Retour d’expérience sur le dispositif expérimental 

Retour d’expérience sur le dispositif expérimental 

La mise en place d’un système d’exclusion de pluie de 630 m² effectuée avant le début de ce travail de thèse fut une étape ambitieuse permettant l’homogénéisation des conditions climatiques sur l’ensemble des arbres du dispositif. L’installation d’une bâche souterraine imperméable autour des arbres du traitement de sécheresse a permis d’éviter toute infiltration d’eau au niveau souterrain et toute prospection racinaire vers les traitements irrigués. Par des mesures régulières à l’aide d’une sonde à neutrons, l’humidité du sol a été suivie et l’irrigation a été ajustée finement afin de ne pas créer de stress édaphique dans les traitements de défoliation et témoin. Dans le traitement sec, la teneur en eau du sol a atteint rapidement après l’installation du dispositif le seuil de 40% correspondant au seuil au-dessous duquel une fermeture stomatique est engendrée afin de minimiser les pertes en eau (Granier et al., 1999). Ce seuil de 40% n’a ensuite jamais été dépassé au cours des 30 mois d’expérimentation, ce qui était un des objectifs méthodologiques initiaux (Figure IX.1).Néanmoins, due à une entrée d’eau latérale les jours de pluie, une hétérogénéité du niveau de sécheresse subi par les arbres de ce traitement a été détectée ce qui nous a amenés à caractériser individuellement le niveau de sécheresse par des mesures régulières de potentiels de base sur l’ensemble des arbres de ce traitement. Ces apports d’eau de pluies latérales ont probablement pu légèrement humidifier le sol au moins dans les premiers horizons, l’eau de pluie tombée sur les feuilles et ruisselant sur le sol a certainement été vite absorbée. Une variabilité de l’état hydrique des arbres a été confirmée par nos campagnes de mesures de potentiels de base 175 (mesures sur l’ensemble des arbres du traitement sécheresse, n=336, tous les mois pendant la saison de végétation).Cette variabilité nous a permis d’étudier des états hydriques différents avec la distinction d’arbres en état de stress hydrique modéré (MD) ou intense (SD) basée sur les valeurs de potentiels de base de rameaux. Néanmoins, cette distinction n’a pas été prise en compte systématiquement sur l’ensemble des expérimentations mises en œuvre dans ce travail de thèse. En effet, selon l’expérimentation, cette distinction entre état de stress hydrique modéré ou intense n’a pas forcément eu de sens d’un point de vue statistique, car aucune différence significative entre arbres MD et SD n’était notée (Chapitre V et VIII). Dans ce cas l’ensemble des arbres MD et SD a été considéré comme faisant partie d’un même traitement sec. L’expérience faite sur un temps court comme les deux marquages foliaires des branches faits au printemps et en été 2015 ont permis d’avoir cette distinction entre les deux « intensités de sécheresse ». Cette distinction a également été faites dans l’expérimentation de marquage d’arbre entier: nous avons choisi au moment du marquage, des arbres avec un statut hydrique différent en fonction des mesures de potentiels de base faites quelques jours avant le marquage.La seconde contrainte appliquée dans notre étude a été une défoliation annuelle effectuée en Juin 2014 et 2015 et en Mai 2016. L’intensité de la défoliation fut de 75% du feuillage en 2014 et 2015 et de 90% en 2016. Le nombre d’arbres défoliés était conséquent (n=336), ce qui a amené à effectuer la défoliation pendant 2 semaines consécutives malgré l’aide de dizaines de personnes du centre de recherche Inra Grand-Est et la contribution de classes de collégiens de la région Grand-Est. Aussi, lors d’une expérimentation de défoliation aussi ambitieuse que celle-ci, il faut prendre en compte que le nombre de feuilles à enlever par arbre est très important et que sans l’aide de très nombreuses personnes, il n’aurait pas été possible de mener cette expérimentation jusqu’à son terme. Si la mise en place des traitements était ambitieuse, elle fut réussie de part d’importantes ressources financières et humaines. Si le premier avait été budgété, le second lui, a nécessité de développer des projets de sciences participatives (projets « Hêtre en Fête » et « Survivors »).

Le hêtre répond rapidement à un déficit hydrique du sol 

Un premier levier pour mitiger la perte en eau à court terme par la diminution de la croissance radiale 

