Le droit pénal et L’appel public a L’épargne
CADRE GENERAL DE L’APPEL PUBLIC À L’ÉPARGNE
La disposition clé en la matière, prohibant tout appel public à L’ épargne, est I’ article 15 § 1er de la loi du 10 juin 1964 sur les appels publics à L’épargne qui prévoit que sont punis d’ un emprisonnement d’ un mois a un an et d’ une amende de 50 francs à 10.000 francs (3) ou d’ une de ces peines seulement, ceux qui reçoivent du public, sous quelque forme ou qualification que ce soit, ou qui font appel au public en vue de recevoir des fonds remboursables à vue, à terme ou moyennant un préavis. Les termes de cette disposition sont à ce point généraux que le législateur a estimé nécessaire d’ énumérer, au paragraphe 2 de I’ article 15, une série d’opérations auxquelles le paragraphe 1 er susévoquée n’ est pas applicable. il s’ agit notamment: – des dépôts effectués auprès des banques (définies a 1′ article 1 er du titre 1er de I’ arrête royal du 9 juillet 1935); I’ activite bancaire est réglementée et assortie de sanctions pénales en vertu des articles 42, 43 et 44 de I’ arrête royal nO 185 du 9 juillet 1935; – et des émissions publiques de titres et valeurs définies à L’ article 26 de I’ arrête royal n 185 du 9 juillet 1935, première disposition de I’ important titre 11 de cet arrêté. Ces émissions sont ce que I’ on pourrait considérer comme les appels publics à L’ épargne au sens strict. Une fois rappelé le principe de la prohibition générale d’ appel public El I’ épargne, il convient de s’ attarder au titre 11 de I’ arrête royal du 9 juillet 1935. 1Il y a lieu de rappeler tout d’ abord que d’ importantes modifications ont été apportées à cet arrêté par la loi du 9 mars 1989, ainsi que par la loi du 4 décembre 1990. La loi du 9 mars 1989 (4) avait pour objet de transposer en droit beige les directives du 5 mars 1979 (5), du 17 mars 1980 (6) et du 15 février 1982 (7) en matière de valeurs mobilières. Cette transposition a été complétée par L’entrée en vigueur des arrêtés suivants: Arrêté royal du 18 septembre 1990 relatif aux Comités de la Cote auprès des Bourses mobilières du Royaume et Al I’ admission des valeurs mobilières El la côte (M. B., 22 septembre 1990, p. 18.127 et erratum in M.B., 25 octobre 1990, p. 20.390). Arrêté royal du 18 septembre 1990 relatif aux obligations découlant de I’ admission de valeurs mobilières El la cote officielle d’ une bourse de fonds publics et de change du Royaume (M.B., 22 septembre 1990, p. 18.138 et erratum iD M.B., 25 octobre 1990, p. 20.390).- Arrêté royal du 18 septembre 1990 relatif au prospectus El publier pour I’ admission de valeurs mobilières El la cote officielle d’ une bourse de fonds publics et de change du Royaume (M.B., 22 septembre 1990, p. 18.144 et erratum in M.B., 25 octobre 1990, p. 20.390). – Arrêté ministériel du 19 septembre 1990 relatif À L’ admission de valeurs mobilières du secteur public beige El la cote officielle d’ une Bourse de valeurs mobilières du Royaume (M.B., 22 septembre 1990, p. 18.165). – Arrêté ministériel du 20 novembre 1990 modifiant L’ arrête ministeriel du 19 septembre 1990 relatif Al I’ admission de valeurs mobilières du secteur public beige El la cote officielle d’ une Bourse de valeurs mobilières du Royaume (M.B., 5 décembre 1990, p. 22.552). La loi du 4 décembre 1990 (8) à elle notamment pour objet d’ adapter le droit beige El la directive (85/611/CEE) du 20 décembre 1985 portant coordination des dispositions legislatives, reglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières, El la directive (891298/CEE) du 17 avril 1990 portant coordination des conditions d’établissement, de contrôle et de diffusion du prospectus El publier en cas d’ offre publique de valeurs mobilières, El la directive (90/211 CEE) du 23 avril 1990 modifiant la directive (80/390/CEE) en ce qui concerne la reconnaissance mutuelle des prospectus d’offre publique au titre de prospectus d’ admission El la cote d’ une bourse de valeurs, Et la directive (89/592/CEE) du 13 novembre 1989 concernant la coordination des réglementations relatives aux opérations d’ initiés et, d’ une manière générale, de procéder El la réforme des marchés financiers beiges.
