Le modèle du gradostat
Présentation du modèle
Dans ce chapitre, un nouveau modèle est introduit, qui permet de rendre de compte de phénomènes de spatialisation : le modèle dit du gradostat. Seul le gradostat avec une seule espèce de micro-organismes sera considéré, il s’agit donc d’une extension du modèle du chemostat mono-espèce vu au Chapitre 1. Contrairement au chemostat classique dans lequel un seul réservoir supposé homogène est considéré, le gradostat comporte plusieurs réservoirs, chacun d’entre eux étant supposé homogène. Ces réservoirs sont reliés entre eux pour constituer un réseau, et des phénomènes de diffusion peuvent également avoir lieu entre les Le modèle du gradostat réservoirs, comme cela est illustré Figure 3.1 (les flèches représentant les débits étant représentées en bleu et celles représentant la diffusion en rouge). L’intérêt de ce modèle est double : selon l’agencement des réservoirs, il permet d’une part de prendre en compte des disparités spatiales dans les concentrations sans avoir besoin d’utiliser des modèles plus complexes d’équations aux dérivées partielles. Par exemple, plusieurs compartiments en série peuvent modéliser un gradient (discretisé) de la concentration en substrat dans une direction. C’est d’ailleurs pour étudier la croissance d’une population de bactéries soumises à un gradient de ressources qu’il a été initialement mis au point par Lovitt et Wimpenny [21]. Plus généralement, il permet une représentation simplifiée d’hétérogénéités dans un milieu complexe (porosité, brassage imparfait,…). D’autre part, il permet de représenter une gamme plus riche de dispositifs de dépollution, ouvrant la voie à une étude mathématique des performances en dépollution qui tient compte de la disposition spatiale du ou des réservoirs [14, 15] . Entrée V1 V2 Sortie Figure 3.2 – Deux réservoirs en série On introduit tout d’abord un modèle très général à n réservoirs, dans le cas non-autonome. Pour i ∈ {1, …, n}, on note xi , respectivement si , la concentration en micro-organisme, respectivement en substrat, du réservoir i. L’espèce de microorganismes présente est caractérisée par la fonction de croissance µ(., .). On introduit également Vi le volume du réservoir i. Enfin, on notera X = (x1, …, xn) T et S = (s1, …, sn) T les vecteurs représentant les concentrations en micro-organismes en en substrat. On a alors la dynamique ( S˙ = − 1 Y diag {(µ(si , xi))i}X + M(t)S + E(t)S in , X˙ = diag {(µ(si , xi))i}X + M(t)X + E(t)Xin . (3.1) Dans le système (3.1), le vecteur Xin, respectivement S in, représente d’éventuels apports externes de micro-organismes, respectivement de substrat. De la même façon que pour le modèle du chemostat, le rendement Y peut être choisi égal à 1 sans perte de généralité. La matrice M représente les termes d’échanges entre les réservoirs, et la matrice E les termes d’apport externes. Pour expliciter leurs coefficients, on introduit les notations suivantes pour tout i, k ∈ {1, …, n} : — Qin i (.) est T−périodique et à valeurs positives et représente le débit d’entrée depuis l’extérieur vers le réservoir i, — Qout i (.) est T−périodique et à valeurs positives et représente le débit de sortie vers l’extérieur depuis le réservoir i, Thomas Guilmeau – Rapport non-confidentiel — Qik(.) est T−périodique et à valeurs positives et représente le débit depuis le réservoir i vers le réservoir k, — dik = dki ≥ 0 est le coefficient de diffusion entre les réservoirs i et k. Avec ces notations, on peut écrire la matrice E(t) sous la forme suivante : E(t) = diag Qin i (t) Vi i . La matrice M est définie coefficient par coefficient par Mij (t) = ( − 1 Vi P k6=i Qik(t) + dik + Qout i (t) si i = j, 1 Vi (Qji(t) + dij ) si i 6= j. 3.1.2 Modélisation du gradostat et hypothèses On va d’abord supposer que les débits en entrée et en sortie sont identiques en chacun des réservoirs du gradostat. Cette hypothèse est très standard dans le modèle du gradostat. Autrement dit, on suppose que pour tout réservoir i, la loi de Kirchoff est vérifiée pour tout temps t : X k6=i Qik(t) + Q out i (t) = X j6=i Qji(t) + Q in i (t), ∀i ∈ {1, …, n}. (3.2) Depuis le premier modèle de gradostat, qui était en série, de nombreux autres types de réseaux ont été utilisés, qui ne partagent pas tous les mêmes propriétés. L’objectif de cette section est donc de situer le modèle employé dans ce travail par rapport à d’autres possibilités. Tout d’abord, une propriété importante du modèle du gradostat et commune aux deux modèles qui sont comparés ici est la coopérativité du système (3.1) . La relation d’ordre naturelle de R n sera donc préservée par la dynamique. On va maintenant écrire les hypothèses sur la structure du réseau que forme le gradostat. En particulier, on introduit deux ensembles qui représentent les réservoirs directement connectés à l’entrée et ceux directement connectés à la sortie. I = {i ∈ {1, …, n}, tels que Q in i 6≡ 0}, O = {i ∈ {1, …, n}, tels que Q out i 6≡ 0}. On dit qu’il existe un