Le cycle biogéochimique du mercure
Sources d’émissions
Sources naturelles
Le Hg est un élément ubiquiste présent dans l‟atmosphère, les sols, les sédiments, les milieux aquatiques et la biosphère. Les principales sources naturelles de Hg sont de type géogénique. La croute terrestre est riche en mercure élémentaire (Hg°) et en Hg complexé avec le soufre (HgS) tels que les minerais cinabre, métacinabre et hypercinnabar. Les concentrations en mercure total varient de 21 à 56 µg kg-1 selon que l‟on considère la croute inférieure ou supérieure (Hans Wedepohl, 1995). Le dégazage de la croute terrestre est la principale source de ce métal dans l‟environnement avec 2700 à 6000 tonnes de Hg° rejeté par an dans l‟atmosphère (Varekamp et Busek, 1986). La « ceinture globale de mercure » est une grande émettrice de Hg° dans l‟atmosphère, avec un taux global moyen de 1,5 ng m-2 h -1 . Elle regroupe les aires qui ont été naturellement ou géologiquement (dégazage de la croute terrestre, activités volcaniques, schistes noirs, etc.) enrichies en Hg (Figure 1), aires principalement situées aux limites des plaques tectoniques. Au nord-ouest de l‟Amérique, le flux global annuel de Hg° émis a été estimé à 10 tonnes par an pour le Mexique et l‟ouest des USA. Par comparaison, ce flux est de 2,1 t an-1 au Nevada, et de 0,08 t an-1 en Arizona (Gustin et al., 2000 et 2008). Figure 1 : Ceinture globale de mercure (source : Jonassen et Boyle, 1972) Les plus importants gisements naturels de Hg au monde sont concentrés dans la région Méditerranéenne (Almaden en Espagne, Monte Amiata en Italie et Idria en Slovénie) (Gustin et al., 2000, Kotnik et al., 2007). La seconde source majeure d‟émission naturelle de Hg sont les volcans. En raison de la grande variété de volcans, de leur localisation et de leur niveau d‟activité (éruptions, fumerolles, etc.), les estimations d‟émission de Hg peuvent varier d‟un facteur 104 . Ainsi, les estimations d‟émission de Hg peuvent varier de 20 à 2000 t an-1 (Nriagu et Becker, 2003, Gustin et al., 2008). Le Hg libéré est gazeux ou particulaire s‟il provient des éruptions volcaniques et des fumerolles. Bagnato et al. (2007) ont évalué le flux de Hg émis par des volcans tel que le Mont Etna en Sicile, Italie, à 75 – 100 t an-1 . Nriagu et Becker (2003) ont estimé que le flux annuel moyen mondial de Hg émis par les volcans en activité entre 1980 et 2000 et en se basant sur la mesure du rapport Hg/SO4 des exhalations, a été de 57 t an-1 , avec 99 t pour le volcan Bagana, 87 t pour le Kilauea, 69 t pour le Sakura-jima, 57 t pour le St-Helens et 46 t pour le Nyamuragira. Une telle activité plaça les émissions volcaniques devant les émissions de Hg liée au dégazage de la croûte terrestre qui elles ont été évaluées à 37,6 t an-1 en moyenne. La dispersion du Hg provenant des sources naturelles est restée à peu près la même au cours des années (~ 4400–5200 t an-1 ) et pourtant la concentration en Hg dans l‟environnement ne cesse d‟augmenter car au Hg provenant des sources naturelles s‟ajoutent, depuis l‟entrée de la civilisation dans l‟aire industrielle, des rejets anthropiques. Ces apports supplémentaires rendent difficile l‟estimation des apports atmosphériques de Hg uniquement dues aux sources naturelles. De plus, ils augmentent les quantités disponibles de Hg dans le monde et influent sur la spéciation de l‟élément.
