La protection des créanciers en droit des sociétés

 La protection des créanciers en droit des sociétés

En l’absence de confusion de patrimoine ou de fictivité (et en dehors des   domaines régis par des règles particulières1184), la société mère n’assume aucune responsabilité du fait de ses filiales et vice versa. La personnalité juridique des sociétés composant le groupe interdit de tenir l’une pour responsable en raison du comportement des autres1185 . Dans le même ordre d’idées, la société mère ne commet aucune faute civile en décidant de ne pas accorder son soutien financier à une filiale en difficulté1186 . Ce principe énonce d’ailleurs que, « lorsqu’il s’agit d’évaluer si les difficultés rencontrées par une filiale justifient l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, la situation financière de la société mère ne puisse être prise en considération1187 ». Il en résulte ainsi que les créanciers de la première qui prétendent être victimes d’un préjudice causé par la société mère ne peuvent que rechercher la responsabilité de cette dernière en se fondant sur sa faute personnelle, celle commise à l’occasion de l’exercice de ses prérogatives au sein de la filiale. Ils devraient d’abord établir que cette société dispose d’une qualité attributive des pouvoirs de gestion ou de décision à l’égard de la filiale, et ensuite prouver qu’elle avait commis une faute liée à l’exercice de ses fonctions sociales. Une fois ces éléments établis, la société mère dirigeante ou associée majoritaire peut se voir imputée tout ou partie du passif de sa filiale. Cependant, il faut noter qu’il n’y a pas lieu d’évoquer l’extension de la procédure collective de redressement ou de liquidation judiciaire ouverte à l’encontre de la société filiale à la société mère dirigeante ou associée. En effet, depuis la loi du 26 juillet 2005 le législateur a supprimé les extensions prévues auparavant à l’article 7 de la loi du 25 janvier 1985, au détriment des associés ou des dirigeants de la personne morale débitrice. Ainsi, il n’existe plus aujourd’hui que les deux cas prévus à l’article L. 

