Projection imaginaire et transcription visuelle
Le personnage de l’Arabe palestinien est représenté sous les traits de deux militants du HAMAS, discutant de la possibilité d’obtenir la libération de centaine de détenus, semble-t-il de leur mouvement. Montrés au plan physique, le corps cadré en buste, ils affichent des visages, d’où ressortent une épaisse chevelure noire et frisée remontée à la verticale sous la pression du bandeau enserrant le haut de leur crâne et une barbe de même couleur, également frisée. Le nom de leur mouvement figure sur leur bandeau. Leurs yeux globuleux sont dessinés sous la forme de cercles noirs sur fond blanc, au milieu desquels figurent deux points noirs, signifiant à la fois les pupilles, la direction du regard et les sentiments de la personne. Les deux hommes possèdent chacun un nez proéminent, allongé à l’horizontale et arrondi à son extrémité, dont le volume proportionnellement occupe près d’un quart de l’ensemble du visage. Une bouche édentée fend la barbe de chacun des hommes, se déformant selon les propos qu’ils tiennent. Elle s’arrondit quand il s’agit d’un échange simple ou prenant une forme oblongue pour illustrer la malice avec laquelle l’un des deux se comporte, prenant à témoin à ce sujet le spectateur. La bouche se fait presque croissant de lune, lorsque les deux s’extasient devant la réussite de leur stratagème et s’autocongratulent, le premier appelant le second « roublard », ce dernier l’en remerciant, faussement modeste. Le type de vêtement porté, hormis le bandeau, est impossible à identifier. Le ressort humoristique dont se sert le dessinateur dans les quatre cases de l’épisode repose sur un nondit. La roublardise de l’Arabe palestinien, militant du HAMAS, tient à sa capacité à connaître le talon d’Achille israélien – la préservation de la vie d’un Juif israélien kidnappé, quel que soit le prix à acquitter pour ce faire, y compris si celui-ci recouvre la libération de détenus qui reprendront ensuite la lutte armée contre l’État d’Israël. L’appartenance communautaire des deux activistes (arabe et palestinienne) n’est pas évoquée dans la conversation. Perpétrer des rapts pour le compte du mouvement palestinien HAMAS et accroître le personnel chargé de réaliser cette opération constitue leurs deux objectifs. Leur méthode consiste à rentabiliser au maximum cette action. Ce qui chez eux relève de la roublardise constitue en réalité une pratique illégale, voire un crime de guerre pour le droit international. Les militants du HAMAS y voient, pour leur part, le moyen de renforcer les rangs de leur mouvement. La ligne de conduite de l’État d’Israël – payer le prix fort pour obtenir la libération de citoyens enlevés par des mouvements nationalistes palestiniens – est connue des deux activistes. Cette information leur permet d’envisager à l’avance, la libération de certains de leurs camarades. II. Catégorisation du dessin La catégorisation des images associées au personnage de l’Arabe palestinien est négative sur les plans physique et symbolique, bien que sa physionomie ne subisse pas de déformation Projection imaginaire et transcription visuelle 240 outrancière. Sa psychologie le justifie en revanche car les pratiques qui le rendent si fier de lui sont illégales et condamnables. Les victimes sont qualifiées d’Israéliens dans leur discours, illustration du caractère incohérent de leur propos et de la méthode revendiquée par les personnages. Le mouvement auquel ils appartiennent ne reconnaît pas l’existence de l’État d’Israël, sauf quand il s’agit de kidnapper ses citoyens et de les prendre en otage. Aucune information n’explicite le projet politique ou philosophique des deux personnages exploitant les faiblesses israéliennes, un mécanisme qui s’ « autoalimente » : le kidnapping d’Israéliens, la libération de détenus, celle d’otages, un modus operandi qui peut durer à l’infini.