Le délit d’initié
Partant de la constatation que le bon fonctionnement des marchés financiers est subordonné à une information correcte et rapide des intervenants, le législateur, un peu pressé certes par les instances européennes et surtout par un arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes du 12 février 1987 a transposé en droit beige une directive du 15 février 1982 relative a I’ information périodique à publier par les sociétés dont les actions sont admises a la cote officielle d’ une bourse de valeurs. Cette transposition a donné lieu récemment à la publication d’ un arrêté royal daté du 18 septembre 1990 déjà évoqué et relatif aux obligations découlant de I’ admission de valeurs mobilières à la cote officielle d’ une bourse de fonds publics et de change du Royaume. Cet arrêté organise la mise à disposition rapide par les sociétés cotées d’ une série d’ informations. La Commission bancaire et financière est partie intervenante dans cette procédure. Le corollaire de cette information correcte et rapide des intervenants sur les marchés financiers est I’ interdiction faite aux personnes disposant d’ une information inconnue du public soit d’ acheter des titres afin de réaliser un gain (à la suite de la hausse prochaine du cours de bourse que I’ information détenue lui permet d’ escompter), soit de vendre ceux-ci (afin d’ viter la perte qu’ entraÎnera la chute prévisible du cours), en anticipant de la sorte les mouvements de cours des valeurs en question. Pareille utilisation est ce que I’ on appelle en français une opération d’initié, en anglais de 1’« insider trading».La majorité d’ entre nous étant amenée Et détenir des informations privilégiées Et I’ occasion d’ opérations de fusion par exemple ou d’ offre publique d’ achat, il me para!Il est utile de s’ attarder quelque peu sur ce comportement qui n’ est devenu une infraction en droit beige que très récemment mais qui existe vraisemblablement depuis qu’ existent les bourses de valeurs. D. Devos indiqué dans I’une de ses brillantes contributions (17): «L’exploitation d’ informations privilégiées en bourse n’ est pas, en soi, un phénomène nouveau, L’insider trading a joué un rôle légendaire dans le développement de la fortune des Rothschild. On sait que la bataille de Waterloo a eu lieu le dimanche 18 juin 1815. L’ annonce de la défaite française ne parvint cependant qu’à Londres, par la voie d’ une dépêche officielle de Wellington, que dans la nuit du mercredi 21 au jeudi 22 juin. Seule financier Nathan Rothschild eut connaissance de I’ issue de la bataille des L’ aube du mardi 20 juin, grâce à son réseau d’ agents sur le continent qui parvinrent Et devancent largement les courriers officiels. A l’ ouverture de la bourse, Nathan Rothschild achète, pour un prix dérisoire, de grandes quantités de bons du gouvernement britannique que tous les opérateurs s’empressent alors de vendre dans la perspective – pressentie – d’ une victoire napoléonienne. Quarante heures plus tard, la nouvelle atteignit enfin les marchés financiers londoniens, provoquant une envolée spectaculaire des cours, pour le plus grand profit de Rothschild … ». Compte tenu du temps qui m’ est imparti, je ne saurais ni disserter sur I’ opportunite même d’ une condamnation de I’ « insider trading», ni tenter de répondre Et la question «cet argent facile est-il de I’ argent sale?» (18), sujets d’étude qui ont fait le bonheur d’ un certain nombre d’économistes (19)et de juristes. On relèvera cependant Et ce sujet les récentes déclarations de William Sharpe, I’ un des trois derniers prix Nobel d’économie, reprises dans I’ Echo du mercredi 12 décembre 1990 selon lesquelles les opérations d’ initiés ont apporté quelque chose de bon au marché: «Si en tant qu’invité je sais qu’ une société est promise à un brillant avenir et que je souhaite que le cours boursier en témoigne, je viens sur le marché et j’ en achète les actions. Cela fera monter le cours. Ceux qui ne sont pas initiés le verront et réagiront. Les opérations d’ initiés ont un côté positif. Cela dit, il est injuste qu’un initié tire un bénéfice excessif aux dépens des autres investisseurs» (20). On assiste depuis plusieurs années à un développement spectaculaire du nombre de cas recensés d’ «insider trading », spécialement dans le contexte des O.P.A. (21). Ce phénomène est très clairement a I’ origine d’ une part de la genèse de législations spécifiques a 1’« insider trading », le plus souvent pénalement sanctionnées dans la plupart des pays industrialisés, d’ autre part du développement de «chinese walls» dans les entreprises (22). Avant d’ en arriver à commenter le livre V de la loi relative aux opérations financières et aux marchés financiers, il est nécessaire d’ évoquer brièvement ce qu’il en est en cette matière du droit comparé, de la Convention du Conseil de I’ Europe et de la directive du Conseil du 13 novembre 1989.