Section I : La société mère, dirigeante de sa filiale 

 La société mère peut être poursuivie par les créanciers de sa filiale si elle a commis en tant que dirigeante1189, une faute de gestion ou une violation des statuts ou des lois applicables1190. Comme nous l’avons étudié plus haut, les Codes de commerce français et libyen n’interdisent pas aux personnes morales d’exercer la direction sociale, conférant aux sociétés mères, associées majoritaires de leurs filiales, une opportunité pour se faire nommer dirigeante de celles-ci. Elles peuvent exercer cette fonction par leur représentant légal ou par une autre personne, telle qu’un salarié ou un dirigeant. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’une filiale de forme anonyme, la direction se caractérise par une large flexibilité, notamment après l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 (inhérente à la modernisation de l’économie), qui a permis aux associés de choisir les membres du conseil d’administration parmi eux ou parmi des tiers. La société mère, actionnaire majoritaire de sa filiale, pourra se voir nommer membre du conseil d’administration de celle-ci, ou attribuer cette qualité à une personne subordonnée, telle un salarié ou une autre filiale. Mais dans ce dernier cas, elle n’aura pas la qualité de dirigeant de droit. 611. En revanche, la société mère n’a pas vocation à endosser la qualité de représentant légal de sa filiale, c’est-à-dire celle de président du conseil ou de directeur général1191. Ces postes ne peuvent être confiés qu’à une personne physique, choisie par le conseil d’administration, parmi ses organes, ou à des tiers. Même si cette société fait partie du conseil d’administration de sa filiale, son président ou directeur général ne peut s’investir dans ces fonctions, n’étant pas attaché à son poste de manière autonome, mais en tant que mandataire d’une personne morale administrateur. Pour autant, lorsqu’il s’agit d’une filiale anonyme de structure nouvelle (dualiste), les membres de son directoire doivent être des personnes physiques (C. com. art. L. 225-72). Cette exigence exclut toute possibilité pour la société mère de s’attribuer la qualité de dirigeant de sa filiale. Cependant les membres du conseil de surveillance peuvent être des personnes physiques ou morales, choisies parmi les associés ou des tiers. La société mère trouve dès lors vocation à se faire désigner dans ce conseil et exercer les pouvoirs attribués à ses membres, notamment ceux de nommer et contrôler les membres du directoire de sa filiale. 612. De surcroît, le régime de la SAS est souvent conçu dans les groupes de sociétés comme un mode approprié aux filiales, étant donné la flexibilité des règles afférentes à la direction. Dans cette forme sociale, la plus grande latitude est conférée aux associés afin d’adapter la société aux besoins d’aménagement du pouvoir éprouvés par les groupes pour l’exercice d’une activité déterminée1192. Une filiale revêtue d’une telle forme se soumettra facilement au contrôle de sa mère puisque sa direction peut être confiée à une seule personne physique ou morale1193, parmi les associés ou des tiers. Dans cette souplesse d’organisation, la société mère trouve une large possibilité de se faire désigner dirigeante unique, voire présidente du conseil d’administration de sa filiale, exerçant ses fonctions par son représentant permanent, qui peut être un dirigeant ou un salarié. Dans tous ces cas, les conditions de nomination, révocation et rémunération, ainsi que la durée du mandat social, sont déterminées par les statuts de la filiale. La société mère dirigeante ou présidente doit respecter les obligations légales et statutaires relatives à ces qualités. Elle assume en cas de violation, la responsabilité qui en découle. 613. Du reste, non loin de ce régime, on trouve le statut juridique de la SCA qui confère aux associés une totale liberté sur l’organisation de sa direction. Ces derniers disposent du pouvoir de nommer les gérants parmi eux ou des tiers, personnes physiques ou morales. Les dirigeants peuvent gérer la société de toutes les façons qu’ils jugent adéquates. Ils sont investis de pouvoirs étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société (art. L. 226-7 C. com.) ; les statuts n’ayant pas à limiter ces pouvoirs. A cet égard, la place de ce type de société dans les groupes ne cesse de s’étendre, considérant les avantages qu’elle offre à la société mère dans la gestion et le contrôle de sa filiale portant cette forme. Celle-ci peut s’y faire désigner gérante unique ou confier cette fonction à un dirigeant ou un salarié. Ce régime s’avère d’ailleurs différent de celui de la SARL qui agit en la matière avec une certaine rigidité. La gérance d’une SARL ne peut être confiée qu’à une ou des personnes physiques, parmi les associés ou des tiers. Dans cette condition, la société mère n’a pas à être dirigeante de sa filiale, même si elle peut y désigner un salarié ou un dirigeant personne physique1194 . 614. Dès lors, le législateur procure aux associés dans la plupart des sociétés une large autonomie quant au choix des membres de la direction sociale, favorisant davantage les sociétés mères ou holdings qui veulent verrouiller le contrôle sur leur groupe. Mais, autant cette flexibilité juridique sert la mise en œuvre de la stratégie commune du groupe, autant elle facilite la mise en cause de la société mère dirigeante. Celle-ci, même associée d’une filiale à risque limité, peut s’exposer aux sanctions prévues contre les dirigeants sociaux. Ces sanctions diffèrent cependant selon la situation financière de la société filiale : certaines sont relatives à la filiale in bonis (1ère sous-section), d’autres s’appliquent à celle en difficulté (2ème sous-section).

Sous-section I : La société-mère dirigeante d’une filiale in bonis 

 Être « in bonis » est une expression latine, actuellement d’une utilisation peu fréquente. Elle désigne dans notre étude une société jouissant de l’ensemble de ses droits patrimoniaux. Une filiale in bonis est une entreprise en bonne santé sur le plan financier. A l’inverse on parlera d’entreprise «en difficulté», relativement à une société placée sous le régime de la liquidation judiciaire. L’expression « une société filiale en difficulté» définit celle déchue de ses droits de disposer des biens constituant le gage de ses créanciers. La position des dirigeants de la filiale in bonis implique à cet égard l’application de règles juridiques beaucoup moins strictes que celles afférentes à leurs analogues dans une filiale en difficulté. Il s’agit de l’action en responsabilité pour faute séparable de l’exercice social (I), et de celle en responsabilité civile constitutive d’une infraction pénale (II).

