LA GESTION DES RISQUES EN PRATIQUE DU GERABLE A L’ACCEPTABLE

LA GESTION DES RISQUES EN PRATIQUE DU GERABLE A L’ACCEPTABLE

Les pratiques de gestion des risques en entreprises sont issues d’une longue tradition d’ingénierie. Elles reposent comme nous l’avons vu sur des représentations construites à l’aide d’instruments de mesure permettant de rendre tangible et de mesurer des grandeurs telles que la fréquence d’occurrence d’un évènement ou encore l’ampleur des conséquences. Nous avons vu qu’il existait aujourd’hui une instabilité chronique des représentations mais aussi une incapacité toujours plus grande des outils usuels à les produire de manière à permettre l’action dans les situations. Dès lors, la question des modes d’action à mettre en œuvre dans les situations devient moins triviale que dans un environnement stabilisé. Pour analyser les modes d’action en gestion des risques, nous allons tout d’abord chercher à en décrire les pratiques courantes dans les organisations. Nous verrons en ce sens qu’il existe une focalisation extrême sur la notion d’évènement qui fonde ainsi l’ensemble des représentations existantes des risques dans les situations (1.1). Nous montrerons ensuite que cette dictature de l’évènement comme objet pour la gestion des risques nous permet de dresser une typologie des modes d’action à risques selon les représentations dressées des situations en question (1.2). Nous verrons, enfin, les limites théoriques et pratiques que peut receler l’approche dominante par les évènements. Il s’agira alors de confronter les pratiques en gestion des risques aux problèmes liés à la représentation des situations que nous avons déjà évoquées (1.3). 

L’EVENEMENT DANS LA GESTION DES RISQUES 

Traditionnellement, la gestion des risques était l’apanage des ingénieurs. Ceux-ci construisent des savoirs techniques fondés sur une évaluation multiple d’évènements probables. Lorsque ces évènements sont qualifiés d’inacceptables parce que dépassant un certain seuil de probabilité d’occurrence et un niveau de conséquences données, les ingénieurs installent des routines organisationnelles (systèmes de règles) et des dispositifs techniques (Equipement de Protection Individuel, par exemple) visant à « réduire » les risques considérés. Cependant, nous sommes ici dans une démarche « quasi-positiviste » – terme emprunté à Romain Laufer (Laufer, 1993) – où il faut supposer que le risque existe et soit mesurable, pour pouvoir l’identifier et l’évaluer (méthodes AZOP, IDER, par exemple) puis le maîtriser en élaborant des outils de gestion techniques ou organisationnels. Il est communément admis dans les méthodologies de gestion des risques (manuels de gestion des risques ou recommandation de consultants en gestion des risques) que l’on peut définir quatre modes d’action en gestion des risques qui correspondent à quatre grands types d’évaluation des évènements. Figure 5 : représentation traditionnelle des risques dans l’espace probabilités/conséquences Les risques à faible probabilité d’occurrence et criticité faible, situées dans le quart nord-ouest du graphique, requièrent de la part des acteurs une tolérance et de ce fait ne ferons pas l’objet d’une gestion particulière. Les évènements concernés font partis de la zone des risques acceptables et donc ne donne pas lieu à des actions correctrices ou protectrices. Les risques à probabilité et à criticité moyenne – c’est-à-dire proche du centre de la frontière d’acceptabilité des risques – demandent, au contraire, un ensemble d’actions de la part du gestionnaire des risques. Ces évènements doivent être traités en menant d’une part des actions de prévention qui consistent à faire chuter la probabilité d’occurrence et d’autre part des actions de protection qui cherchent à limiter la criticité du risque. Mettre une rampe le long d’escalier est une action de prévention car elle vise à réduire le risque de chute des opérateurs. Le port du casque de protection ainsi que le port d’Equipements de Protection Individuels résulte d’une démarche de protection qui visera alors à réduire la gravité d’un choc sur la tête de l’opérateur. Viennent encore les risques à faible probabilité d’occurrence et à forte criticité. Ces risques relèvent en général de compétences spécifiques que l’organisation elle-même ne peut posséder qu’avec un fort investissement. Dès lors, il est souvent conseillé de transférer le traitement de ces risques à des organisations spécialisées. Le traitement des flocages à l’amiante fait parti de ces risques qui nécessite un transfert vers l’extérieur de l’organisation. Enfin, nous trouvons les risques à criticité et à probabilité fortes. Personne ne peut prendre de tels risques et les actions menés pour les traiter doivent chercher à leur mettre un terme – terminer. Figure 6 : modes d’action en gestion des risques selon le type des évènements considérés inacceptable Domaine du risque acceptable . Si ce modèle est celui qui prévaut dans la plupart des installations industrielles, il n’en oblige pas moins à décréter la frontière entre des risques qui semblent acceptables ou non. Or, les risques sont rarement aussi bien définis et s’ils l’étaient, nous avons vu que l’acceptabilité des situations à risques elle aussi restait incertaine. Mais nous allons voir maintenant que cette approche masque toute une série de situations mal définies et qui mettent en échec ce type de gestion des risques.