Suite à la mise en place de la contrainte hydrique, la croissance radiale de nos jeunes hêtres a été plus faible que celle des arbres du traitement témoin. Une croissance radiale réduite lors d’évènements de sécheresse est souvent observée (van der Werf et al., 2007 ; Michelot et al., 2012 ; Gérard et Bréda, 2012). Cependant ce n’est pas toujours le cas, une étude sur du Sapin noir a montré que ces arbres avaient des croissances plus fortes en situation de dépérissement que celles des arbres sains (Cailleret et al., 2014). Néanmoins, le hêtre est sensible à la baisse de l’humidité du sol (Leuschner et al., 2001 ; Granier et al., 2008) et sa croissance répond très bien aux conditions climatiques de la saison de végétation en cours (Michelot et al., 2012). La diminution de l’humidité en eau du sol peut imposer une limitation de la croissance via une perte de la pression de turgescence dans les cellules (Hsiao, 1973 ; Hsiao et al., 1976). La croissance radiale est également affectée par la dynamique de réserve en eau dans l’arbre qui permet de modifier le potentiel hydrique du xylème et la pression de turgescence durant la phase d’accroissement cellulaire (Taiz et Zeiger, 1998 ; Turcotte et al., 2011). Les valeurs de REW et de potentiel hydrique mesurés au cours de notre expérimentation indiquent que nos jeunes hêtres ont été soumis à un stress hydrique intense. Le potentiel de base 177 raméal de nos arbres a chuté jusqu’à -3,2 MPa ce qui est plus bas que les potentiels de base rencontrés naturellement sur des hêtres adultes. En effet, durant la sécheresse de 2003, des valeurs de -2 MPa avaient été enregistrées (Bréda et al., 2006).

Un second levier pour mitiger la perte en eau à moyen terme par la diminution de la surface foliaire 

A moyen terme, une modification des propriétés foliaires a pu avoir lieu avec une baisse de la surface foliaire individuelle ainsi que du nombre de feuilles observée lors de la seconde saison de végétation (Chapitre VII). Ces modifications permettent également d’éviter une perte en eau trop importante, les arbres pouvant aussi moduler l’ouverture stomatique contrôlant les échanges gazeux à la surface de la feuille (Klein et al., 2014). En évitant des pertes en eau trop importantes, les arbres évitent alors un dessèchement foliaire mais cela aura également comme conséquence de moins refroidir le compartiment foliaire, surtout si la température de la feuille excède la température atmosphérique (Bréda et al., 2006). Aussi, en modulant sa croissance et sa morphologie foliaire, nos jeunes hêtres ont pu alors empêcher une diminution trop importante du potentiel hydrique en s’assurant alors que la demande en eau foliaire n’excède pas la quantité d’eau disponible, ce qui, le cas échéant, mènerait à l’embolie du système vasculaire et à une dessiccation complète (Martin-StPaul et al., 2017). Dans la cohorte des réponses possibles de nos jeunes hêtres, l’eau mise en réserve dans les tissus de l’arbre peut également aider à surmonter une sécheresse (Holbrook, 1995). En relâchant cette eau mise en réserve, les embolies peuvent être limitées en minimisant les contraintes de tension du xylème (Meinzer et al., 2009 ; Manrique-alba et al., 2018). La contribution de l’eau mise en réserve au sein de l’arbre sur le flux de transpiration est dépendante du déficit en eau du sol : plus la quantité en eau dans le sol est faible, et plus grande sera la contribution de ce réservoir (Hinckley et Bruckerhoff, 1975 ; Borchert, 1994 ; Goldstein et al., 1998 ; Deslauriers et al., 2007). Aussi, l’ensemble de ces réponses peuvent apporter des justifications sur la tolérance du hêtre à une contrainte extrême. 

Le maintien d’un système de transport sous contrainte fondamentale pour la survie de l’arbre 

Le système de transport phloèmien

 Le transport phloèmien est basé sur l’hypothèse de Münch selon laquelle les hydrates de carbone nécessaires au métabolisme et à la mise en réserve sont transportés des organes sources 178 vers les organes puits en suivant des gradients de pression le long d’un conduit constitué de cellules criblées (Münch, 1930 ; Knoblauch et Peter, 2010). Le système de transport phloèmien est constitué de trois facteurs, les sources, les puits et le système de transport. L’eau passant dans le phloème de manière osmotique est originaire des conduits du xylème, traduisant une forte interaction entre le transport phloèmien et xylèmien (Thorpe et Minchin, 1996 ; Hölttä et al., 2009). Lors d’une sécheresse, le transport de solutés des sources vers les puits peut être grandement réduit soit par une trop grande hausse de la viscosité soit par une impossibilité de maintenir le statut hydrique du phloème et la pression de turgescence cellulaire (Sevanto, 2014). 