Sources anthropiques
Le Hg émis dans l‟atmosphère par les sources anthropogéniques est constitué en majorité de particules et de mercure gazeux réactif (MGR). Sa durée de vie est donc bien plus courte que celle du Hg émis par sources naturelles qui est présent dans l‟atmosphère sous forme de Hg° (Gustin et al., 2000). 30% du MGR dans l‟air provient des sources anthropogéniques avec un pic à 60% noté en avril-mai 2000 à Barrow, Alaska (Lindberg et al., 2002). Le Hg particulaire représente 10% du Hg dans l‟atmosphère. L‟apport annuel moyen mondial de Hg est évalué à 2200–4000 t an-1 alors qu‟il était de 1600 – 1800 t an-1 à l‟aire préindustrielle (Martin et al., 2011) et les concentrations en Hg dans certains lacs, sédiments, glaces et tourbières ont augmenté d‟un facteur 2 à 4 par rapport à il y a 150 ans. La première source anthropique de Hg est la combustion de produits fossiles (charbon – fiouls) suivi par les exploitations minières (plomb et zinc), les rejets industriels (industrie du chlore et de la soude…), l‟incinération des déchets, la lixiviation des sols suite aux constructions humaines (ex : barrages hydroélectriques) et à la déforestation (Veiga et Barker, 2004, PNUE 2005, Yudovich et Ketris, 2005, Pacyna et al., 2006). Le cas le plus flagrant d‟émission anthropogénique de Hg est la province de Guizhou, Chine, qui est la plus importante productrice de Hg et la zone mondiale la plus polluée par le Hg, avec une émission atmosphérique issue des raffineries et des procédés d‟extraction de 11 tonnes par an (Horvat et al., 2003). Cette région est également la plus importante zone de production de charbon. Malgré sa toxicité connue, le Hg est encore utilisé pour la fabrication de produits comme les piles miniatures, les ampoules basse consommation, les amalgames dentaires, les vaccins, etc. ou pour le traitement des sols (fongicides, fertilisants agricoles, etc.). Le Hg contenu dans ces produits s‟insère dans le cycle d‟élimination des déchets et provoque des rejets de Hg dans l‟air et des dépôts subséquents au sol et dans l‟eau. 80% de ces rejets se volatilisent dans l‟atmosphère, 15% se répandent dans les sols par l‟épandage de boues de stations d‟épurations et de composts et 5% sont directement versés dans les rivières et estuaires (Stein et al., 1996). II.2 La spéciation du mercure dans l’environnement Le Hg est présent dans l‟ensemble des compartiments de l‟environnement et possède de nombreuses formes physico-chimiques comme le montre son cycle biogéochimique en figure 2. Figure 2 : Le cycle biogéochimique du mercure (source : LCR 2011) La distribution du mercure dans l‟environnement s‟organise principalement autour de trois espèces, le Hg°, le mercure inorganique (iHg) et le MeHg, qui subissent toutes sortes de transferts et processus physico-chimiques et régissent la spéciation du Hg. Les principaux transferts sont représentés dans la figure 2 tandis que les principaux processus sont présentés dans la figure 3. Figure 3 : Principaux processus biotique et abiotique du cycle biogéochimique du Hg (source : Barkay et al., 2003) Partie I 22 Le Hg émis par voie naturelle ou anthropique, est principalement rejeté dans l‟atmosphère où il est distribué selon les conditions climatiques. Il peut par exemple être oxydé en iHg et se déposer dans les sols et l‟eau. Dans les milieux aquatiques et plus particulièrement au niveau des eaux de surfaces, le iHg est réduit en Hg° qui de nouveau se volatilise dans l‟air. Sinon, le iHg peut être méthylé par des processus biotiques ou abiotiques ou être sédimenté. Des réactions inverses peuvent également être observées avec la déméthylation biotique ou abiotique du MeHg formé. Dans les sédiments, des processus de méthylation-déméthylation, de réduction-oxydation et d‟adsorption-désorption sont constatés. Le MeHg va diffuser vers le milieu aquatique et par absorption va entrer dans la chaîne alimentaire où il sera bioaccumulé et bioamplifié. Certaines des réactions engagées dans le cycle biogéochimique du Hg sont bien connues mais la plupart restent encore peu ou pas définies. Les principaux facteurs influençant la spéciation du Hg sont les apports naturels et anthropiques de Hg, les paramètres environnementaux (pH, paramètres physicochimiques régulant la réactivité et la mobilité des contaminants) et les activités biologiques des organismes et micro-organismes aquatiques.
Réactivité du mercure dans l’environnement
Les différents processus impliqués dans la réactivité du Hg sont soit biotique soit abiotique ou une synergie des deux dans le cas où des produits biogéniques interviendraient (produits pouvant être synthétisés et excrétés par les micro-organismes puis réagir dans l‟environnement). Les processus biotiques sont des réactions intra- ou extracellulaires avec des organismes vivants (microorganismes). Les processus abiotiques sont purement chimiques (réactions chimiques, réactions photochimiques) et sont liés à la présence de certains composés dont les produits biogéniques.
