La rhizosphère, l’endosphère et leurs microbiotes
Définition et caractéristiques
La rhizosphère a été définie pour la première fois par Hiltner en 1904 comme étant le volume de sol directement sous l’influence des racines d’une plante (Hiltner, 1904 ; Hartmann et al., 2008). La racine peut être divisée en deux sous-compartiments distincts : le rhizoplan qui correspond à la surface externe et l’endosphère définit comme l’ensemble des tissus internes de la racine (Figure 1). Ce sont des zones très favorables à la prolifération et à l’activité de nombreux micro-organismes tels que les bactéries, champignons, archées, oomycètes, virus, protistes, algues et nématodes (Mendes et al., 2013). L’« effet rhizosphère » est dû à la libération d’exsudats racinaires dans le sol, sous forme d’une multitude de composés tels que des acides organiques, des sucres, des acides aminés, des protéines, des acides gras, des composés de défense tels que les flavonoïdes et des facteurs de croissance telles que les hormones (Badri & Vivanco, 2009 ; Turner et al., 2013). On trouve également dans cette zone une accumulation de cellules végétales mortes et de mucilage participant à la nutrition des micro-organismes (Phillipot et al., 2013 ; Figure 2). La présence de ces molécules en fait donc une zone riche en composés carbonés et donc potentiellement de nutriments, augmentant ainsi la densité microbienne de l’ordre de 10 à 1000 fois par rapport au sol non en contact avec les racines (Ricon-florez et al., 2015). La colonisation de la rhizosphère par diverses communautés de micro-organismes (Figure 1) permet la mise en place d’importantes fonctions de défense contre des pathogènes et d’apports de nutriments bénéfiques à la plante-hôte (Adam et al., 2016). L’émergence de racines latérales peut être à l’origine de l’apparition de disjonctions cellulaires à la surface de la racine principale formant alors des points d’entrée pour les micro-organismes de la rhizosphère vers l’intérieur de la racine. Les études de la composition microbienne de la rhizosphère, du rhizoplan et de l’endosphère de plusieurs espèces végétales indiquent que ces différents habitats écologiques contiennent des micro-organismes du sol avec des structures phylogénétiques distinctes (Bulgarelli et al., 2012 ; Lundberg et al., 2012). I. La rhizosphère, l’endosphère et leurs microbiotes Chapitre I : Synthèse bibliographique 14 Figure 1 – Les différentes niches à l’interface racine-sol (d’après Mendes et al., 2013). Différentes parties existent au sein d’une racine : l’endosphère correspond à la partie interne des racines des plantes et abritent champignons et bactéries endophytes tandis que le rhizoplan correspond à la surface externe des racines des plantes. Figure 2 – La rhizosphère et les micro-organismes associés (Phillippot et al., 2013).
Des niches spécifiques
L’enrichissement des communautés de micro-organismes spécifiques de la rhizosphère et de l’endosphère a été décrit pour diverses plantes dont la plante herbacée modèle, Arabidopsis thaliana (Sperber & Rovira, 1959 ; Newman, 1985 ; Sørensen, 1997 ; Selosse et Le Tacon, 1998 ; Germida et al., 1998 ; Grayston et al., 1998 ; Bulgarelli et al., 2013 ; Lundberg et al., 2012). L’ensemble des communautés rhizosphériques correspond à un assemblage de micro-organismes issus du sol adaptés aux conditions physico-chimiques associées à la rhizosphère et capables de consommer des métabolites produits par la plante via l’exsudation racinaire (Bulgarelli et al., 2013 ; Lundberg et al., 2012). Concernant les communautés endosphériques, il s’agit de l’ensemble des micro-organismes sous le contrôle de la plante hôte (Bulgarelli et al., 2012). La composition et la structure du microbiote des plantes sont régulées par différents facteurs biotiques et abiotiques. Par exemble, le type de sol est un facteur déterminant dans le contrôle de la biomasse et de l’activité microbienne (Cao et al., 2016 ; Li et al., 2018). L’affinité de la plante ainsi que les interactions entre les microorganismes ont également un impact majeur dans l’établissement du microbiote racinaire (Lou et al., 2014 ; Hassani et al., 2018). Les récentes avancées technologiques en matière de séquençage nous permettent désormais d’étudier en profondeur la diversité microbienne et fongique associée aux plantes et au sol ainsi que de connaître l’influence de l’espèce hôte et de l’origine du sol sur les associations fongiques et bactériennes en interaction avec les racines (Bonito et al., 2014).
