La transparence des procédures
Le principe de transparence est, en notre matière au moins, celui selon lequel une activité doit être exercée ou un acte pris dans des conditions telles que les personnes intéressées puissent vérifier la légalité ou la moralité des différentes étapes qui ont conduit au résultat obtenu. L’idée de transparence est une préoccupation récente de la doctrine juridique et de la pratique administrative. Bien que l’on puisse trouver des premières références doctrinales à ce principe dans les années 19808, c’est surtout à partir des années 1990 que la doctrine et le législateur ont commencé à l’utiliser comme fondement9. Outre le thème de la transparence administrative qui s’est alors développé10, c’est en matière économique et dans le cadre des contrats que le thème de la transparence a eu le plus d’implications. On ne saurait alors s’étonner que le droit de la commande publique ait eu à y faire référence puisqu’il est à la fois un droit de la concurrence – la recherche d’un marché économique libéral nécessitant une part de transparence, on parle d’ailleurs de « pureté » du marché – mais aussi un droit contractuel et l’on sait que la matière contractuelle est par essence opaque pour les tiers au contrat, ne serait-ce parce qu’elle est éminemment subjective11. Ces considérations et la présence du principe de transparence à l’article premier du Code des marchés publics depuis le code de 2001 – repris à l’identique dans celui de 2004 – ont conduit d’éminents auteurs à le présenter comme l’un des fondements du droit de la commande publique. La place que nous lui accordons dans ces développements, celle d’un principe renforçant les procédures et non les fondant, peut paraître en désaccord avec cette approche. C’est qu’il nous semble que le droit interne comme le droit communautaire ont reconnu ce principe de manière ambiguë, comme un principe à la fois autonome et corollaire d’autres (A), ce qui lui donne une portée propre qui, sans être négligeable, reste relativement limitée13 (B).
La reconnaissance récente du principe
L’idée de transparence étant elle-même une création contemporaine, sa reconnaissance est, elle aussi, une évolution récente de nos droits fondamentaux. En droit interne, s’il bénéficie d’une valeur constitutionnelle, il n’a pas été reconnu de manière large. Il subit en effet une double limite : d’abord à la matière de la commande publique, ensuite à une application encadrée par les principes de liberté et d’égale concurrence (1). En droit communautaire, sa reconnaissance, plus générale puisqu’applicable à l’ensemble de la matière économique au moins, est toutefois limitée en matière de commande publique dans laquelle elle semble toujours liée aux effets des principes de libre circulation et d’égalité (2).
Principes internes de « transparence » et de « transparence des procédures »
Les principes de l’article 1er du Code des marchés publics étaient partiellement présents dans le Code de 1964 depuis une modification de 1992. L’article 47 de ce Code ne visait pourtant pas la transparence, il ne visait que la liberté d’accès et l’égalité de traitement . La référence à la « transparence des procédures » dans le deuxième paragraphe de l’article 1er du Code des marchés publics est par conséquent une nouveauté du Code qui a peu à peu été élevée au niveau constitutionnel ; d’abord négativement par un refus de l’existence d’un « principe fondamental de transparence » (a), ensuite positivement par la reconnaissance d’un principe de valeur constitutionnelle plus réduit de « transparence des procédures » (b).
Le refus d’un principe fondamental de « transparence »
Le Conseil constitutionnel n’a jamais reconnu l’existence d’un principe fondamental de « transparence », il a même explicitement refusé de le consacrer dans sa décision n° 93-335 DC du 21 janvier 199415. Les requérants soutenaient que ce principe, issu de l’article 14 de la Déclaration de 1789, interdisait à la loi déférée de revenir sur des mesures de publicité imposées auparavant par la loi Sapin pour la vente de terrains constructibles ou de droits à construire à des personnes privées par certaines personnes publiques ou parapubliques16. Mais le Conseil a considéré « que la transparence des activités publiques ou exercées pour le compte des personnes publiques ne constitue pas en elle-même un principe général à valeur constitutionnelle »17. La solution avait le mérite de la clarté ; elle doit pourtant être nuancée. 946. D’abord, dans le même considérant de la décision n° 93-335 DC, le Conseil laisse entrevoir la possibilité que l’article de la Déclaration permette de sanctionner un défaut de « transparence » si la loi est privée « des garanties légales qu’elle comporte ». Ensuite et à trois reprises en 1984, 1986 et 1993, le Conseil constitutionnel a semble-t-il accepté de voir dans la transparence un « objectif » dont on peut penser qu’il s’agit en réalité d’un « objectif de valeur constitutionnelle »18. On remarquera l’importance que prend la décision 93-335 DC pour la commande publique dans la mesure où elle porte sur des mesures de publicité, même s’il est vrai qu’elle concerne une publicité lors d’une vente et non d’un achat par la personne publique.