La contribution des composés carbonés dans le maintien du système de transport phloèmien

En situation de limitation de la ressource carbonée comme lors d’une sécheresse où le hêtre ferme rapidement ses stomates, les réserves carbonées auront alors une grande importance dans le maintien du système de transport (Tanner et Beevers, 2001 ; Sevanto et al., 2013). Il a été ainsi montré que tant que les réserves carbonées peuvent être utilisées, un arrêt complet du système de transport phloèmienne semble pas possible (Sevanto et al., 2013), ce qui est cohérent avec nos résultats d’estimation des stocks complets de réserves carbonées dans l’arbre (Chapitre VIII). Nos jeunes hêtres ont présenté des baisses de la vitesse de transport du phloème. En effet, une autre équipe au sein du même projet que cette thèse a montré que les arbres avec des potentiels hydriques de base les plus bas présentaient des vitesses de transport phloèmien réduites (Dannoura et al., 2018), ce qui rejoint une partie des conclusions que nous avons obtenues après la mesure du transport du marqueur foliaire à longue distance (Chapitre VI). Ces résultats suggèrent une baisse de la vitesse de transport de solutés dans l’arbre mais que, néanmoins, le transport est toujours fonctionnel. c. Le maintien du transport de solutés permis par l’ajustement de la croissance radiale et foliaire ? Sous sécheresse, la baisse conjointe des coûts carbonés pour la croissance radiale et pour la mise en place du compartiment foliaire pourrait alors constituer une stratégie afin de satisfaire les besoins accrus en solutés nécessaires pour garder un transport phloèmien fonctionnel. Aussi, les quantités de composés de réserves carbonées similaires entre les arbres bien irrigués et non irrigués retrouvées après deux saisons de végétation consécutive (Chapitre VIII) sous sécheresse apparaîtraient alors comme un équilibre entre des besoins réduits pour la croissance 179 et le compartiment foliaire et des besoins augmentés pour le transport phloèmien mais également pour garantir l’intégrité des cellules. 

Une stratégie de gestion locale des ressources ayant ses limites. 

Une gestion de ressources carbonées et azotées au niveau local

 Un stockage proche des organes en croissance peut être une stratégie pour minimiser les coûts associés à la remobilisation. En effet, que ce soit sous contrainte ou limitation via une défoliation ou une sécheresse, le compartiment foliaire est toujours privilégié, que ce soit pour le maintien de l’appareil photosynthétique ou comme une stratégie de mise en réserve locale de l’azote (Chapitre VI et VII). Cette stratégie d’allouer l’azote, une des ressources les plus limitantes pour la croissance (Rennenberg et al., 2009), dans le compartiment foliaire peut être interprété comme une stratégie opportuniste où l’assimilation carbonée, qui est dépendante des protéines foliaires, pourrait être rapidement reprise en cas de condition hydrique plus favorable. En effet, même sous conditions de bonne irrigation, nos résultats suggèrent que la reprise de la photosynthèse est priorisée comme lors d’un événement de défoliation où l’allocation azotée aux protéines est augmentée passant de 40% à 70% (Chapitre VI). Nous avons pu également montrer que lors d’un événement de sécheresse, le compartiment racinaire est important comme indiqué par les concentrations importantes de composés carbonés trouvés après 24 mois de contrainte hydrique. Garder une allocation aux racines permet de minimiser les coûts de transport pour la mise en place de nouvelles racines fines (Jackson et al., 1997 ; McCormack et al., 2015). La durée de vie des racines fines peut varier entre espèces et peut se compter en mois ou en années (Coleman et al., 2000 ; Withington et al., 2006 ; Liu et al., 2016) mais cette durée de vie est très dépendante de l’environnement (Peek, 2007 ; Watson et al., 2000) comme la disponibilité en azote (Adams et al., 2012 ; McCormack et Guo, 2014) ou l’humidité du sol (Anderson et al., 2003 ; Green et al., 2005). Une telle stratégie de garder des ressources mises en réserve proche du lieu de production de ces racines fines pourrait améliorer la compétitivité du hêtre lors d’une augmentation de la disponibilité des ressources dans le sol. 

La gestion des ressources au niveau raméal apparaît comme essentiel au fonctionnement de l’arbre

 A première vue, il apparaîtrait « dangereux » pour l’arbre de remobiliser une grande partie de ses réserves azotées dans le compartiment foliaire car une réponse de l’arbre à une sécheresse 180 peut être une perte foliaire (Galvez et al., 2011 ; Ryan, 2011). Il apparaît alors que le maintien de la photosynthèse est une priorité pour le hêtre. En gardant une partie de ces composés carbonés et azotés proche des régions métaboliquement actives que sont les branches et les feuilles, la capacité de survie de l’arbre pourrait être augmentée. En effet, la croissance printanière et l’établissement de nouvelles feuilles sont très coûteux (Barbaroux et Bréda, 2002) et, par conséquent, chercher à la maintenir et à éviter le dessèchement pourrait devenir fondamental pour assurer la survie de l’individu. A des potentiels hydriques au niveau raméal si faibles que ceux retrouvés dans notre étude, la baisse de conductivité des branches de hêtre devait être très forte (de 35 à 100%) (Cochard et al., 1999 ; Lemoine et al., 2002). Aussi, le fait de maintenir des concentrations élevées en composés carbonés et azotés dans les feuilles ou dans les organes proches (rameaux) peut aussi être la conséquence d’un besoin local pour garantir des pressions osmotiques pour le transport et donc de pouvoir remobiliser et transporter les composés carbonés et azotés.

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