PRESENTATION DES DISPOSITIFS « QUILES » ET « QUILES-MEHAIGNERIE »
Bien que souvent associée à une seule appellation (« Quilès-Méhaignerie »), la période 1984-1995 a en réalité donné naissance à trois dispositifs différents : Le « Quilès », voté par le Parlement en 1984 pour une mise en place effective au 1er janvier 1985 ; Le « Quilès-Méhaignerie », qui résulte d’une modification du « Quilès » adoptée en 1986 pour une mise en place effective au 1er janvier 1987 ; Enfin, le « Quilès-Méhaignerie intermédiaire », proposé en 1992 par Marie-Noëlle Lienemann, alors ministre déléguée au Logement et au Cadre de vie, voté par le Parlement au cours de cette même année pour une mise en place effective au 1er janvier 1993. Ces trois dispositifs étaient fondés sur une même logique : tous accordaient une réduction d’impôt plafonnée permettant aux investisseurs personnes physiques ou aux sociétés non soumises à l’impôt sur les sociétés de soustraire de leur impôt une fraction de leur investissement. En fait, deux éléments les distinguaient l’un de l’autre : d’une part le niveau de l’avantage fiscal, son montant maximal et sa durée ; d’autre part, l’existence de « contreparties sociales », c’est-à-dire d’un loyer plafond à respecter pour le logement mis en location et d’un plafond de ressources pour les locataires. Les caractéristiques des trois dispositifs étaient les suivantes (Figure n°10) : effectif à partir du 1er janvier 1985, le premier dispositif (le « Quilès ») accordait une réduction d’impôt de ͷ% du montant de l’investissement, étalée sur 2 ans. Cette réduction était accordée dans la limite d’une opération de ʹͲͲ.ͲͲͲ francs ȋ͵Ͳ.Ͷͺͻ €Ȍ pour une personne seule et 300.000 francs pour un ménage (45.͵Ͷ €Ȍ. Les propriétaires bailleurs devaient s’engager à louer leur bien au minimum ans à titre de résidence principale ; à compter du 1er janvier 1987, le « Quilès » a été renforcé pour devenir le « Quilès Méhaignerie ». La réduction d’impôt a alors été portée à 10% sur deux ans. Le plafonnement a également été rehaussé, à ͵ͲͲ.ͲͲͲ francs ȋͶͷ.͵Ͷ €Ȍ pour une personne seule et à 600.000 francs (91.Ͷͻ €Ȍ pour un couple. La réduction d’impôt maximale pour un ménage est ainsi passée de 15.000 francs avec le dispositif « Quilès » à 60.000 francs avec le « Quilès-Méhaignerie ». Ce dernier dispositif a en outre été 75 accompagné d’une déduction forfaitaire de 35% sur le revenu foncier brut pendant dix ans3 (déduction fixée à 25% à partir de 1990) ; à partir du 1er janvier 1993, le dispositif « Quilès-Méhaignerie » a été complété par une disposition ciblant le secteur intermédiaire. Une réduction d’impôt de 15%, étalée sur quatre ans, pour un investissement plafonné à 400.000 francs (60.ͻͻ €Ȍ pour une personne seule et 800.000 francs (121.ͻͷͻ €Ȍ pour un couple, a été créée pour les investisseurs qui s’engageaient à louer leur bien à des loyers plafonnés et à des locataires dont les revenus étaient également plafonnés. Ces plafonds, fixés par décret, étaient révisés chaque année et deux zones étaient distinguées : l’)le-de-France et la province. Pour la première fois, un zonage était donc mis en place. Notons que la création de ce dispositif « Quilès-Méhaignerie intermédiaire » n’a pas supprimé le « Quilès-Méhaignerie » dans sa version classique : le premier s’est ajouté au second.