Oxydation et réduction
Dans l‟atmosphère : L‟espèce Hg dominante dans l‟atmosphère est le Hg°. Peu soluble et très volatil, il peut parcourir de longues distances sur une durée moyenne de 1 à 2 ans. Le MeHg est peu présent dans l‟atmosphère car il est principalement issu de réactions de méthylation dans les sédiments, l‟eau et les organismes aquatiques. Les échanges mercuriels entre l‟atmosphère et l‟eau sont des phénomènes de déposition atmosphérique et volatilisation. Des dépôts de Hg dans l‟eau et sur les continents se font par voie sèche (vent) ou humide (pluie, neige) et sont dépendants des conditions météorologiques (forces et direction des vents, saisons, températures, etc.). Elles sont Partie I 23 principalement constituées de mercure inorganique (iHg) qui peut être issu de l‟oxydation du Hg° par l‟oxone ou la présence de radicaux libres OH (Hines et Brezonik, 2004, Calvert et Lindgerb, 2005, Sommar et al, 2010). En milieu aquatique, la réaction de réduction du iHg en Hg° la plus mentionnée est la photo-réduction, principalement en milieu humide et sous l‟action de rayonnements lumineux de longueurs d‟onde allant de 280 à 320 nm (UVB) (Muresan et al., 2008). Le Hg° est ensuite facilement transféré de l‟eau vers l‟atmosphère. Dans le système aquatique : Le Hg° et le iHg subissent dans le système aquatique de nombreuses réactions d‟oxydoréduction. Le Hg° va principalement être volatilisé dans l‟atmosphère tandis que le iHg est transféré de l‟eau vers les sédiments et vice-versa par des phénomènes de sédimentation et de remobilisation. Dans les eaux de surface, les réactions sont principalement de type photo-réductrice et photochimique tandis qu‟au niveau des eaux profondes ont lieu des réactions liées à l‟activité biologique (bactéries, phytoplancton) (Monperrus et al., 2007a, Whalin et al., 2007). Ces phénomènes sont régulés par les conditions météorologiques et hydrodynamiques telles que la houle, les marées, courants, vents, etc. L‟oxydation du Hg° est principalement abiotique par photochimie. Des études ont montré une diminution de la concentration en Hg° dans des milieux aqueux salins exposés aux UVA et UVB tandis que cette concentration reste constante la nuit (Monperrus et al., 2007a, Whalin et al., 2007). Néanmoins, l‟oxydation du Hg° peut également être biologique. En effet, Smith et al. (1998) ont montré que le Hg° peut être oxydé par les bactéries hydroperoxides KatG et KatE et Hines et Brezonik (2004) ont confirmé ces travaux, précisant que ces réactions se produisent dans les milieux où les rayons lumineux ne pénètrent pas (Smith et al., 1998, Hines et Brezonik, 2004). Les réactions de réduction sont favorisées par les radiations UV et permettent de limiter la quantité de iHg disponible pour la méthylation. Les réductions biotiques du iHg contribuent de beaucoup au flux d‟émission de Hg° dans l‟atmosphère. Elles sont dominantes dans l‟Océan Pacifique et les environnements estuariens (Barkay et al., 2003, Monperrus et al., 2007a). Les fortes concentrations en iHg favorisent l‟enrichissement du milieu où il est accumulé par les bactéries résistantes (Escherichia coli, saccharomyces, etc.) et induisent des réactions de réduction par les organismes possédant les enzymes réductases codées par le gène merA (Barkay et al., 2003). Dans certaines eaux profondes où d‟importantes concentrations de Hg° ont été notées, ce sont les organismes phototrophes comme des algues ou des espèces phytoplanctoniques plutôt que les bactéries réductrices, qui peuvent provoquer la réduction de iHg en Hg°, soit par des processus Partie I 24 dépendant de la lumière et qui font intervenir la photosynthèse, soit par des mécanismes ne nécessitant pas de radiations (Amyot et al., 1997, Hines et Brezonik, 2004, Dill et al., 2006). Dans les bassins versants, la réduction biotique du iHg diminue avec l‟augmentation de la teneur en matière organique car il tend à être adsorbé et donc n‟est plus disponible (Gabriel et Williamson, 2004). Dans les sédiments : Les réactions présentées pour le système aquatique peuvent également avoir lieu dans les sédiments. La réduction biotique est dominante dans les sols riches en matière organiques et en chlorure et est fonction du pH et de la concentration des autres métaux lourds, compétiteurs du Hg (Monperrus et al., 2007a, Whalin et al., 2007). La réduction abiotique est quant à elle majoritairement liée à des réactions photochimiques et est fonction de la quantité de matière organique, de l‟intensité de la lumière et de la concentration en chlorures (Amyot et al., 2004, Gustin et al., 2008).
