Les options réelles (la théorie des options financières)

Les options réelles : une idée séduisante

La genèse des options réelles

Les options réelles sont un concept directement dérivé de la théorie des options financières, qui est apparu à la fin des années 1970. C’est Myers (1977) qui a le premier véritablement formalisé le concept d’options réelles, en considérant qu’une firme est composée de deux types d’actifs : d’une part des actifs réels, qui sont dédiés aux activités existantes, et ont des valeurs de marché indépendantes de la stratégie d’investissement de la firme ; d’autre part des options réelles, qui sont des opportunités d’investir dans des actifs réels si les circonstances à l’avenir sont favorables. Myers a pu mettre en évidence que ces opportunités de croissance, bien que n’étant pas matérialisées par un contrat précis, avaient le même profil d’investissement que les options financières : après avoir effectué un faible investissement initial, l’entreprise pourra plus tard, si les conditions sont favorables, investir de façon plus importante dans ces possibilités de croissance. Myers a qualifié ces options de « réelles » par opposition aux options « financières », dont la valeur est liée à l’évolution d’actifs financiers. Ainsi est né le concept d’options réelles.

Le principe de l’option réelle

Les options réelles correspondent à l’application de la théorie des options financières (cf. Encadré 1.1) à des actifs réels. Ainsi, le détenteur d’une option réelle dispose, en toute souveraineté, du droit : (1) de faire ou de ne pas faire un acte futur ; (2) de prendre ou de ne pas prendre une certaine décision à une date ou avant une date future (McGrath, 1999). Généralement, l’entreprise acquiert l’option en effectuant un investissement initial (par exemple un test de marché, la formation d’un joint-venture, un projet R&D pilote) qui lui donne l’opportunité d’investir d’avantage. Par la suite, l’entreprise pourra choisir si elle exerce ou non l’option, en développant le projet à grande échelle (lancement du produit sur l’ensemble du marché, développement d’une filiale possédée à 100%, lancement d’un grand programme de R&D) (Coff & Laverty, 2001 : 73).La décision sera prise en fonction d’un événement aléatoire, ou plus exactement en fonction de la valeur prise par une variable aléatoire qui suit un processus stochastique et dont on ne peut pas prévoir les valeurs futures (Goffin, 1999). En conséquence, les options réelles sont engendrées dans des contextes de forte incertitude. Pour illustrer cette définition théorique des options réelles, nous pouvons aussi reprendre l’exemple de la mine de charbon donné par Goffin (1999). L’exemple porte sur l’achat de la concession d’une mine de charbon pour une durée de 10 ans. Cette décision est prise dans un contexte de forte incertitude, car le prix futur de la houille n’est pas connu. En fait, l’achat de la concession peut être assimilée à l’acquisition d’une option d’achat (« call ») américaine, dont : • le sous-jacent correspond aux cash-flows générés par l’exploitation de la mine ; • le prix d’exercice est constitué par les investissements nécessaires pour mettre la mine en exploitation ; • l’échéance est la durée de la concession. Comme dans le cas des options financières, on peut observer une asymétrie dans les bénéfices potentiels dégagés par l’acquisition de la concession : • Si à l’avenir le prix de la houille a baissé, alors l’exploitation de la mine de charbon ne sera pas rentable ; ceci signifie que l’entreprise n’exercera pas son option, et aura perdu un montant équivalent au prix de la concession (la « prime » d’option). • Si au contraire le prix de la houille a augmenté, alors l’exploitation de la mine de charbon sera rentable. En conséquence, l’entreprise exercera son option en exploitant la mine de charbon. Ainsi, les options réelles peuvent être utilisées pour déterminer la valeur de la concession. Comme dans le cas des options financières, le montant de la prime d’option sera fonction de cinq principaux paramètres évoqués dans l’Encadré 1.1.Le principal apport des options réelles sur le calcul de VAN réside dans le fait que les projets d’investissement sont étudiés de façon dynamique, et non plus statique (Leslie & Michaels, 1997). Lorsqu’un projet d’investissement est valorisé par un calcul de VAN, il est analysé dans une configuration bien précise, sans prendre en compte le fait qu’il peut subir des modifications par la suite. Dans la pratique, on peut observer que les projets d’investissements sont rarement menés de cette manière : les entreprises prennent souvent les décisions de façon incrémentale, et ajustent leur stratégie d’investissement afin de prendre en considération les informations nouvelles (Gertner & Rosenfield, 1999: 14). Ces opportunités d’adaptation ne sont pas prises en compte dans le calcul de la VAN (Kulatilaka, 1993: 271). En conséquence, les entreprises tendent à manipuler le taux d’actualisation utilisé pour le calcul de VAN, afin d’en corriger les faiblesses. Ainsi, Luehrman (1997) indique que les entreprises sont parfois amenées à choisir, pour les projets stratégiques, un taux de rentabilité minimum (« hurdle rate ») inférieur à celui des projets d’investissement plus routiniers. Ceci permet de corriger le fait que les projets stratégiques porteurs d’options de croissance sont sous-valorisés avec la méthode de la VAN. Inversement, on peut observer que certaines entreprises effectuent le calcul de VAN à l’aide de taux d’actualisation bien supérieurs à ceux recommandés par la théorie financière classique (MEDAF). Pour Busby et Pitts (1997) cette pratique est un moyen de prendre en compte l’option d’attente dont peut disposer une entreprise dans le lancement d’un projet. De façon similaire, nous avons pu observer dans le cadre de nos recherches empiriques que les entreprises pouvaient implicitement prendre en compte l’option d’attente en calculant la VAN sur un nombre d’années de cash-flows inférieur à la durée de vie réelle de projet.9 Contrairement à la VAN, l’approche optionnelle part du principe que le projet d’investissement pourra évoluer au gré des circonstances : par exemple, si le projet rencontre un succès plus large qu’escompté initialement, il pourra être étendu à d’autres zones géographiques, ou à d’autres lignes de produits. Si inversement, les conditions économiques s’avèrent peu favorables, on pourra envisager un repli, voire un abandon du projet. Cette « flexibilité managériale » face à l’aléa a de la valeur, qui est capturée à travers la valeur d’option.

