La dimension socioéconomique de l’intégration des immigrés en France
La répartition socio-professionnelle
On peut dans un premier temps comparer l’évolution structurelle de la population active pour les immigrés et les non immigrés sur la période. La figure II.2.5 permet de visualiser la distribution des catégories socioprofessionnelles des actifs occupés ayant entre 18 et 55 ans pour chacune des dates de recensement. On voit ainsi que, en dépit d’une certaine convergence observable entre les immigrés et le reste de la population sur la période 5 , les premiers restent caractérisés par des parts plus importantes d’artisans, commerçants, chefs d’entreprise d’une part et surtout d’ouvriers d’autre part. En 1999, 50% des hommes immigrés actifs occupés âgés entre 18 et 55 ans sont ouvriers et 11.5% artisans, commerçants ou chefs d’entreprise, alors que ces taux sont respectivement de 37% et de 7.7% pour le reste de la population. Si ces données permettent de comparer la structure socioprofessionnelle des deux populations, les différences entre les communautés immigrées restent très fortes. La figure II.2.6 permet de comparer les pourcentages de cadres et d’ouvriers pour chacun des groupes d’immigrés sur la période, et ce pour les hommes et pour les femmes. On peut ainsi remarquer que si le pourcentage d’ouvriers baisse pour la quasi-totalité des communautés, il reste très fort pour les Portugais et les Turcs (respectivement 69% et 72% des hommes actifs occupés ayant entre 18 et 55 ans en 1999). La part des cadres est quant à elle très élevée pour les hommes venus d’Europe de l’Ouest (hors Espagne, Italie, Portugal), et dans une moindre mesure d’Europe de l’Est, mais aussi d’Afrique subsaharienne (respectivement 40%, 18.5% et 15%). Il est ici important de souligner que la distribution des catégories socioprofessionnelles des hommes actifs occupés venus d’Afrique subsaharienne est relativement proche de celle du reste de la population. Les hommes venus des pays du Maghreb sont quant à eux très majoritairement ouvriers (50%) même si la part de cadres n’est pas négligeable (autour de 10%). Enfin, les hommes portugais accèdent très minoritairement à la catégorie cadre (2.7%).Pour les femmes, ce sont les populations turques, asiatiques et portugaises qui sont les plus ouvrières avec tout de même une décroissance très nette sur la période. Les femmes cadres sont quant à elles les plus nombreuses chez les européennes. Enfin, quel que soit le sexe, notons la forte sélection professionnelle qui existe pour les autres groupes d’immigrés de plus en plus nombreux dans les nouvelles vagues : en 1999, 27% de ces derniers sont ouvriers et 26% cadres ; ces taux sont de 14.5% et 18% pour les femmes. Ce rapide examen de la distribution socioprofessionnelle des immigrés actifs nécessite des approfondissements. En effet, il serait intéressant d’étudier la concentration professionnelle de tel ou tel groupe d’immigrés en distinguant de manière plus fine les secteurs et la qualification de l’emploi. Il s’agirait ainsi d’analyser une « ségrégation professionnelle » liée à l’appartenance ethnique ou encore plus précisément des enclaves ethniques. Comme le montre un article de J. Logan, R. Alba et M. Dill, les théories de la segmentation du marché du travail ne prennent pas en compte la concentration ethnique qui peut exister autour de certains secteurs peu qualifiés. La comparaison de la « dispersion » professionnelle des groupes ethniques aux États-Unis entre 1980 et 1990 montre que l’assimilation professionnelle – au sens du rapprochement de la structure des professions du groupe minoritaire de celle de la société d’accueil – n’est observable que pour de très rares groupes 6 (Logan et al., 2000). Les auteurs soulignent l’existence d’une structure tripartite de l’économie dans les zones métropolitaines étudiées : un noyau d’emplois industriels ou de services hautement rentables ou/et hautement qualifiés dans lesquels les Blancs sont fortement sur-représentés à la fois en tant qu’employeurs et employés, une semi-périphérie constituée par des enclaves ethniques développées par certains groupes d’immigrants notamment dans des secteurs désertés par les Blancs, et enfin une périphérie où la concurrence entre certains groupes défavorisés porte tout simplement sur l’emploi versus le chômage. L’ensemble de leurs résultats suggèrent que les enclaves ethniques continueraient à représenter une caractéristique importante de la société américaine. Cette thèse se concentre sur les conditions de l’accès à l’emploi des immigrés, qui semblent révéler les inégalités les plus saillantes du marché du travail en France. On ne peut néanmoins clore ce paragraphe sans souligner, à l’instar des auteurs cités ci-dessus, la nécessité de développer des travaux sur la dispersion professionnelle des groupes ethniques, leur éventuelle spécialisation autour d’un ou plusieurs secteurs et les conséquences que ce phénomène peut avoir sur la dimension socioéconomique de l’intégration de leurs membres dans la société d’accueil.
Les diplômes
Regardons maintenant l’évolution de la répartition des diplômes pour les immigrés et le reste de la population. La figure II.2.7 permet de comparer, pour chaque année du recensement, la structure des diplômes les plus élevés obtenus des individus âgés entre 18 et 55 ans. On voit ainsi une très forte convergence de la répartition des diplômes entre les immigrés et le reste de la population. Des résultats très proches ont été récemment publiés par l’INSEE (Borrel, 2006). Cette convergence s’opère surtout pour les individus les plus diplômés : le taux des diplômés du supérieur passe de 3% en 1968 à 21% en 1999 pour les hommes immigrés (respectivement de 4.9% à 21% pour les hommes non immigrés) et de 2.4% à 20.7% pour les femmes immigrées (respectivement de 2.5% à 24.5% des femmes non immigrées). Le pourcentage de non diplômés reste quant à lui plus élevé chez les immigrés que dans le reste de la population . Si la convergence des diplômes est fortement observable, de fortes différences subsistent entre les groupes d’immigrés selon leur origine. La figure II.2.9 permet tiser l’évolution des parts des non diplômés et des diplômés du supérieur pour chacune des populations immigrées. Ainsi, si la part des non diplômés baisse fortement pour l’ensemble des immigrés, elle reste la plus forte chez les immigrés venus de Turquie et du Portugal. Les immigrés venus d’Europe (hors Espagne, Italie, Portugal), et d’Afrique subsaharienne sont les plus diplômés. Ainsi, ce panorama des caractéristiques socioéconomiques des immigrés permet de focaliser l’attention sur les fortes inégalités qui existent entre les groupes d’immigrés. Ces inégalités se traduisent particulièrement quant à l’exposition au chômage. Les Portugais semblent avoir des taux de chômage exceptionnellement bas, alors que leur niveau d’éducation et la distribution de leurs catégories socioprofessionnelles font d’eux une population théoriquement menacée de chômage (très majoritairement ouvriers non diplômés). Les immigrés venus d’Afrique subsaharienne semblent être caractérisés par une situation symétriquement opposée ; leur situation sur le marché du travail est défavorisée alors que leur niveau de diplôme est relativement élevé. Afin de tirer des conclusions précises sur les inégalités constatées entre la situation des immigrés sur le marché du travail, il est nécessaire de pouvoir opérer une analyse de type toutes choses égales par ailleurs, en contrôlant ainsi des facteurs déterminants la probabilité d’être actif occupé, tels que le diplôme, mais aussi l’âge, le sexe, la situation matrimoniale, etc. C’est ce que la section suivante propose d’effectuer.