La représentation diffusive
Les opérateurs linéaires intégraux c’est à dire les opérateurs H de la forme : R h(t, s)u(s)ds (1) sont très fréquents dans les modèles de la physique. L’étude de tels opérateurs est donc primordiale et d’autant plus délicate que la classe d’opérateurs considérée est très vaste : elle englobe en particulier les opérateurs rationnels et, si le noyau h est étendu aux distributions, les opérateurs différentiels. Tant pour l’analyse que pour la mise en œuvre numérique, il peut paraître judicieux d’en chercher une formulation plus intéressante que la formulation intégrale (1), par nature de manipulation délicate. En effet la formulation (1) est héréditaire : la détermination de la valeur de Hu à un temps t fait intervenir tout le passé de u, ce qui, du point de vue numérique par exemple, n’est pas économique. L’approche dénommée représentation diffusive, présentée dans [6], s’inscrit dans cette problématique : elle permet la formulation de H au moyen de réalisations d’état, c’est-à-dire, dans le cas ou l’opérateur H est causal et u à support dans R+ : X˙ = Bu, (2) Hu = CX, (3) ou B et C sont des opérateurs locaux en temps. Du fait de la localité des opérateurs et de l’équation, cette formulation n’est pas héréditaire, une intégration de ”proche en proche” de (2) pouvant ˆetre réalisée, ne nécessitant aucunement la mémorisation du passé de u. La disparition de la nature héréditaire dans la formulation d’état (2,3) est en fait due à l’introduction de la variable intermédiaire X dans laquelle est ”résumé” le passé de u d’une manière suffisante pour la synthèse de H définie par l’opérateur C. Au delà des opérateurs H causaux, on pourra trouver dans [6] des formulations d’état généralisées de la forme : DX = Bu, Hu = CX, ou D est un opérateur local plus général que ∂t , éventuellement spatial. Via la représentation diffusive on a accès à des réalisations d’état variées d’opérateurs intégraux, ce qui, sur le plan numérique notamment, permettra la simulation de systèmes complexes. Mais cette approche est bien plus qu’une méthode dédiée aux seules approximations numériques : c’est une méthodologie générale qui fournit un cadre mathématiques unifié pour l’analyse, la manipulation et la réalisation concrète d’une grande classe d’opérateurs intégraux. Ainsi, un opérateur rationnel simple et un opérateur non convolutif très complexe sont selon cette approche appréhendés et traités de manière identique et relativement simple, le passage aux réalisations numériques utilisables étant possible à tout moment. L’essentiel de la représentation diffusive (dans le cas causal) est présenté dans les paragraphes qui suivent.
Principe général
On considère un opérateur linéaire intégral causal H de noyaux h (cf. (1)) et de ”réponse impulsionnelle” h définie par h(t, s) := h(t, t − s), avec h(t, .) supposée, dans un premier temps, localement intégrable pour tout t. Par simple réécriture de (1), on déduit : (Hu)(t) = (h(t, .) ∗ u)(t) = R R h(t, s)u(t − s)ds = R R h(t, s)u(t, s)ds, 3 Z (Hu)(t) = La Repr´ ou u(t, s) = u(t − s) est appelée histoire de u (à l’instant t). Avec la notation < f, g >:= R f(s)g(s) ds, on obtient alors la propriété fondamentale pour la suite : ∀t, (Hu)(t) =< h(t, .), u(t, .) >, c’est-à-dire : le résultat de l’opérateur H sur une fonction u s’exprime par le produit (au sens du crochet < ., . >) de la réponse impulsionnelle de H et de l’histoire de u. On notera d’une part que le produit < ., . > est indépendant de t (au sens ou le domaine parcouru par s l’est), d’autre part qu’à chaque t (fixé), h(t, .) et u(t, .) sont des fonctions d’une variable temps s ∈ R. Ces deux propriétés, qui ne sont pas vérifiées