Présentation des principaux types d’options réelles

 L’exemple d’option réelle présenté dans l’Encadré 1.2 correspond à une option d’attente. Il existe d’autres leviers de flexibilité que l’attente, et la littérature a ainsi élaboré une classification des options réelles en fonction du type de flexibilité en cause. Les Tableaux 1.2 et 1.3 présentent les principaux types d’options réelles figurant dans la littérature. La littérature fait traditionnellement la distinction entre deux grandes catégories d’option : • les options d’exploitation (« operating options ») ou options de flexibilité : ces options tirent leur valeur de la flexibilité dont disposent les dirigeants dans le cadre de l’exploitation d’un actif donné (on raisonne ici à niveau d’équipement constant) ; • les options d’investissement / désinvestissement (« Investment and dis-investment options ») ou options stratégiques : ces options tirent leur valeur de la flexibilité dans le rythme et les modalités d’acquisition (de cession) d’un actif. A ces deux catégories d’options, Amram et Kulatilaka (1999) ajoutent les options de nature contractuelle (« contractual options »). Il s’agit des termes d’un contrat qui modifient le profil de risque supporté par les détenteurs de l’actif. Les auteurs citent l’exemple des capital risqueurs, qui incluent fréquemment dans les contrats des clauses leur donnant un droit de priorité en cas de faillite (protection à la baisse) ou encore le droit d’investir ultérieurement aux côtés d’autres investisseurs (protection contre un phénomène de dilution en cas de hausse). On pourrait aussi citer les clauses contenues dans les contrats de leasing automobile ou de location immobilière évoquées par Bowman et Hurry (1993) comme des exemples typiques d’options réelles de nature contractuelle.  

Un succès grandissant dans le monde académique 

La Figure 1.1 représente le nombre d’articles publiés chaque année dans les principales revues anglosaxonnes d’économie et de gestion sur le thème des options réelles. Les détails de la constitution de la base bibliographique sont présentés plus loin, en Section 2. 10.Après l’article fondateur de Myers (1977), la problématique des options réelles est restée assez confidentielle dans la littérature académique, et s’est cantonnée essentiellement à la publication de modèles théoriques de valorisation d’options réelles . L’essor de la thématique des options réelles remonte à la fin des années 1990. Il a sans doute été favorisé par la publication d’ouvrages, qui ont permis de faire connaître ce paradigme à un plus large public . Les options réelles ont progressivement donné naissance à une abondante littérature, avec plus d’une centaine d’articles publiés en 2005, et presqu’autant en 2006. Il existe aujourd’hui un large consensus pour affirmer qu’en contexte incertain, les options réelles constituent une approche plus appropriée que les outils classiques d’aide à la décision d’investissement, en particulier la Valeur Actuelle Nette (VAN). Pour de nombreux académiques, les options réelles marquent un tournant majeur dans les méthodes de décisions d’investissement. Copeland et Antikarov (2001) avaient même prédit qu’en l’espace de dix ans, les options réelles auraient supplanté la VAN comme outil d’aide à la décision d’investissement.

Une faible utilisation des options réelles par les entreprises

Résultats d’enquêtes sur l’utilisation des options réelles par les entreprises

Le contraste entre l’engouement des académiques pour les options réelles, et la faible utilisation de celles-ci par les entreprises est saisissant. Trois principales enquêtes ont estimé le pourcentage des entreprises ayant recours aux options réelles. Les enquêtes ne sont pas directement comparables, et on observe des différences dans les résultats. Mais ces études convergent clairement vers le constat que les options réelles constituent un outil peu utilisé par les entreprises.

L’étude de Graham et Harvey (2001)

Graham et Harvey (2001) ont mené une enquête auprès de 392 directeurs financiers d’entreprises Nord Américaines. L’échantillon était constitué d’entreprises de toutes tailles : 26% des entreprises de l’échantillon avaient un chiffre d’affaires annuel inférieur à 100 millions $, tandis que 42% avaient un chiffre d’affaires annuel supérieur à 1 milliard $. L’enquête révèle que les techniques les plus utilisées pour prendre les décisions d’investissement sont, de loin, le taux de rentabilité interne (IRR, Internal Rate of Return), et la Valeur Actuelle Nette (NPV, Net Present Value). Ces deux techniques sont « toujours ou presque toujours » utilisées par respectivement 76% et 75% des entreprises de l’échantillon. A l’inverse, seulement 27% des directeurs financiers interrogés ont recours aux options réelles. On peut par ailleurs noter que l’enquête n’a pas établi de lien entre d’une part le recours aux options réelles et d’autre part les caractéristiques de l’entreprise (taille, niveau d’endettement, activité manufacturière ou non, entreprise cotée ou non). Les seuls facteurs pouvant influencer sur le recours aux options réelles (statistiques significatives à un seuil de 10%) sont • l’âge du directeur financier : les directeurs financiers de moins de 59 ans sont plus susceptibles d’utiliser les options réelles ; • l’environnement réglementaire de l’entreprise : les entreprises appartenant à des secteurs non régulés sont plus susceptibles de recourir aux options réelles que les entreprises subissant une importante régulation (comme par exemple les « utilities »).

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