Méthylation et déméthylation
Le méthylmercure (MeHg) est une espèce présente essentiellement dans le système aquatique, dans les sols saturés en eau et dans les êtres vivants. Les teneurs en MeHg de ces différents compartiments sont induites par les processus de méthylation (liaison avec un groupement méthyle CH3) et de déméthylation (dissociation de ce même groupement) du Hg. Après sédimentation, 25% du iHg piégé est remobilisé dans le milieu aquatique principalement par diffusion passive, bioturbation ou hydrodynamisme et 24% du Hg libéré est présent sous forme méthylée (Covelli et al., 1999). Les 75% de iHg restant dans les sédiments se complexent avec des composés comme les sulfures, les oxydes de fer ou le manganèse pour former des composés inorganiques tels que le HgS et le HgS2 2- ou se complexent avec des matières organiques en décomposition, des acides fulviques ou humiques (acide acétique, acide salicylique, EDTA, cystéine) pour former des composés organiques tels que le MeHg (Covelli et al., 1999, Falter, 1999, Horvat et al., 1999, Gabriel et Williamson, 2004). Le MeHg formé est ensuite soit déméthylé par réactions biotiques ou abiotiques et redevient du iHg, soit absorbé par les microorganismes (phytoplancton, zooplancton) puis bioaccumulé et bioamplifié dans la chaîne alimentaire. Dans l‟eau, les organomercures peuvent être transférés de la phase particulaire à la phase dissoute par des processus réversibles d‟adsorption et désorption sur des particules minérales, organiques ou biogéniques (Gabriel et Williamson, 2004, Ogrinc et al., 2007, Bengtsson et Picado, 2008). La concentration en MeHg dans le système aquatique et les sédiments est dépendante des Partie I 25 réactions de méthylation et déméthylation (M et D), oxydation-réduction et sorption-désorption. Le pourcentage de MeHg dans le HgT des sédiments ne dépasse généralement pas les 2%. Dans les océans, le MeHg vient principalement de trois sources : les sédiments estuariens et les plateaux océaniques, les sédiments au niveau des eaux profondes des océans et les colonnes d‟eau océaniques (Whalin et al., 2007). Méthylation : Le MeHg est principalement synthétisé à partir du iHg, par l‟activité microbienne d‟une variété d‟espèces (surtout les bactéries sulfato-réductrices, BSR) aérobies et anaérobies ou par l‟action de micro-organismes comme les algues et les levures (Choi et al., 1994, Mauro et al., 2002, Hammerschmidt et al., 2004, Celo et al., 2006, Coelho-Souza et al., 2006, Duran et al., 2008). Les BSR sont les agents méthylants les plus étudiés. Ce sont des bactéries anaérobies dont l‟action est observée dans les sédiments marins, estuariens et d‟eau douce ainsi que dans les zones marécageuses. L‟entrée du Hg dans les BSR se faire principalement sous la forme d‟un complexe neutre (HgXSy)° provenant de la réaction du iHg avec SO4 2- . Si la concentration en sulfates est trop élevée, la formation du complexe (HgXSy) 2- est favorisée au détriment de la M, car ce complexe est non-assimilable par les bactéries (Jay et al., 2002). Si la concentration en sulfate est trop basse, le Hg va se lier à la matière organique dissoute et cette matière va être absorbée par les bactéries donc la M aura lieu. La M par BSR est inhibée par la présence du molybdate (MoO4 2- ) car il perturbe leur métabolisme énergétique (Fleming et al., 2006). En présence d‟acide acétique comme source de carbone, les BSR ont un potentiel de M plus fort, probablement en raison de l‟utilisation de l‟enzyme méthyltransférase. Ce processus consiste en un transfert du groupe carbanion (CH3 – ) de la méthylcobalamine vers le iHg par voie enzymatique par l‟acétyl-coenzyme A, la forme activée de l‟acide acétique (Choi et al., 1994, King et al., 2000). Moins connues et quantitativement moins importantes que les réactions de méthylation et déméthylation bactériennes (ou biotiques), les réactions abiotiques ne sont néanmoins pas négligéables. La M abiotique fait intervenir des réactions chimiques ou photochimiques et a lieu dans les sédiments et la colonne d‟eau (Monperrus et al., 2007b). La liaison du Hg avec un groupe méthyle peut se faire soit par transfert d‟un carbocation (CH3 + ) ou d‟un carbanion venant de donneurs de groupe méthyle (acides humiques, fulvique, méthanol, éthanol, etc.), soit par transméthylation avec un composé alkylé du plomb ou de l‟étain (Gardfelt et al., 2003, Celo et al., 2006). Dans les eaux marines et estuariennes, la M du iHg par le trimethylétain est le processus le plus fréquent. Dans les milieux anaérobiques sera favorisée la M de Hg° par le méthyliodure avec Partie I 26 transfert d‟un carbocation CH3 + . En eaux douces, les attaques électrophiles ou nucléophiles entre la méthylcobalamine et iHg, sans intervention de bactérie ou enzyme sont les réactions de M abiotique les plus rencontrées (Celo et al., 2006, Chen et al., 2007). Enfin, les processus de M par des produits biogéniques (iodométhane, produits de dégradation du glucose (acétate, poprionate), métabolites halogénés, métaux méthylés) sont reportés. Généralement, la réaction du iHg avec les sulfures biogéniques forme le composé (MeHg)2S qui va se décomposer en Me2Hg et HgS puis en MeHg (Baldi et al., 1995).