LA DIGESTION CHEZ L’HOMME
La digestion est un phénomène physiologique multi-étapes consistant à dégrader les aliments ingérés, entraînant la libération et l’assimilation des nutriments essentiels à notre organisme. La dégradation des aliments fait intervenir des forces mécaniques, enzymatiques et biochimiques, ainsi que des flux de liquides et de solides, tout au long des organes composant le tube digestif qui s’étendant de la bouche au côlon (Figure 4 & Tableau 1) (Smith & Morton, Chap.1, 2010 ; Turgeon et al., 2011).
La bouche
Le rôle principal de la bouche est la mastication, broyage mécanique réduisant les aliments en petites particules. Le mélange de ces particules à la salive alors secrétée, conduit à la formation du bol alimentaire. La salive est composée essentiellement, d’eau, d’enzymes – α-amylase et lipase – initiant respectivement la dégradation de l’amidon et des lipides, ainsi que de mucine, protéine assurant la lubrification du bol alimentaire (Smith and Morton, Chap.2, 2010).
L’estomac
Le bol alimentaire progresse le long de l’œsophage jusque dans l’estomac. Ce dernier se subdivise en quatre zones anatomiques principales : Le fundus, le corps, l’antrum et le pylore (Smith and Morton, Chap.3, 2010).
Les sécrétions gastriques
Le corps et le fundus sont le siège du stockage du bol alimentaire et des sécrétions gastriques – de l’ordre de 2L par jour chez un adulte- . En moyenne, un repas est accompagné de 0,5 à 1 fois son volume en sécrétion s’il est liquide et jusqu’à 2 fois son volume en cas de repas solide (Malagelada et al., 1979). Enzymes & électrolytes Les principales enzymes composant le suc gastrique sont la pepsine et la lipase gastrique, dégradant respectivement les protéines et les lipides. La pepsine est une endopeptidase produite par les cellules principales de l’estomac. Elle est sécrétée sous forme d’une proenzyme inactive – le pepsinogène – qui une fois hydrolysée en présence d’HCl, donne une pepsine fonctionnelle. La sécrétion sous forme inactive évite une autodigestion et permet d’assurer que l’enzyme agisse sur les protéines qu’elle rencontrera – plus concentrées qu’elle – dans son environnement d’action. Cette enzyme n’est pas à proprement parler spécifique d’une liaison peptidique en particulier. Elle coupe cependant préférentiellement près des ponts disulfures et au voisinage des acides aminés aromatiques (Nelson et Cox, 2012) ; il lui est attribué environ 20 % de la digestion des protéines, son action consistant essentiellement à rendre les protéines plus accessibles aux enzymes se trouvant en aval du tractus digestif. Le rôle de la lipase gastrique, bien que mis en évidence in vivo il y a plus de 20 ans par Carrière et al. (1993), a longtemps été sous-estimé. Elle est pourtant reconnue comme contribuant à plus de 10% la digestion des triglycérides alimentaires ; cependant sa concentration et son activité plus faibles que la lipase pancréatique – le ratio lipase pancréatique/lipase gastrique est de 4 en quantité et est supérieur à 20 en activité (Carrière et al., 1993) – ne font pas de l’estomac le compartiment principal de la digestion des lipides, bien que son rôle soit important. Les ions chlorure (Cl- ), potassium (K+ ), sodium (Na+ ) composent la majeur partie des ions retrouvés dans le suc gastrique. Leur sécrétion est intimement liée à la sécrétion d’acide chlorhydrique (Figure 6). L’ion bicarbonate (HCO3 – ) est aussi sécrété par l’estomac, afin de maintenir un pH moins acide aux abords de la muqueuse gastrique. Cependant, il n’est que très peu retrouvé dans les sécrétions étant donné sa décomposition rapide en CO2 et H2O afin de maintenir cette neutralité au niveau de la muqueuse. Certains ions tels que le calcium (Ca2+), ou encore le magnésium (Mg2+), sont aussi présents en très faible concentration dans les sécrétions gastriques ; leur rôle est cependant important puisqu’ils peuvent activer ou inhiber l’action des enzymes gastriques ex. Ca2+ et lipase (Zangenberg et al., 2001).
