L’application de la loi sur le terrain, divergences des élus et mesures de l’opinion
Des opinions municipales divergentes
La Séparation accueillie dans les Conseils municipaux
Notre sujet ayant pour prétention de se rapprocher le plus possible de la réalité quant aux comportements et réactions de la population des deux cantons analysés face à la loi de séparation, nous devons donc nous intéresser aux élites politiques et institutionnelles. Outre l’autorité préfectorale qui tient son importance et que nous développerons par la suite, l’autorité municipale exerce une influence directe sur la population et sa mentalité. Le maire et ses conseillers sont évidemment élus par une majorité témoignant du tempérament dominant du village. Néanmoins ces derniers tiennent toujours, par le prestige et la réputation qu’ils héritent de leurs fonction et statut social au village, une influence non négligeable sur l’orientation politique des administrés. C’est pourquoi nous dirigeons premièrement notre analyse sur les Conseils municipaux des communes qui nous intéressent et sur leurs comportements face à la loi de séparation. Les documents premièrement recherchés et analysés sont les registres des délibérations des Conseils municipaux que chaque Conseil rédige et tient en archive. Cependant le nombre de registres qui nous a été transmis au fil du temps reste aujourd’hui limité. Sur les 14 communes du canton de Conlie, les registres ne sont accessibles, pour la période qui nous intéresse, que pour 3 d’entre elles : le chef lieu de canton Conli , Degré et Saint-Symphorien163. En ce qui concerne le canton de Pontvallain qui possède 9 communes, seules 3 disposent des registres de délibérations qui nous intéressent : Pontvallain , Château-l’Hermitage165, et Cérans-Foulletourte . L’intérêt que nous avons porté à ces documents a pour but de déterminer les positionnements et les contenus des discussions qui ont pu se manifester au sein même de ces conseils municipaux durant les débats, les votes et l’application de la loi de séparation. Cependant la lecture de ces documents révèle une apparente indifférence des élus envers cette loi. Bien que n’ayant aucune influence sur le processus législatif du pays, il est tout de même étonnant qu’aucun débat n’ait eu lieu dans la salle du Conseil de tous ces villages. Cela est d’autant plus étonnant dans les chefs lieux de cantons où les membres du Conseil et le maire sont bien souvent liés aux politiques de la grande ville du département et parfois à celle de la capitale. Il est certain, tout en sachant que la loi s’appliquerait et toucherait la plus petite commune du pays, qu’un émoi, une réaction ou une prise de parole a eu lieu durant certaines séances des conseils municipaux. Il faut croire que ces dires n’ont pas été relayés dans les registres probablement car ils sortaient des prérogatives et des compétences légales de ces conseils. Il en ressort donc une large indifférence des élus excepté au moment de l’application de cette dite loi. En effet, au moment de la location du presbytère, les prises de parole des élus ne manquent pas mais restent bien souvent très formelles. Néanmoins certaines prises de parti sont manifestes et méritent un développement qui prendra une autre place dans cette rédaction. Pour essayer d’appréhender et peut être de connaître les réactions ou les débats entretenus par les élus durant les séances de conseil mais aussi dans leur village et alentours, nous nous sommes donc intéressés aux tendances politiques des élus municipaux et plus particulièrement à leur attachement au régime républicain. Pour tenter de répondre à cette interrogation nous avons dû trouver un point commun à tous les registres pour permettre une comparaison significative. C’est pourquoi nous sommes partis à la recherche des adresses de soutien et de félicitations au nouveau président de la République Armand Fallières, élu le 18 février 1906, successeur du président Félix Faure. Membre de la formation politique de l’Alliance démocratique positionnée au centre gauche dans la première décennie du XX e siècle, il est un personnage qui fait largement consensus dans le camp des républicains. Affirmant une certaine continuité avec la présidence de Félix Faure, son élection confirme le pouvoir et le poids politique des républicains et radicaux modérés. Les félicitations rédigées ou non au sein des registres de délibérations devraient révéler le degré d’adhésion du Conseil municipal et de la population à la république et à la politique de la Chambre des élus. Tout d’abord les limites archivistiques de notre recherche nous ont empêché d’en avoir une approche complète. Ensuite, dans certains registres on ne trouve simplement pas de manifestations de soutien bien que le caractère politique de la commune soit manifestement républicain. Cela est notamment le cas pour la commune de Château-l’Hermitage . Néanmoins aucun rassemblement du conseil municipal n’est acté dans cette commune de novembre 1905 à mai 1906 expliquant en partie l’absence de félicitations à destination du nouveau président.
Un canton radical et un canton conservateur ?
Une réalité plus complexe Avant de partir dans de larges natures d’archives et analyser les comportements des divers individus rencontrés face à la loi de séparation, il est préférable de connaître véritablement le paysage politique de nos deux cantons. Nos premières hypothèses tendaient à croire que nous allions avoir affaire à deux blocs politiques bien définis et unis dans leurs convictions. Même si on peut confirmer cela d’un point de vue général, on peut aisément nuancer cette conclusion en s’appuyant sur les détails propres à chaque commune. Pour connaître les appartenances politiques de chaque élu municipal de nos deux cantons, nous avons dû ressortir des archives préfectorales les fiches de renseignements de chaque Conseil municipal du département, dressées sous demande préfectorale à l’issue des élections municipales de 1908 . Cette pratique, proche de celles des polices politiques encore présentes durant le Second Empire, manifeste de l’héritage de celui-ci entretenu par la jeune République. Si l’Empire entretenait une police pour se maintenir, la République a rapidement décidé d’en faire autant. L’organisation de la Sûreté Générale, qui devient les « renseignements généraux » en 1907, est maintenue et tient pour mission principale de surveiller les faits et gestes de la population en vue de faire respecter les lois et les principes républicains . Même si ces fiches ne proviennent pas directement de cette organisation, il est important de voir la persistance de cette paranoïa propres aux hautes strates républicaines qui redoutent par dessus tout un renversement de régime et qui explique donc le maintien d’une telle surveillance sur la population et les élus. Ne disposant pas des mêmes fiches pour les élections municipales précédentes, nous ne pouvons malheureusement pas réaliser d’étude comparative entre les deux élections. Néanmoins, considérant que les conflits possiblement causés par la loi de séparation sont en partie estompés au moment de l’élection, et que les élections municipales se détachent des enjeux politiques nationaux, les données recueillies doivent nous permettre de percevoir la nature des tempéraments politiques de nos deux cantons. L’analyse suivante a nécessité une simplification des diverses tendances politiques afin de pouvoir en tirer une étude générale. Deux blocs furent constitués : ceux déclarés clairement comme « républicains », et les autres, relevant de courants qualifiés dans les fiches de « réactionnaires », que nous résumerons par l’étiquette « non républicains ». Dans d’autres communes, des individus dits libéraux sont également présents. Originaires du courant des orléanistes, ils relèvent d’une tradition monarchiste qui s’est progressivement muée en républicanisme conservateur. Dans les notes apposées sur les fiches par le rédacteur, ces derniers sont compris dans le camp des « réactionnaires », c’est pourquoi nous les avons inclus dans le camp des « non-républicains ». Ce clivage entre républicains et non-républicains sous-entend une différence marquée d’opinion entre l’acceptation ou le refus de la séparation des Églises et de l’État. Bien que certains courants républicains aient pris position contre cette loi au moment des votes, il est important de remarquer que toutes les forces non-républicaines se sont systématiquement déclarées contre la suppression du Concordat. Nous estimons donc qu’une certaine vérité puisse ressortir de cette différenciation en vue de comprendre, et peut être anticiper les comportements des élus municipaux et de la population face à la loi de séparation.