sous la formulation initiale (1), vont permettre d’une part des transformations simples et riches en propriétés intéressantes, d’autre part de définir un cadre topologique clair basé sur les espaces fonctionnels en dualité par le produit < ., . >. On considère une transformation linéaire inversible A (indépendante de t et portant sur u(t, .)) telle que, de manière pour l’instant formelle, on ait : (Hu)(t) =< h(t, .), A −1Au(t, .) > . En transposant A−1 sur h(t, .) via son adjoint formel, on a : (Hu)(t) =< (A −1 ) ∗h(t, .), Au(t, .) >, soit encore : (Hu)(t) =< µ(t, .), ψ(t, .) > avec ψ(t, .) = (Au(t, .)) et µ(t, .) = (A∗ ) −1h(t, .). On a ainsi accès à de nouvelles formulations de l’opérateur u 7→ Hu qui toutes ont l’avantage de ”séparer ce qui se rapporte à H de ce qui se rapporte à u”, et dont certaines pourraient ˆetre particulièrement intéressantes. Ainsi par exemple, le cas ou ψ serait solution d’une équation différentielle de ”résolution aisée”, du type : ∂tψ = f(ψ, u) pourrait présenter de gros avantages sur le plan numérique. Considérons maintenant l’opérateur linéaire (∂t − pI). On peut montrer que cet opérateur admet un inverse dans L+(L 2 (R)), algèbre des opérateurs linéaires continus et causaux dans L 2 (R), si et seulement si Re(p) < 0. On introduit alors la définition abstraite (dont la justification apparaîtra plus loin) : Définition 1 On appelle opérateur de représentation diffusive, noté Rd, la fonction opératorielle : Rd : R ∗ − + iR −→ L+(L 2 (R)) p 7−→ Rdp = (∂t − pI) −1 On note Ψ(t, .) la représentation diffusive de u, c’est à dire Ψ(t, p) = Rdpu(t). Il découle de la définition précédente que Ψ est l’unique solution de la famille d’équations différentielles dans L 2 (Rt) : ∂tΨ(t, p) = pΨ(t, p) + u(t). (4) La fonction Ψ étant solution d’une équation différentielle, elle pourra, dans le cas ou u est à support dans [t0, +∞[, ˆetre obtenue (éventuellement numériquement) par intégration de cette 4 équation à partir d’une condition initiale Ψ(t0, p) = 0. On cherche donc à définir un opérateur A adapté, c’est-à-dire par exemple tel que : (Au(t, .))(ξ) = (∂t − γ(ξ)I) −1u(t), γ(ξ) ∈ R ∗ − + iR, ou γ est une fonction de ξ ∈ R. Pour cela, on considère un contour γ ⊂ R−+iR défini par un arc simple fermé (éventuellement à l’infini) qui sépare C en deux sous-espaces connexes disjoints notés Ω+ γ et Ω− γ . Pour des raisons techniques qui apparaîtront plus loin, on suppose en outre vérifiées les hypothèses suivantes : ∃αγ ∈] π 2 , π[, ∃a ∈ R tels que : • e i[−αγ, αγ]R+ + a ⊂ Ω + γ , (5) • R ∗ + + iR ⊂ Ω + γ , (6) • γ ∩ iR de mesure nulle. (7) Fig. 1 – Exemple de contour γ. On suppose enfin que l’arc γ est paramétré au moyen d’une fonction encore notée γ : ξ ∈ Jγ ⊂ R 7−→ γ(ξ) ∈ R− + iR lipschitzienne, et qu’il existe b, c > 0 tels que b ≤ ¯ ¯γ 0 (ξ) ¯ ¯ ≤ c ξ-pp. (8) De ce qui précède, on déduit aisément que Rdγ(ξ)u(t) est l’unique solution de l’équation différentielle dans L 2 (Rt) : ∂tψ(t, ξ) = γ(ξ)ψ(t, ξ) + u(t), ξ ∈ Jγ. (9) Remarque 2 Du fait de la condition sectorielle (5) imposée au contour γ, cette équation est de nature diffusive [10]. Grˆace à cette propriété, des approximations relativement peu coˆuteuses de l’équation d’état (9) pourront ˆetre construites. En effet, la discrétisation en ξ de γ sera d’autant moins fine que le contour s’éloignera de l’axe imaginaire pur : quelques dizaines de points de discrétisation en ξ seront en pratique suffisants. 5 Lorsque u est à support dans [t0, +∞[, on a nécessairement ψ(t0, ξ) = 0 ; d’après la formule de Duhamel pour (9) et en notant L la transformation de Laplace causale : Rdγ(ξ)u(t) = Z t t0 e γ(ξ)(t−s)u(s)ds = Z +∞ −∞ e γ(ξ)(t−s)u(s)1R+ (t − s)ds ξ-pp, d’ou : Rdγ(ξ)u(t) = Z +∞ −∞ e γ(ξ)su(t − s)1R+ (s)ds = Z +∞ 0 e γ(ξ)su(t, s)ds = (L+u(t, .))