Acide Chlorhydrique et acidification de l’estomac
A jeûn, le pH gastrique est compris entre 1 et 3. L’acidité gastrique a une action bactéricide et favorise la dégradation des protéines en s’approchant du pH optimal de fonctionnement de la pepsine, compris entre 1,5 et 4,5 (EC 3.4.4.1, Base de données Brenda Enzyme, 2014). L’arrivée du bol alimentaire dans l’estomac provoque dans un premier temps une augmentation du pH gastrique lié à l’effet tampon du bol alimentaire. Suite à cela, les cellules pariétales de l’estomac tapissant le fundus produisent et sécrètent activement de l’acide chlorhydrique (HCl) se dissociant sous forme d’ion H+ et Cl- une fois dans la lumière de l’estomac. Cette sécrétion est dite active puisqu’elle nécessite l’action de pompes à protons ATP dépendantes ainsi que l’utilisation du potassium comme contre-ion ; le transfert de proton a en effet lieu contre un gradient de concentration extrêmement important – i.e. ratio [H+ ] plasmatique/ [H+ ]lumen > 107 –. L’augmentation du pH gastrique et la durée nécessaire à la réacidification du milieu dépend du pH du repas et de son pouvoir tampon (Kalantzi et al. 2006). Les six exemples de cinétiques d’acidification obtenues chez le volontaire humain sain (Figure 7) illustrent la descente du pH luminal de l’estomac tendant vers pH 2, bien que la nature et le pH initial des bols soient différents. Lors d’une ingestion de 600 mL d’une solution de glucose (250 mg.L-1), 20 minutes suffisent à atteindre pH 2 (Calbet et MacLean, 1997). Dans le cas d’une ingestion de 400 mL de lait, environ 60 minutes sont nécessaires pour passer du pH initial de l’estomac rempli de lait (600 mL, pH initial 6,4), à 2 (Minekus et al. 1995) ; alors qu’il faudra 100 minutes pour un repas modèle de 400 mL (458 kcal, contenant protéines, lipides et glucides, pH initial 7) pour atteindre ce même pH 2 (Kong and Singh, 2008). En conclusion, ces cinétiques montrent que le pH basal après ingestion d’un aliment avoisine pH 2 quelque soit la nature de ce bol, cependant la cinétique que suit cette acidification diffère. Ceci a une implication directe lors du paramétrage des modèles de digestion dynamiques in vitro sur lesquels nous reviendrons dans le paragraphe1.3.
Le brassage du bol alimentaire et la fabrication du « Chyme »
L’acidification au sein de l’estomac ainsi que l’action des enzymes, nécessitent un brassage du bol alimentaire. Celui-ci n’est que partiellement déstructuré par la mastication lorsqu’il atteint l’estomac et forme un agrégat de particules plus ou moins grosses, selon la composition et la viscosité du repas. Afin de déstructurer ce bol, des « mouvements péristaltiques » – contractions des muscles lisses de la paroi stomacale – naissent au niveau du corps de l’estomac et se propagent jusqu’à l’antre (Figure 8).Au sein du corps de l’estomac, le brassage provoqué ne suffit pas à homogénéiser le contenu gastrique jusqu’à son intérieur ; le cœur de l’agrégat est donc protégé des sécrétions gastriques et la dégradation du bol par les enzymes digestives se fait majoritairement en périphérie. C’est cette portion qui est sélectivement évacuée vers l’antre, du fait de la diminution de sa viscosité (Wickham et al. 2012). Au sein de l’antre, les contractions de la muqueuse augmentent la pression stomacale, provoquant une homogénéisation vigoureuse du bol avec le suc gastrique et permettant un broyage efficace des particules. Le bol alimentaire devient alors le « chyme gastrique ». Ces contractions poussent le chyme contre le pylore – sphincter situé entre l’estomac et le duodénum – et sa relaxation permet de faire passer quelques millilitres du chyme dans le duodénum lors de chaque vague de péristaltisme. Durant la période prandiale, c’est la fraction liquide qui est préférentiellement vidangée, la fraction solide nécessitant d’être réduite à des particules de taille avoisinant les 2 mm, le pylore agissant comme un filtre retenant les particules de plus gros diamètre (Smith and Morton, Chap.3, 2010). Une fois le repas terminé et la phase post-prandiale avancée, des particules de tailles supérieures à 2 mm peuvent passer le pylore, de manière à ce que l’estomac se vide malgré la digestion seulement partielle de certains des éléments qu’il contient (Kong et Singh 2008).