LA DYNAMIQUE DU QUIPROQUO LES APPORTS D’UNE THEORIE DE LA CONCEPTION

LA DYNAMIQUE DU QUIPROQUO LES APPORTS
D’UNE THEORIE DE LA CONCEPTION

Avec l’approche Goffmannienne, nous avons montré que le quiproquo pouvait être représenté comme un processus ayant deux phases distinctes qui représentaient le passage entre un cadrage particulier vers un autre cadrage. Nous avons pu montrer, à l’aide de la théorie du sensemaking de Weick, que le quiproquo pour se former nécessitait des conditions comme le degré de polysémie de l’objet d’une situation, ou la qualité des échanges dialogiques dans la situation. Nous n’avons pas pu montrer encore comment ce processus se développait, quels raisonnements il produisait, ou encore quels outils permettraient de le maîtriser. C’est ce qui va nous intéresser maintenant. Nous verrons les limites des théories précédentes et dès lors, les conditions pour élaborer un modèle complet du quiproquo (3.1). Nous verrons ensuite comment on peut modéliser les raisonnements de conception du sens dans les situations (3.2). Nous appliquerons ensuite la théorie C-K de la conception au processus de quiproquo de telle manière à faire apparaître des tendances dans la configuration des connaissances mobilisées dans le quiproquo (3.3). Enfin, dernière application, celle de la modélisation au cas de l’accident de Tenerife que nous avons déjà largement étudié (3.4). 

LIMITES DES THEORIES PRECEDENTES ET CONDITIONS POUR L’ELABORATION D’UN MODELE COMPLET DU QUIPROQUO 

Nous verrons que les théories précédentes ne peuvent pas rendre compte de la cohérence des représentations (3.1.1). Nous montrerons que ces théories ne permettent pas non plus d’élaborer des outils de pilotage de la construction des représentations (3.1.2). Et enfin nous verrons que la théorie C-K de la conception est une théorie candidate possible pour rendre compte de ces derniers points (3.1.3). 

De l’incapacité des théories précédentes à rendre compte de la cohérence des représentations

 Nous avons déjà évoqué de manière allusive les faiblesses des approches que nous avons mobilisées pour analyser le phénomène de quiproquo. Cependant il nous faut revenir sur deux points qui sont fondamentaux pour la compréhension et le pilotage de ce type de situation. Tout d’abord, il nous faut nous interroger sur la nature des représentations et donc des savoirs qui sont élaborés malgré les acteurs dans ce type de situation. Et ensuite, nous nous intéresserons plus précisément aux processus qui mènent à de telles situations. Avec le sensemaking, Weick mettait le doigt sur un mécanisme qui permet la restauration de la capacité d’agir dans les situations d’incertitude. Cependant cette construction de savoirs, orientée vers l’action part du principe qu’il est nécessaire de créer un accord initial pour lancer le processus. Cependant, peu importe pour Weick que les actions menées en relations avec ces savoirs soient en cohérence avec la situation, pourvu qu’elles puissent exister. La notion de quiproquo permet de nous intéresser à l’écart, précisément, qu’il peut y avoir sur la perception de la situation d’une part et d’autre part sur la connaissance que les acteurs peuvent avoir de ce dernier. Le quiproquo pose comme nous l’avons montré des problèmes d’observation. Rappelons que si le quiproquo est repéré par les acteurs, alors, il a déjà disparu. Le phénomène est dès lors très confus pour les acteurs qui ne peuvent imaginer des régimes d’action pour lui faire face. Les acteurs manquent d’une part de langage pour décrire la situation dans laquelle ils se trouvent plongés. Ou en tous les cas, le langage semble insuffisant pour faire apparaître la problématique en terme de danger du phénomène. Dès lors, ils sont dans l’incapacité à pouvoir restaurer leur capacité à agir. Plus le phénomène est repéré, moins il est nécessaire de le piloter car il est déjà trop tard. Etudier le quiproquo est bien au sens des sciences de gestion : permettre de restaurer ou de proposer des régimes d’action pour faire face à ce type de situation. 