Régulation du microbiote racinaire : les facteurs biotiques
En écologie, les facteurs biotiques correspondent à l’ensemble des interactions du vivant sur le vivant dans un écosystème. Le génotype ou l’espèce de la plante hôte (appelé « effet hôte ») ont un rôle important dans la structuration et la composition taxonomique et fonctionnelle des communautés de micro-organismes de la rhizosphère et de l’endosphère. Plus précisément, il a été mis en évidence que les traits phénotypiques, la quantité et la qualité des exsudats racinaires ainsi que les systèmes de défense et de protection des plantes sont des facteurs clés de régulation du microbiote racinaire (Hu et al., 2018 ; Haichar et al., 2008 ; Doornbos et al., 2012 ; Turner et al., 2013).
Les exsudats racinaires et les métabolites
Les plantes sont des organismes autotrophes c’est-à-dire des organismes vivants qui n’ont pas besoin d’une source de carbone organique pour se développer. Elles ont la capacité de fabriquer leur propre carbone grâce à la photosynthèse. La photosynthèse est l’ensemble des réactions permettant aux végétaux (algues et plantes) mais également à certaines bactéries de convertir l’énergie lumineuse en énergie chimique utilisable pour la Chapitre I : Synthèse bibliographique 16 synthèse de la matière organique. Durant ce processus, les glucides (C6H12O6) sont obtenus suite à l’assimilation du dioxyde de carbone (CO2) grâce à l’ensemble des réactions produisant le pouvoir réducteur (NADPH) et une source d’énergie (ATP) issue de la photolyse de l’eau couplée à un dégagement d’oxygène (Ziska & Brunce, 2006). Ces éléments (lumière, CO2, eau et nutriments) sont indispensables à la croissance des plantes. Les échanges gazeux sont assurés par des organes particuliers situés sur la face supérieure des feuilles : les stomates. Ces derniers régulent leur ouverture et fermeture en fonction de la température, de la concentration en CO2, du taux d’humidité et de la lumière qui joue également un rôle déterminant dans la croissance végétale et la réalisation de la photosynthèse. La production primaire de sucre issu de la photosynthèse est le fructose-6-phosphate transformé par la suite en saccharose pour le transport et en amidon pour le stockage (Heller et al., 1993). Une partie de ces réserves sera utilisée pour la production de molécules plus complexes du métabolisme primaire (acides aminés, lipides, acides organiques…) et de composés associés à la formation des parois cellulaires (cellulose, lignines…) permettant à la plante de constituer sa biomasse aérienne et racinaire. Une autre fraction de ces sucres de réserve sera stockée dans les parties racinaires (Heller et al., 1993). On estime que 5 à 21 % du carbone assimilé par la photosynthèse n’est pas directement utilisé par la plante mais est achéminé dans les racines pour être directement libéré dans le sol, au niveau de la rhizosphère et, donc, transféré aux micro-organismes associés sous forme de sucres solubles, acides aminés ou de métabolites secondaires (Badri & Vivanco, 2009 ; Badri et al., 2013 ; Chaparro et al., 2012). Les exsudats racinaires des plantes peuvent être divisés en deux classes : les composés de faible poids moléculaire comme les acides aminés, les acides organiques, les sucres, les composés phénoliques et les métabolites secondaires et les composés de haut poids moléculaire tels que les polysaccharides et les protéines (Bais et al., 2006 ; Badri & Vivanco, 2009). Les plantes sont capables de modifier la composition et la structure du microbiote du sol en contact avec les racines en sécrétant des molécules actives dans la rhizosphère. Le stade de croissance et de développement de la plante a un impact sur la quantité et la nature des composés carbonés libérés par la plante (Badri & Vivanco, 