L’ACTION DE L’ETAT DANS LA PRODUCTION DU LOGEMENT EN FRANCE
L’évolution de l’action de l’Etat français dans la production du logement depuis un peu plus de trente ans a fait l’objet de nombreuses recherches. Après deux décennies de très grande implication de l’Etat central dans la production du logement dans les années 1950 et 1960 (Effosse, 2003 ; Fribourg, 2006), la littérature académique insiste surtout sur l’importance des inflexions survenues depuis le milieu des années 1970. a) Avant les années 1970 : un Etat très impliqué dans la production des logements Les travaux de Sabine Effosse et d’Anne-Marie Fribourg (Effosse, 2003 ; Fribourg, 2006) font apparaître un Etat très impliqué dans la production du logement avant les années 1970. Cet engagement remonte en fait à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, qui a laissé un besoin immense en matière de construction de logements. Le plan Courant de 1953, du nom du ministre de la Construction de l’époque, marque notamment le début de cet engagement étatique, avec l’instauration des logements économiques et familiaux (LOGECO) et les primes et prêts du Crédit foncier (Fribourg, 2006). Cette politique de l’Etat en faveur de la construction de logements, mise en place à partir des années 1950, repose sur trois ambitions : la volonté de recréer un marché du logement ; le développement du secteur HLM ; une présence forte de l’Etat à tous les niveaux territoriaux et dans toutes les étapes de la production.
La volonté de recréer un marché du logement
Dès les années 1950, l’Etat poursuit l’objectif de créer successivement les conditions nécessaires à la reconstitution d’une offre et d’une demande privées en matière de production de logements ȋCoing et Topalov, 19ͻ5). Pour ce faire, l’Etat solvabilise les accédants à la propriété via un système de primes et de prêts bonifiés, d’autant plus faciles à mobiliser qu’ils ne sont pas conditionnés au type de population visée par le logement. Il encourage également la constitution d’une épargne-logement des ménages et fait évoluer la réglementation pour diminuer le coût des logements (Effosse, 2003 ; Fribourg, 2006). Au bout du compte, l’Etat fait émerger un secteur aidé particulièrement important, qui dope l’accession à la propriété et la promotion immobilière. Ce secteur du logement aidé devient même le moteur de l’effort de construction en France : de 1950 à 1967, il contribue à l’édification d’environ 0,ͺ million de logements, soit près de 50% de l’ensemble des logements construits (Effosse, 2003). Cette dynamique d’expansion du secteur aidé prend fin à partir de la réforme de 1963, dont l’objectif est de limiter les effets inflationnistes des crédits spéciaux et de dégager les finances publiques du financement de ces prêts. Les aides de l’Etat se recentrent alors vers le plus social et les prêts spéciaux sont soumis à plafonds de ressources (Effosse, 2003). C’est alors le marché libre qui prend progressivement le relais du secteur aidé. Sous l’effet de la réforme ayant touché ce dernier, de l’accroissement des possibilités financières des ménages mais aussi de l’aspiration à la maison individuelle (Fribourg, 2006), la part du logement non aidé dans la production croît quasi-continûment de 1962 à 1979 (Figure n°2). Les années 1970 notamment marquent une très nette évolution de ce ratio.
Le développement du secteur HLM
Outre l’aide apportée au secteur privé, l’Etat accroît par ailleurs son intervention dans le secteur HLM à partir des années 1950. Il s’engage dans un vaste programme de constructions, en s’appuyant notamment sur les « grands ensembles » (Fribourg, 2006). Il mobilise des financements propres mais rend aussi obligatoire la participation des employeurs à l’effort de construction (le 1% patronal) par un décret datant du 9 août 1953 (Heugas-Darraspen, 1994). Au bout du compte, grâce à un effort conséquent de l’Etat, la part du parc social dans l’ensemble de la construction de logements ne faiblit jamais jusqu’au milieu des années 1970 (Figure n°3).Le pourcentage des logements (LM dans l’ensemble des logements existants passe ainsi d’environ ʹ% en 1955 à environ 14% en 1980 (Figure n°4). Ils s’adressent en outre à une très large part de la population française.
Une présence forte de l’Etat jusqu’au niveau local
Au cours de la période qui s’écoule des années 1950 au milieu des années 1970, l’Etat est par ailleurs omniprésent et omnipotent dans la production du logement. Il est un acteur central à toutes les échelles territoriales, du national jusqu’au local, et à toutes les étapes (politique foncière, aménagement, réglementation en matière d’urbanisme, financement…). L’ingénierie publique qui encadre la construction est quasi-exclusivement celle de l’Etat. Ainsi, comme le résume Patrick Kamoun au sujet de la production du logement, l’Etat est « la première puissance financière, le premier employeur et le premier producteur. ȋ…) )l va normaliser, impulser, régenter, conduire » (Kamoun, 2005). La politique des grands ensembles en constitue une bonne illustration. Cette politique des ZUP (Zones à Urbaniser en Priorité), mise en place en 1957, vise à créer de nouveaux quartiers en banlieue afin de permettre une augmentation massive de la construction de logements. « Pour la première fois, création de logements et équipements publics nécessaires à ces logements sont programmés en même temps » (Fribourg, 2006). Quelques 200 « quartiers ZUP » sont ainsi créés de toutes pièces jusqu’en 1969 grâce à la capacité de l’Etat à intervenir à toutes les échelles territoriales ȋdu programme national jusqu’au quartier) et sur tous les plans ȋde l’urbanisme au financement).