(−γ(ξ)) ξ-pp. On peut alors exprimer l’opérateur A précédemment évoqué de la manière suivante : Définition 3 On note Lγ l’opérateur défini par : (Lγg)(ξ) = Z +∞ 0 e γ(ξ)s g(s)ds = (L+g)(−γ(ξ)) On a en effet : Rdγ(ξ)u(t) = (Lγu(t, .))(ξ) ξ-pp, d’ou, toujours formellement : (Hu)(t) =< µ(t, .), ψ(t, .) >ξ, avec ψ(t, ξ) = (Lγu(t, .))(ξ) et µ(t, ξ) = ((L ∗ γ ) −1h(t, .))(ξ). Proposition 4 L’adjoint L ∗ γ de l’opérateur Lγ est défini par : (L ∗ γ f)(s) = Z Jγ e γ(ξ)sf(ξ)dξ si s > 0 0 si s ≤ 0 Preuve. Par définition, on a : < L ∗ γ f, g >s=< f,Lγg >ξ . Donc, sous réserve d’applicabilité du théorème de Fubini : < L ∗ γ f, g >s = Z Jγ f(ξ) Z +∞ 0 e γ(ξ)s g(s)ds dξ = Z +∞ −∞ g(s)1R+ (s) Z Jγ e γ(ξ)sf(ξ)dξ ds = < 1R+ (.) Z Jγ e γ(ξ).f(ξ)dξ, g >s . Remarque 5 On a (L ∗ γµ(t, .))(s) = h(t, s). Or, par définition de L ∗ γ , supp(L ∗ γµ(t, .)) ⊂]0, +∞[. Donc les opérateurs considérés sont nécessairement causaux. 6 De manière formelle on a donc bien : (Hu)(t) =< µ(t, .), ψ(t, .) >ξ avec ψ(t, ξ) = (Lγu(t, .))(ξ) et (L ∗ γµ(t, .))(s) = h(t, s). Au-delà du cadre formel, cette égalité n’est cependant légitime que sous certaines hypothèses. En effet, on a : (Hu)(t) = Z +∞ −∞ h(t, s)u(t, s)ds = Z +∞ −∞ (L ∗ γµ(t, .))(s)u(t, s)ds = Z +∞ −∞ 1R+ (s) Z Jγ e γ(ξ)sµ(t, ξ)dξ u(t, s)ds, expression égale à : Z Jγ Z +∞ 0 e γ(ξ)su(t, s)ds µ(t, ξ)dξ = Z Jγ (Lγu(t, .))(ξ)µ(t, ξ)dξ = Z Jγ ψ(t, ξ)µ(t, ξ)dξ. si et seulement si le théorème de Fubini est applicable. Ce point, essentiel pour l’applicabilité de la méthode, fait l’objet des paragraphes suivants qui permettent de donner un sens rigoureux aux développements formels précédents. On notera que les hypothèses requises imposent certaines restrictions significatives qui devront ˆetre soigneusement prises en compte en pratique, faute de quoi des résultats absurdes seraient à craindre. 1.2 Cas particulier µ(t, .) ∈ L 1 loc : théorème fondamental On rappelle tout d’abord les hypothèses suivantes concernant γ : ∃αγ ∈] π 2 , π[, ∃a ∈ R tels que : • e i[−αγ, αγ]R+ + a ⊂ Ω + γ (10) • R ∗ + + iR ⊂ Ω + γ (11) • γ ∩ iR de mesure nulle (12) • il existe b et c tels que 0 < b ≤ |γ 0 (ξ)| ≤ c ξ-pp. (13) Soit H(t, .) := Lh(t, .) le symbole Laplace d’un opérateur intégral causal H de réponse impulsionnelle h telle que h(t, .) soit localement intégrable pour tout t. Soit γ un contour vérifiant les hypothèses rappelées ci-dessus. Sous ces hypothèses, on a le résultat : Théorème 6 Si : I (i) H(t, .) est holomorphe dans Ω + γ avec un nombre fini de points de branchement sur γ notés pk, tels que : ∀k, ∀t, ∀s > 0, Z c k r e psH(t, p)dp −→r→0 0, ou c k r est le cercle de centre pk et de rayon r, I (ii) la trace de H(t, .) sur γ est localement Lebesgue intégrable sur γ, I (iii) et il existe une suite (ρn)n telle que ρn −→n→+∞ +∞ et H(t, ρn e iθ) −→n→+∞ 0 uniformément par rapport à θ ∈ [ π 2 , 3π 2 ], 7 alors ∀u à support minoré par t0, (Hu)(t) s’exprime par : (Hu)(t) = Z Jγ µ(t, ξ)ψ(t, ξ)dξ =< µ(t, .), ψ(t, .) >ξ, ou µ(t, .) solution de L ∗ γµ(t, .) = h(t, .), et ψ(t, ξ) solution de ½ ∂tψ(t, ξ) = γ(ξ)ψ(t, ξ) + u(t), ∀ξ ∈ R ψ(t0, .) = 0. (14) Preuve. Par simplicité, on considère seulement le cas γ borné ; le cas non borné se traite de manière identique aux adaptations techniques près. Sans perdre de généralités, on suppose que t0 = 0. On a : ∀t > 0, ∀s > 0, h(t, s) = (L −1H(t, .))(s) = 1 2iπ Z a+i∞ a−i∞ e psH(t, p) dp = 1 2iπ lim R→+∞ Z a+iR a−iR e psH(t, p) dp, avec a ∈ R ∗ + dans le domaine de convergence de l’intégrale. Le contour γ étant fermé, il existe un R > 0 à partir duquel on peut définir un contour Γ de la forme donnée en figure (2).