L’action en responsabilité pour faute détachable des fonctions sociales

Dans les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions, le législateur français a élaboré un régime spécial de la responsabilité des dirigeants. L’article L. 223-22 du Code de commerce relatif à la SARL, dispose que «les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion». La même disposition est reprise dans les sociétés anonymes par l’article L. 225- 251, applicable à la SCA et à la SAS (par renvoi des articles L. 226-12 et L. 227-8). Dans ces textes, la responsabilité des dirigeants à l’égard des tiers peut être saisie dans trois hypothèses : violation des dispositions législatives ou réglementaires, violation des statuts, et faute de gestion. En tout état de cause, les tiers sont recevables à agir pour tous les chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux qui découlent de ces agissements fautifs. 617. Quant au droit libyen, l’article 186 du Code de commerce, relatif à la SA (applicable à la SCA et à la SARL), prévoit que « l’associé et le tiers victimes d’un préjudice résultant des actions fautives ou frauduleuses du conseil d’administration, peuvent demander aux membres de celui-ci la réparation». A partir des années quatre-vingts, la jurisprudence française a limité considérablement la portée desdits articles, en décidant qu’à l’égard des tiers  la responsabilité des dirigeants ne peut être engagée que s’ils ont commis une faute personnelle séparable de leurs fonctions ; à défaut, le tiers lésé doit chercher la responsabilité de la société . Les tribunaux, soutenus par la haute juridiction, ont protégé les dirigeants à l’égard du tiers en leur opposant la barrière de la personnalité morale : toute faute commise était nécessairement de gestion et donc devait être assumée par la société elle-même . Comme M. Cozian et ses coauteurs  l’ont fait remarquer, « les juges ont transposé en droit des sociétés les solutions admises en droit administratif selon lesquelles l’agent ne répond que de sa faute personnelle détachable de ses fonctions, et non de sa simple faute de service ». La jurisprudence a donc pu accepter l’application de cette théorie en droit des sociétés, considérant la faute détachable (ou séparable) de l’exercice des fonctions sociales comme la seule qui engage la responsabilité des dirigeants à l’égard du tiers. Une évolution donc, commencée depuis 1982, a établi le principe général selon lequel : le dirigeant n’est responsable que des fautes personnelles détachables de ses fonctions. Les autres fautes sont des fautes « de service » dont seule la société supportera les conséquences.

La faute civile consécutive à une infraction pénale 

 L’acte conclu par le dirigeant peut constituer une infraction pénale : un abus de biens sociaux, une contrefaçon, une fraude, une banqueroute, une concurrence déloyale, une présentation ou publication des comptes non-fidèles, etc. Selon le Code de procédure pénale, les tiers sont en droit de se constituer partie civile pour exercer leur action devant le tribunal répressif. Mais en application du deuxième article de ce Code, seul le préjudice personnel et direct causé par l’infraction permet de demander au juge répressif la réparation du dommage. Ainsi, si le préjudice invoqué par le tiers est dépourvu de tout caractère direct, l’action civile intentée contre le dirigeant ne peut être concevable. Par exemple, les associés d’une filiale ne peuvent réclamer à la société grand-mère la réparation d’un préjudice individuel consécutif à la dépréciation de leurs titres, causée par ses agissements délictueux dommageables au groupe. Cette dépréciation ne résulte pas directement des actes frauduleux de la société grand-mère, mais plutôt des conséquences de ces actes sur le patrimoine de la filiale, consistant en l’aggravation du passif social. De même, selon la Cour de cassation, un comité d’entreprise ou un syndicat ne peut se constituer partie civile pour demander aux dirigeants la réparation du dommage causé par leur faute pénale. 628. Dès lors, on se demande donc dans quelle mesure le préjudice peut être considéré comme direct. La réponse à cette question revêt pour les créanciers de la filiale un intérêt particulier, car la jurisprudence pénale ne retient pas la distinction entre la faute détachable et la faute de gestion en matière pénale1222. Lorsqu’elle constate l’absence du caractère direct du préjudice invoqué, elle invite seulement les demandeurs à présenter leur action à la juridiction civile qui doit opérer une recherche sur cette question. Toutefois, les infractions qui peuvent être imputées à la société mère dirigeante ou gérante sont variées selon leur nature : certaines constituent une violation commise contre la société filiale elle-même, attributive des dommages subis par le tiers ; d’autres sont préjudiciables aux tiers directement.

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