DES MODES D’ACTION COLLECTIVE EN RAPPORT AVEC LES REPRESENTATIONS DES SITUATIONS A RISQUES

 Nous avons vu précédemment que les situations à risques pouvaient être caractérisées selon deux axes qui découlaient de la construction de représentations de la situation par les acteurs. Le premier consistait à classer les situations selon la capacité des acteurs à disposer d’actions leur permettant d’agir en vue de modifier la situation initiale et lui enlever ainsi son potentiel de danger. Plus précisément, les situations peuvent être classées selon que les acteurs possèdent des outils – ou ont les capacité de les élaborer – capables de générer des représentations permettant la réduction des risques de la situation. Le second, rapportait la situation à risques à la perception que les acteurs pouvaient en avoir en les classant selon leur degré d’acceptabilité, avec toutes les imprécisions de la notion, c’est-à-dire à la capacité qu’auraient les acteurs à générer des systèmes de règles isomorphes à la phénoménologie issue de la situation. Pour décrire des modes d’action en gestion des situations à risques, il est intéressant de rapprocher à la fois ces moyens d’actions et la perception des situations que peuvent avoir les acteurs. Ainsi, il nous sera possible de faire émerger une relation de contingence entre le type de représentations des situations considérées et les moyens d’actions disponibles au sein de ces situations. Les couples représentations et moyens d’action réunis dans le tableau suivant permettent de faire apparaître quatre postures possibles des acteurs en termes d’action relatives à ces couples perception/moyens. Situation à risques acceptable Situation à risques inacceptable Situation à risques gérable On ne fait rien. Gestion traditionnelle des risques. Ex : méthodes AZOP, IDER, utilisation d’EPI, etc… Situation à risques ingérable C’est la nature. On ne fait rien. Fatalité, ex : maladie incurable risque majeur (Laufer) ou contradiction majeure dans la société Tableau 2 : typologie des situations à risques et des modes d’action en gestion des risques Nous verrons dans un premier temps, que si les acteurs se trouvent dans une situation à risques gérables et acceptables, alors ils peuvent expérimenter le confort d’une action régulée (1.2.1). Dans un second temps, nous nous intéresserons à des situation tout aussi confortable, celle où les acteurs se trouvent dans des situations à risques gérables mais inacceptables, c’est-à-dire le champ de la gestion traditionnelle des risques (1.2.2).Nous observerons ensuite, le cas de situations qui se révèlent acceptables parce que les acteurs n’ont pas de moyen pour agir quant au risques de la situation (1.2.3). Et nous analyserons ensuite des situations qui se révèlent très problématiques pour la gestion des risques aujourd’hui, car elles deviennent de plus en plus courantes et mettent à mal la construction des représentations des situations par les acteurs (1.2.4).

Les situations gérables et acceptables ou le plaisir de l’action par rapport aux règles 

Considérons tout d’abord les cas de situations à risques gérables que l’on croiserait avec les situations à risques acceptables. Il existe des moyens d’actions sur les situations puisque celles-ci sont gérables. Cependant, les situations sont considérées comme acceptables. De ce fait, les acteurs devront assumer la charge due à la réalisation des dommages dans la situation. En cela, les acteurs prennent leurs responsabilités quant à ce qui pourrait se passer dans la situation. Lorsque l’on se promène à pied dans une ville, on accepte de courir le risque d’être écrasé, car nous évoluons dans une situation à risques gérable au sens où il existe des règles de circulation, de limitation de vitesse, etc… On peut donc voir dans cet exemple que la situation comporte des risques mais que la configuration de la situation elle-même permet d’en prendre la responsabilité plutôt que de rester enfermé chez soi. Ici c’est donc le système de règles qui guide l’action et qui la permet au sens où il définit les responsabilités et régule les activités des acteurs. La représentation que l’on peut construire de la situation est alors primordiale pour le déclenchement de l’action. En effet, on pourra observer de nombreuses différences entre les organisations. Ainsi, on peut observer qu’une entreprise spécialisée dans le déflocage de l’amiante n’aura pas la même représentation d’une situation gérable ou même acceptable qu’une entreprise spécialisée dans la fabrication de voitures. Dès lors, la description de semblables types de modes d’action en gestion des risques ne pourra qu’être contingente aux situations à risques considérées.

Les situations gérables et inacceptables : le champ de la gestion traditionnelle des risques 

Considérons pour commencer le cas d’un évènement dont on sait en déterminer à la fois la fréquence et la gravité, on dispose d’un résultat qu’il convient de modifier afin d’éviter sa réalisation. Prenons un exemple. Dans la plupart des usines, on identifie comme assez probable le fait qu’un objet ou un homme chute d’un niveau supérieur sur un autre acteur. La situation qui met en présence à la fois un travail en hauteur susceptible de faire chuter des objets et un travail en contrebas, porte en elle-même le risque que cet objet ou cet individu tombe sur la tête d’un des acteurs évoluant au niveau en dessous. Deux solutions s’offrent au gestionnaire des risques à ce stade ainsi qu’une option impossible. Le gestionnaire des risques pourra éviter de réaliser les actions menées en hauteur pour éviter la chute d’objets. On voit bien que cette solution n’est pas viable si la conception de l’installation n’a pas prévu cette éventualité. Ensuite, le gestionnaire des risques pourra, par exemple, placer des rambardes de sécurité qui permettront de limiter les risques de chute d’objet ou d’individu. Gère-t-on directement les risques ici ? On dirait plutôt que le gestionnaire cherche en fait à modifier les conditions à travers lesquelles les acteurs évoluent. En ce sens il tente de modifier leur situation. La résultante de cette action qu’on qualifiera plus tard, de prévention, sera une baisse de la probabilité d’occurrence de risque de chute d’objets. Enfin, si le gestionnaire des risques impose le port d’un casque de sécurité, cela entraînera une modification de la situation de telle manière à réduire la gravité d’une chute d’objets sur la tête des acteurs en contrebas. Là encore, on ne réduit pas l’évènement lui-même mais l’une des composantes du risque qui est une résultante de la représentation de la situation. Ce que le gestionnaire des risques gère sont donc les paramètres de la situation et ses interdépendances avec les actions menées par les agents qui y évoluent.

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