Le stéréotype visuel de l’Arabe (palestinien et autre, notamment de Yasser Arafat) dans l’œuvre Dry Bones de Ya’aqov Kirschen
La stéréotypie visuelle de l’Arabe palestinien, en général, et celle de Yasser Arafat en particulier, chez Ya‘aqov Kirschen, ressort d’une représentation de ces derniers, articulée autour de choix esthétiques et factuels. Ce portrait-type délivré par le bédéiste dans sa série Dry Bones, est uniquement le fruit de son travail et de son imagination. Il en est le seul responsable. Les différents épisodes de la série, des années 1970 à 2010, sont marqués par un cadrage des personnages privilégiant essentiellement le gros plan et le plan poitrine. Ce formatage rappelle l’image projetée à partir d’un écran de télévision ou tirée de la captation visuelle d’un cours dispensé par un professeur qui, avec pédagogie, s’adresse à ses élèves. L’égalité spatiale entre le personnage dessiné – partie inférieure de la case – et sa parole – partie supérieure de la case – recouvre le plus souvent une égalité entre l’image et le texte (phylactère et cartouche). Le personnage, souvent immobile, s’efface derrière la dureté du mot dont le signifié agit et rejaillit à son tour sur sa physionomie, donnant l’illusion du mouvement alors que le dessinateur privilégie l’économie extrême du moindre geste. La sensation est d’autant plus forte que l’auteur pratique dans son dessin un minimalisme assumé, rappelant à bien des égards celui de Charles Schulz. Ya‘aqov Kirschen délaisse le recours à des mini-bombes noires en guise d’yeux, comme moyen d’illustrer l’identité et le programme supposés terroristes de Yasser Arafat. L’âme du personnage, à travers son regard (espace blanc pointé de noir), même sous une forme schématique, est accessible à l’œil du spectateur. Le bédéiste se démarque ainsi du choix dominant de ses collègues illustrateurs et caricaturistes d’alors, comme Zé’ev1353 (1923- 2002). Le visage du personnage présente à l’occasion l’aspect d’une poire, l’artiste semblant adepte de la répétition physiognomique. Connaissant vraisemblablement la célèbre série de dessins de Charles Philippon et d’Honoré Daumier, il applique ce principe du lien intime unissant les traits saillants du visage d’un personnage donné, à ses psychisme et psychologie qu’ils prétendent révéler. À chaque épisode de la série correspond un même visage, quelle que soit la case, seules des différences infinitésimales font comprendre la pensée du personnage et la progression de l’action. Le visage sert de support graphique et visuel au message idéologique asséné par l’auteur au spectateur. La représentation de Yasser Arafat proposée par Ya‘aqov Kirschen dans les années 1990, évolue notablement. Celle-ci est désormais dominée par la rondeur des traits et l’humanisation de la personne, dans une forme constante en apparence, de bonhomie et de jovialité. Le comic strip du 23 décembre 1996 illustre déjà cette nouvelle approche. La stylisation est désormais basée sur des courbes, des arcs de cercle et des arrondis, jamais sur un tracé abrupt et des traits 1353 Né FARKASH, Ya’aqov (1923, Budapest, Hongrie – 2002, Tel Aviv, État d’Israël). Le dessinateur est d’abord engagé en 1952 comme caricaturiste au Ma‘ariv puis à partir de 1962 au quotidien israélien Ha-’Aretz. Y dessinant quotidiennement une caricature, voire plus, quarante ans durant, Zé’ev compte incontestablement parmi les trois ou quatre plus importants caricaturistes ayant officié dans ce domaine en Israël depuis la création de l’État. 241 tranchés et raides. La dureté est réservée aux phrases assénées par le commentateur ou le personnage lui-même. Le traitement artistique appliqué au personnage « Yasser Arafat » recouvre à plusieurs reprises une « vision animalière » de celui-ci, tant physique que comportementale, les formes visibles évoquant le canard ou le poisson. Elle est reprise également pour dépeindre l’Arabe palestinien activiste lambda dans le but d’infantiliser sa conduite et ses motivations. Le visage du leader palestinien est quasi-systématiquement tacheté de points noirs, comme il l’est souvent dans la photo faite de lui et que diffusent tout au long de sa carrière, les médias internationaux. Cette composante de l’image publique de Yasser Arafat est reprise intentionnellement. Elle vise en effet à souligner le rasage déficient de la personnalité et, par conséquent, son manque de soins corporels et un certain laisser-aller dans l’apparence. Yasser Arafat est souvent vêtu d’un kéfieh et d’une vareuse militaire. L’artiste emprunte à nouveau ces détails à la célèbre image, médiatisée à l’envie de ce dernier, dans une forme de démultiplication dont sont responsables les médias internationaux. L’élément vestimentaire « kéfieh » couvre également la tête et le cou du personnage de l’Arabe palestinien, militant ou simple homme de la rue, voire de l’Arabe en général. Le kéfieh, dans l’utilisation qu’en fait Ya‘aqov Kirschen, est un marqueur culturel permettant une identification immédiate de l’appartenance communautaire de l’un comme de l’autre. L’humour du bédéiste, dans le message et la représentation qu’il propose de l’Arabe palestinien, est qualifiable à bien des égards de « pince-sans-rire ». Il vire à l’absurde lorsque l’artiste injecte une dose de « non sens », dans la signification anglaise de l’expression et conclut l’épisode de la série sur une chute, souvent déconnectée des cases l’ayant précédées. L’artiste instille également dans sa représentation une dimension de grotesque dans laquelle le burlesque le dispute au caricatural. Outre qu’il s’agit pour lui souvent de conjurer la mort (attentat-suicide, terrorisme, usage des armes…) par un constat explicatif d’ordre psychosocial, le rire est un moyen de miner le projet « sublime » défendu et incarné par le personnage représenté. Porté par une certaine extravagance du tableau et un décalage entre le signifié et le signifiant, son message est très percutant. Il véhicule, aux plans sémantique et visuel, une image augmentant la distance séparant la réalité connue du lecteur – « derrière le personnage », et celle vécue par celui-ci, amateur du spectacle que lui propose le dessinateur.