LA NAISSANCE DU DISPOSITIF « QUILES » SOUS LE SCEAU DU PRAGMATISME POLITIQUE
La création du premier dispositif d’aide fiscale à l’investissement locatif au second semestre 1984 est intervenue dans un contexte politique marqué par l’échec d’une politique de relance d’inspiration keynésienne en 1981. Face à la poursuite de la montée du chômage, au creusement des déficits budgétaires et commerciaux, à la fragilité du franc, à l’augmentation de l’inflation, le pouvoir socialiste avait mis en place en 1983 une politique de maîtrise des dépenses publiques et de l’inflation. A ce premier tournant politique (dit « tournant de la rigueur ») venait en outre s’ajouter l’échec de la réforme de l’enseignement. La conséquence de ces événements fut la démission du Premier ministre Pierre Mauroy, la fin de la participation des ministres communistes au gouvernement et la désignation d’une nouvelle équipe gouvernementale dirigée par Laurent Fabius en juillet 1984. C’est alors que Paul Quilès fut nommé ministre de l’Urbanisme, du Logement et des Transports le 20 juillet 1984. Le deuxième élément de contexte qui prévaut à l’époque est la loi du 22 juin 1982, dite loi « Quilliot ». Celle-ci fut la première loi à véritablement réglementer les rapports locatifs dans le cadre d’un bail d’habitation. Elle a notamment instauré l’obligation de rédaction d’un contrat de bail précisant les charges qui incombent aux deux parties (bailleur et locataire) et l’obligation de souscription à une assurance contre les risques locatifs par le locataire, visant à garantir l’indemnisation du propriétaire pour les éventuels dommages causés à l’immeuble ȋrisques d’incendie, d’explosion, dégâts des eaux…Ȍ. Mais cette loi a aussi protégé les locataires dans un contexte de crise (contre-choc pétrolier, inflation…Ȍ, en réinstaurant un contrôle des loyers (pour les loyers jugés excessifs) et en rendant plus difficile l’expulsion des locataires même en cas de défaut de paiement. Autant de mesures qui, à l’époque, eurent pour effet de mécontenter fortement les propriétaires bailleurs. L’année ͳͻͺͶ est donc marquée par un climat de défiance entre ces derniers et le pouvoir socialiste a) Le débat à l’Assemblée nationale La présentation du dispositif « Quilès » s’effectue devant l’Assemblée nationale le 30 octobre ͳͻͺͶ, dans le cadre de l’examen de la loi de finances pour ͳͻͺͷ. Paul Quilès, ministre de l’Urbanisme, du Logement et des Transports (Figure n°11), décline trois priorités dans son discours introductif : moderniser et préparer l’avenir ; améliorer la vie quotidienne et le service rendu aux usagers ; soutenir l’activité économique. La création du dispositif d’aide fiscale à l’investissement locatif s’inscrit dans le troisième axe. Les premiers objectifs justifiant la création du dispositif fiscal et évoqués par le ministre dans son discours sont l’encouragement à la construction de logements locatifs neufs et le soutien à l’activité économique : « le soutien de l’activité sera aussi assuré par les mesures nouvelles prises en matière de fiscalité de l’investissement locatif » (Paul Quilès, ministre de l’Urbanisme, du Logement et des Transports, devant l’Assemblée nationale le ͵Ͳ octobre ͳͻͺͶȌ. La dimension économique apparait d’ailleurs très présente tout au long de la discussion à l’Assemblée, répondant ainsi au contexte de crise économique de l’époque. Très vite, le ministre insiste également sur la nécessité de « rétablir la confiance des investisseurs » (Paul Quilès, ministre de l’Urbanisme, du Logement et des Transports, devant l’Assemblée nationale le ͵Ͳ octobre ͳͻͺͶȌ : « Pratiquement les seuls logements locatifs construits le sont dans le secteur HLM. Cette situation est anormale et malsaine. Il [est] indispensable que l’épargne privée, qui s’investissait traditionnellement dans ce secteur et qui s’est progressivement retirée depuis une dizaine