La séance est levée à 19h. Il convient de noter l’inhabituelle longueur de la liste des orateurs qui tiennent à expliciter la position de leur gouvernement et les raisons de leur vote. Pour rappel, ces déclarations sont très importantes du point de vue du droit international puisqu’elles permettent d’éclairer l’intention des votants considérés comme les auteurs des résolutions. Dès son adoption, la résolution 242 (1967) allait cependant poser problème : le représentant israélien concluant la séance en disant : I intervene for another purpose, which is to say that I am communicating to my Government for its consideration nothing except the original English text of the draft resolution as presented by the original sponsor [la Grande-Bretagne] on 16 November. Having studied that text, document S/8247, my Government will determine its attitude to the Security Council’s resolution in the light of its own policy, which is as I have stated it. Il faut ici noter qu’à la date de l’adoption de la résolution 242 (1967), si le français, l’anglais, le russe, le chinois et l’espagnol étaient les langues officielles du Conseil de sécurité, seuls le français et l’anglais étaient langues de travail du Conseil de sécurité. Le russe et l’espagnol seront ajoutés en 1969, le chinois en 1974. L’arabe sera ajouté en 1982 comme langue officielle et de travail. Les textes dans les langues officielles, qui plus est de travail, sont considérés comme étant également authentiques, c’est-à-dire ayant la même valeur juridique. Le représentant israélien signifie préemptivement que son gouvernement contestera la valeur de la version française et que seule la version anglaise compte pour lui. Il convient donc de comparer ces deux versions pour se faire une idée de leurs différences.