2009). La quantité et la qualité en termes de composition des exsudats racinaires dépend également de l’espèce végétale (Uren, 2000 ; Badri & Vivanco, 2009) qui influence la composition et la structure des communautés de micro-organismes du sol suggérant un certain degré de spécifité pour chaque espèce végétale. De plus, certains exsudats racinaires (e.g. acides organiques) sont également susceptibles de modifier le pH et les gradients redox influençant ainsi la composition et la structure des communautés microbiennes (Schmidt et al., 2011). Les élements sécrétés par les racines de la plante sont à l’origine de diverses interactions plantes-microorganismes. Ces interactions peuvent être neutres, bénéfiques ou délétères pour les partenaires. L’ensemble de ces micro-organismes consomme différents types de composés sécrétés par les racines. Ils consomment très rapidement les métabolites primaires ce qui rend pratiquement impossible la collecte d’exsudats racinaires purs dans le sol (Oburger & Jones, 2018). Ces micro-organismes peuvent également affecter le processus Chapitre I : Synthèse bibliographique 17 d’exsudation. Dans la rhizosphère des plantes herbacées comme la luzerne ou le blé, certains micro-organismes libèrent des composés secondaires qui stimulent l’exsudation d’acides aminés par les racines (Phillipps et al., 2004) alors que d’autres sont capables de modifier le métabolisme de la plante entière (Fernandez et al., 2012). Bien que beaucoup de recherches concernant l’impact des exsudats racinaires sur les communautés de microorganismes du sol ont été menées sur les plantes de grandes cultures, relativement peu de travaux ont été menés dans la rhizosphère des arbres (Uroz et al 2016). L’allocation du carbone étant très différente entre les plantes annuelles et les plantes à long cycle de vie comme les arbres, les processus de régulation des composés exsudés via les racines devraient être différents. Chez le tremble, la concentration en composés carbonés non structuraux c’est-à-dire le carbone stocké dans les parties pérennes de l’arbre influence les taux d’exsudation du carbone organique et ainsi les communautés de micro-organismes de la rhizosphère (Karst et al., 2017). Les plantes utilisent les composés sécrétés dans le sol pour attirer les communautés de micro-organismes bénéfiques mais également pour se défendre contre les micro-organismes pathogènes grâce à la production des métabolites secondaires comme les phytohormones de défense.
B. Le système immunitaire des plantes
Les plantes possèdent des barrières naturelles physiques et chimiques préformées dont l’une des fonctions principales est d’empêcher la pénétration de tissus par des micro-organismes pathogènes. Il s’agit de la cuticule et l’épiderme. Le pathogène doit adhérer sur ces barrières et les rompre pour pouvoir pénétrer à l’intérieur des tissus de la plante. En plus de ces barrières, la plante est capable de produire des molécules toxiques pour les micro-organismes pathogènes tels que des métabolites secondaires (acides phénoliques, flavonoïdes, hormones de défense). Les phytohormones comme l’éthylène, l’acide salicylique et l’acide jasmonique sont généralement impliquées dans la régulation de la résistance des plantes faces aux pathogènes et aux insectes ravageurs (Pusztahelyi et al., 2015). Enfin, le microbiote commensal des plantes défini comme l’ensemble des microorganismes résidant à la fois dans la rhizosphère et sur la plante et ayant une relation mutualiste avec cette dernière constitue également une barrière. Le mécanisme le plus important de ces micro-organismes qui ne nuisent pas à la plante, lorsqu’elle est en bonne santé, est l’effet de compétition qui empêche l’établissement de micro-organismes pathogènes (Berendsen et al., 2012)