d’années – le nombre des logements construits chaque année passant de 41.000 à environ 5.000 – revienne vers ce secteur d’investissement » (Paul Quilès, ministre de l’Urbanisme, du Logement et des Transports, devant l’Assemblée nationale le ͵Ͳ octobre 1984). L’enjeu politique est donc avant tout la remobilisation des investisseurs privés sur le segment du logement locatif, dans le contexte de l’après-loi Quilliot. Un échange entre le député de l’opposition Pascal Clément et le ministre confirme l’importance de cette question dans le débat politique. Au cours des échanges, Pascal Clément met en avant la diminution de l’investissement locatif privé, en imputant l’essentiel de l’explication à la loi Quilliot : « La politique du logement comporte deux volets : le volet Etat et le volet privé. Vous avez cassé le volet privé parce que la loi Quilliot a ruiné la confiance. ȋ…Ȍ 78 Vous ne résoudrez jamais le problème qui se pose au secteur du bâtiment et des travaux publics tant que vous ne répondrez pas à la véritable question : comment rendre confiance aux épargnants privés qui souhaitent investir dans la pierre ? L’Etat aura beau faire, il n’arrivera pas à réaliser les 400.000 logements que l’initiative privée a permis de faire construire dans les années soixante-dix. Certes, ce nombre a baissé avec la crise ȋ…Ȍ mais, en ͳͻͺͳ, la chute a été encore plus brutale, et nous avons connu ensuite les effets catastrophiques de la loi Quilliot. ȋ…Ȍ Aujourd’hui, ne reste que l’effort de l’Etat. Nous lui rendons hommage, mais cela ne suffit pas ; cela ne représente pas la moitié de ce qu’il faudrait » (Pascal Clément, député de la Loire, devant l’Assemblée nationale le 30 octobre 1984). Et Paul Quilès de répondre : « En effet, si j’en juge par vos propos, nous voulons, vous et moi, la même chose, c’est-à-dire rétablir la confiance » (Paul Quilès, ministre de l’Urbanisme, du Logement et des Transports, devant l’Assemblée nationale le ͵Ͳ octobre ͳͻͺͶȌ. Le débat à l’Assemblée nationale fait donc apparaître trois objectifs politiques. Outre la réponse à un besoin de construction de logements locatifs et un effet de nature macroéconomique sur l’activité dans le bâtiment, la confiance des investisseurs privés, après un contexte de tension avec les propriétaires-bailleurs suite à la loi Quilliot, est également au cœur des préoccupations de la majorité de gauche au pouvoir.
Le dessous des cartes : le débat interministériel
Une confirmation de l’objectif du ministère du Logement
Un entretien avec un membre du cabinet de Paul Quilès à l’époque de la création du dispositif fiscal nous confirme le contexte du débat parlementaire. « Au début des années 1980, il y avait une crise du logement assez importante » (entretien n°18 avec un membre de cabinet ministériel, octobre 2010) et les déséquilibres sur les marchés locatifs étaient devenus visibles : « On assistait à une vague d’augmentations des loyers, car il n’y avait pas eu de réglementation jusqu’à la loi Quilliot et car il y avait aussi un déséquilibre offre demande. Ce n’était certes pas une immense crise mais on voyait des files d’attente au moment de la mise en location des logements. Et cela s’expliquait avant tout par la baisse de la construction neuve » (entretien n°18 avec un membre de cabinet ministériel, octobre 2010). Dans ce contexte, l’objectif premier du ministère du Logement était de relancer la construction. L’accession à la propriété a été un premier levier envisagé et « cette solution était soutenue par le ministère des Finances ». Mais « les taux d’intérêt étaient élevés à l’époque et le surendettement pouvait vite menacer les ménages dans un contexte de faible progression du pouvoir d’achat » (entretien n°18 avec un membre de cabinet ministériel, octobre 2010). La promotion de l’accession est donc apparue comme une solution peu opportune au ministère du Logement.