chemin permanent entre les réservoirs i et j s’il existe k > 0, et (il)0≤l≤k tels que i0 = i, ik = j et M(t)il ,il+1 > 0 pour tout t ∈ [0, T]. On dit de même qu’il existe un chemin intermittent entre les réservoirs i et j s’il existe un ensemble de mesure non-nulle IT ⊂ [0, T] tel qu’il existe k > 0, et (il)0≤l≤k tels que i0 = i, ik = j et M(t)il ,il+1 > 0 pour tout t ∈ IT . Dans les travaux , le modèle considéré ne prend pas en compte explicitement les phénomènes de diffusion, seuls apparaissent des débits, mais demande l’irréductibilité de la matrice d’incidence du graphe représentant les connexions entre les réservoirs, c’est-à-dire que pour tout i, j ∈ {1, …, n} distincts, il existe un chemin permanent entre i et j. Cela signifie qu’un flux de substrat peut « remonter » le gradostat dans n’importe quelle direction. Dans notre modèle, on demande seulement à avoir une hypothèse qui assure que chaque réservoir débouche sur une sortie, éventuellement via l’intermédiaire d’autres réservoirs. Autrement dit, on demande que tout élément de I soit relié à un élément de O par un chemin intermittent. De ce point de vue, les hypothèses prises dans ce travail sont donc relativement faibles. Enfin, on va supposer que les vecteurs Xin et S in sont de la forme X in = x in1, Sin = s in1, (3.3) où 1 = (1, …, 1)T et x in, sin ≥ 0. Cette hypothèse n’est pas faite dans [27], et constitue une extension de l’hypothèse analogue faite dans les chapitres précédents. Son rôle sera discuté dans la section suivante. On introduit la variable Z = S + X, qui représente la masse totale présente dans chaque compartiment. On a alors la dynamique Z˙ = M(t)Z + E(t)Z in , (3.4) où Z in = S in + Xin = z in1, avec z in = s in + x in . On introduit également la variable Z˜ = Z − Z in . Lemme 13. La variable Z˜ suit la dynamique ˜˙Z = M(t)Z. ˜ (3.5) Démonstration. Soit t ≥ 0, on commence par calculer M(t)Z in. Soit 1 ≤ i ≤ n. (M(t)Z in)i = X j Mij (t)z in , = z in Vi X j6=i (Qji(t) + dij ) − X k6=i (Qik(t) + dik) − Q out i (t) ! , = − Qin i (t) Vi z in , d’après la loi de Kirchoff (3.2), = −E(t)Z in . Ainsi, avec (3.4), on a ˜˙Z = M(t)Z + E(t)Z in , = M(t)(Z − Z in), ce qui conclut le résultat. Une question naturelle à ce stade est de savoir si 0 est asymptotiquement stable pour la dynamique (3.5). Dans le cas autonome, la structure de M permet d’obtenir un tel résultat en montrant qu’elle est Hurwicz. Dans notre cas, les débits sont autorisés à s’annuler momentanément, ce qui rend difficile l’application de ces résultats.
Une configuration particulière
Dans cette section, on considère une configuration de n réservoirs en série, avec pour chaque réservoir un débit d’entrée et de sortie.
Modélisation et intérêt
Cette configuration représente n réservoirs les uns à la suite des autres, le réservoir i se déversant dans le réservoir i + 1. On ne considère pas d’éventuels phénomènes de diffusion entre réservoirs dans ce modèle. Ainsi, chaque réservoir est indépendant de tous les autres, sauf de celui qui le précède. On peut également remarquer que le premier réservoir se comporte exactement comme un chemostat classique à un réservoir. La concentration en substrat dans le réservoir i suit alors la dynamique suivante : s˙i = 1 Vi Q in i (t)sin + Qi−1,i(t)si−1 − Q out i (t)si − Qi,i+1(t)si − µ(si)(sin − si), ∀1 ≤ i ≤ n. (3.6) Pour pouvoir écrire la dynamique sous cette forme, on pose par convention que s0(.) ≡ 0, ou bien que Q0,1(.) ≡ 0. De plus, on a Qn,n+1(.) ≡ 0. On peut alors écrire la dynamique générale pour S = (s1, …, sn) T sous la même forme que (3.1) : S˙ = M(t)S + E(t)S in − diag {(µ(si)(sin − si))i}. Le terme M(t) est très différent par rapport à l’équation (3.1). En effet, il n’y a plus de termes de diffusion et admet une structure triangulaire inférieure particulière : (M(t))ij = − Qi,i+1(t)+Qout i (t) Vi si i = j, Qi−1,i(t) Vi si j = i − 1, 0 sinon. (3.7) Cette structure reflète le caractère « cascade » du système envisagé. Cette structure est assez riche : en ajoutant une entrée et une sortie à chaque réacteur, elle généralise le gradostat en série de la Figure ??, qui est déjà un modèle particulièrement étudié [14], mais aussi le gradostat en parallèle sans diffusion, en ajoutant éventuellement un transport unilatéral. On peut remarquer que la diffusion n’apparaît pas dans ce modèle. En effet, la diffusion n’est pas un processus unilatéral et casse la structure triangulaire de (3.7). Thomas Guilmeau – Rapport non-confidentiel 84 Contrôle optimal périodique : Applications à la dépollution de l’eau réservoirs en série, avec entrée et sortie
Un résultat de réduction de dimension
Dans le modèle du chemostat simple, on pouvait écrire asymptotiquement la dynamique uniquement en l’une des deux variables, car le système tendait vers la variété s + x = sin. Un résultat analogue est prouvé dans cette section. Proposition 30. Pour tout 1 ≤ i ≤ n, on a : lim t→+∞ (si + xi)(t) = s in + x in . Démonstration. Pour tout 1 ≤ i ≤ n, on a Z˙ i = 1 Vi