Le pilotage de la construction du sens dans les situations d’incertitude non repérées par les acteurs 

Ce que les précédentes analyses ont permis de mettre en évidence est que, dans les situations d’incertitude non repérées par les acteurs, qui constituent la base des situations de quiproquo, on pouvait noter la présence de deux phénomènes connexes. D’une part, la construction de connaissances nouvelles non présentes dans la situation. Cette création résulte donc d’un effort pour les acteurs de faire sens de leur environnement. D’autre part, il peut résulter de ce processus l’apparition d’un décalage entre les actions menées par les acteurs dans la situation et la réalité à laquelle ils doivent faire face. Cette différence, si elle n’est pas repérée par les acteurs, représente une faille importante dans la conduite des actions dans la situation. C’est en cela qu’il peut y avoir un risque lié à l’occurrence du phénomène de quiproquo dans les situations de conduite. Pour permettre aux acteurs de gérer ce type de situations, il semble déterminant de leur donner la capacité de piloter la formation de ces connaissances nouvelles de manière à les mettre en adéquation avec le monde. Nous avons pu observer dans les situations que nous avons étudiées que la construction des connaissances était relative à la manière dont les acteurs s’interrogeaient les uns les autres sur l’objet de leur conversation. L’une des manières possibles de repérer le quiproquo est d’ailleurs de mesurer la quantité et la qualité des échanges dialogiques dans la situation. Dès lors, on peut penser que la compréhension du phénomène de quiproquo peut passer par une analyse des questionnements échangés par les acteurs. On est donc dans une situation où les acteurs doivent élaborer le sens de l’objet de leur conversation, de manière conjointe et qui ne disposent pour cela que des outils délivrés par le langage. La construction du sens qui constitue cet apport de connaissances nouvelles dans la situation résulte donc d’un raisonnement guidé par des questionnements effectués par les acteurs dans la situation. Pour pouvoir piloter le raisonnement afin d’éviter l’apparition ou le développement de quiproquo dans les situations de conduite à risques, il est donc nécessaire de comprendre comment sont formulés les questionnements dans la situation. L’articulation de ceux-ci permet de comprendre la nature et la façon dont les connaissances sont structurées dans ce type de situation. 

Un outil de modélisation du raisonnement : la théorie C-K

 Pour modéliser le raisonnement qui conduit aux situations de quiproquo, nous avons besoin d’un formalisme qui permet de mettre en évidence des éléments du phénomène qui ne nous seraient pas apparus autrement. Or, les situations que nous avons analysées présentent des caractéristiques très similaires aux situations de conception décrites et modélisées par Armand Hatchuel et Benoît Weil (Hatchuel et al., 2002 2003). On y trouve en effet, un processus d’élaboration de connaissances nouvelles qui est guidé et piloté par un cheminement cognitif insolite. Il existe dans le raisonnement qui conduit les acteurs à concevoir un objet – qui peut être le sens d’une situation, à établir des interactions entre d’une part les connaissances qui sont mobilisées dans la situation et d’autre part les questionnements qui permettent de guider l’activation de ces connaissances. Dans la théorie C/K de la conception, celle-ci s’appuie sur l’hypothèse centrale de distinction de deux langages : le langage des concepts (C) qui correspond aux questionnements que les acteurs peuvent formuler de la situation et le langage des connaissances (K) qui correspond aux savoirs mobilisés dans la construction des représentations. Dans une situation de gestion il est important de pouvoir piloter les apprentissages qui vont permettre la formulation des représentations sur lesquelles va se fonder l’action collective. Dès lors la question de la nature des connaissances activées est déterminante dans le fait qu’elles puissent être partagées entre les différents acteurs d’une organisation et de ce fait qu’il ne puisse se produire de décalage de sens. Ceux-ci peuvent être évités si les questionnements ou concepts assurent constamment un rapprochement des représentations et de la réalité de la situation. 

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