La reconnaissance d’un principe de « transparence des procédures »
La clarification est venue de la décision n° 2003-473 DC du 26 juin 200319 : n’est pas consacré le principe constitutionnel de « transparence », mais bien celui, plus limité et issu du texte de l’article 1er du Code de « transparence des procédures ». La nuance est d’importance puisqu’elle contient une double limite par rapport au principe de transparence. 948. D’une part, elle laisse entendre que ce n’est que dans le cadre des procédures qu’il doit y avoir respect du principe constitutionnel de transparence. Ainsi, le Conseil reconnaît-t-il effectivement la transparence comme un principe qui ne fonde pas les procédures, qui n’impose pas leur existence, mais qui les complète. Le texte de l’article 1er du Code est donc trompeur en présentant les trois principes dans la même phrase, il y a bien une distinction à faire entre les deux premiers – liberté d’accès à la commande publique et égalité des candidats – qui fondent l’existence des procédures et le troisième – la transparence – qui vient les renforcer. On remarquera d’ailleurs que les principes fondant les procédures de passation avaient été reconnus avant même cette décision 473 DC dans les décisions 460 DC et 461 DC20, ce qui n’est pas le cas de la transparence. 949. D’autre part, le principe de transparence est aussi limité à la matière de la commande publique. Il n’y a donc pas de revirement de jurisprudence par rapport à la décision 335 DC, le principe « général »21 de transparence n’est toujours pas reconnu comme « fondamental », mais l’article 14 de la Déclaration de 1789 qui fonde, avec son article 6, les principes de l’article 1er du Code des marchés publics obligent à une « transparence des procédures »22. À bien y regarder, le simple fait que le Conseil constitutionnel modifie la référence textuelle en passant du Code des marchés publics à la Déclaration de 1789 constitue en lui-même une extension. La conséquence de cette modification est en effet que le principe de transparence n’est plus seulement un principe du droit des marchés publics – au sens du code – mais un principe « de la commande publique », c’est-à-dire applicable bien plus largement et seulement « rappelé » par le Code. Les délégations de service public sont donc elles aussi officiellement soumises à ce principe constitutionnel de transparence comme le laissait entendre le titre de la loi Sapin qui crée cette catégorie contractuelle23. 950. En ce sens, on peut s’étonner de la formulation d’un des principes de l’ordonnance du 17 juin 2004 sur les « contrats de partenariat » : le principe « d’objectivité des procédures >. Celui-ci n’apparaît pas comme bien différent de celui de « transparence », mais ce n’est pas ce dernier terme qui a été choisi bien qu’il ait valeur constitutionnelle. Si l’on analyse le terme d’objectivité, on trouve deux sens qui montrent la proximité entre ce terme et celui de transparence : dans un premier sens, l’objectivité signifie « représentation fidèle »25, la transparence contenant aussi cette dimension d’une vision non biaisée de la réalité. Dans un second sens, l’objectivité est synonyme « d’impartialité »26, la transparence, on le verra, a elle aussi pour but de montrer que le choix a été fait sans que des éléments autres que ceux justifiés par l’égalité aient été respectés, c’est-à-dire plus largement sans concussion. Si l’on veut justifier la différence, on notera toutefois que la Cour de justice estime dans son arrêt SIAC Construction du 18 octobre 2001 que « l’égalité de traitement […] suppose que la transparence et l’objectivité de la procédure aient été respectées » ; ce qui peut laisser entendre que les juges communautaires font une différence entre transparence et objectivité de la procédure. Il reste qu’ils ne précisent à aucun moment ni l’objet ni la portée de cette éventuelle différence.