Gaz moléculaire dans J1148+5251 à z=6.42
Observations & résultats
Trois transitions de CO décalées dans les fenêtres millimétrique et radio ont été recherchées simultanément au VLA et au PdB dans J1148+5251 à savoir les transitions 7→6, 6→5 et 3→2. Les trois transitions ont été détectées et la figure 5.1 présente les spectres obtenus. La raie CO (1→0) a été recherchée ensuite à l’aide du télescope de 100-mètre d’Effelsberg, sans succès.
CO (7→6) & (6→5)
Les observations des raies d’émission CO (7→6) et (6→5) décalées à 108.724 et 93.206 GHz ont été effectuées à l’aide de l’interféromètre du Plateau de Bure, entre mars et mai 2003, avec 6 antennes en configuration compacte (D). Le lobe synthétique résultant est de 5′′ .7 × 4 ′′ .1 à 3.2 mm. Les données utiles représentent 22h d’intégration sur la source pour la raie (7→6), et 14h pour la raie (6→5). Les raies de CO (6→5) et (7→6) sont détectées à des niveaux de 10σ et 7σ, sans tenir compte d’une possible émission continuum. L’émission au pic est de l’ordre de 2 mJy pour les deux transitions et la largeur de raie est de 300 km/s. Le décalage spectral moyen de CO est de z = 6.4190 ± 0.005. Ce décalage spectral correspond à celui obtenu à partir de la raie Mgii observée dans le proche infrarouge (Willott et al. 2003) (zopt = 6.41 ± 0.01) mais est significativement différent du décalage estimé à l’aide des raies UV hautement ionisées qui sont à plus de 1000 km s−1 (White et al. 2003).
CO (3→2)
La recherche de l’émission de la raie de CO (3→2) décalée à 46.61 GHz a été faite à l’aide du Very Large Array à une résolution spectrale de 50 MHz et en configuration compacte (D), correspondant à une résolution de 1′′ .8 × 1 ′′ .5. L’intervalle entier des décalages spectraux possibles à partir des spectres optiques(z = 6.35 − 6.43) a été exploré. La raie de CO (3→2) est détectée à 9σ à z = 6.418 ± 0.004. La limite supérieure sur le diamètre de la source CO est déterminée à 1.5′′correspondant à 8 kpc à z = 6.4. Il est également possible de déterminer une limite inférieure à ce diamètre en se basant sur la différence entre la température de brillance mesure et la température de brillance intrinsèque de la source. Ainsi, Walter et al. (2003) donne une limite inférieure de 1 kpc.
CO (1→0)
L’émission de la raie CO (1→0) a été recherchée à l’aide du télescope de 100 m d’Effelsberg entre mars et avril 2003 et représente ∼ 50 h de temps d’intégration sur la source. Ces observations n’ont pas permis une détection de la raie CO (1→0) au décalage spectral des raies de niveau supérieure détectées avec le Plateau de Bure et le VLA. La limite supérieure à 3σ de l’intensité au pic de la raie est de < 0.36 mJy.
Conditions physiques du gaz moléculaire
La détection de trois raies d’émission de CO, et d’une limite supérieure pour la transition 1→0, permet de d’estimer les propriétés du gaz moléculaire et de contraindre les conditions physiques du milieu interstellaire dans J1148. 184 Chapitre 5. Gaz moléculaire dans J1148+5251 à z = 6.42 Fig. 5.1 – Spectres CO (7→6), (6→5) et (3→2) de J1148+5251. Les ajustements gaussien des raies sont également présentés. Les vitesses de références correspondent au décalage spectral moyen CO z = 6.4190 ± 0.005. L’intervalle rouge correspond au décalage spectral déterminé à partir de la raie Mgii (Willott et al. 2003). Fig. 5.2 – Flux intégré des raies de CO, normalisé au CO (6→5). Les losanges représentent les mesure de J1148+5251. Les différents traits pleins correspondent aux modèles LVG avec Tkin = 120 K et n(H2) = 4.5×104 cm−3 avec différentes profondeurs optiques maximales. Les tirets représente le cas optiquement épais o`u le flux intégré varie en ν 2 . La ligne pointillée représente la distribution des flux intégré de la galaxie à flambée d’étoile NGC253. Tiré de Bertoldi et al. (2003b) 5.2. Discussion 185 Bertoldi et al. (2003a) présente un modèle Large Velocity Gradient (LVG) de J1148+5251. Le diagramme d’excitation de CO dans J1148+5251 ainsi que les différents modèles LVG sont présentés par la figure 5.2. Le rapport élevé des raies de CO (6→5) et (3→2) indique que l’excitation du gaz moléculaire doit être grande, alors que l’intensité plus faible de la raie CO (7→6) par rapport à la transition (6→5) suggère une opacité assez faible (τ ∼ 3). Bien que la mesure de trois transitions représente une prouesse observationnelle, ces données restent néanmoins insuffisantes pour contraindre précisément les conditions physiques du gaz moléculaire. Les mesures sont compatibles soit avec des modèles à faible opacités, o`u la densité et la température sont dégénérées en suivant T n1/2 ≈ 2.5×104 Kcm−1.5 , soit avec des modèles à opacité élevée et excitation faible. Les données sont cependant comparables à l’excitation observée dans la galaxie à flambées stellaires locale NGC 253 (Bradford et al. 2003) pour laquelle de nombreuse données indiquent une densité (n(H2) = 4.5 × 104 cm−3 ) et une température cinétique Tkin = 120 K élevées. Si le gaz est en équilibre thermique avec la poussière, Tdust = 57 ± 3 K, la densité de gaz est alors de n(H2) ∼ 2 × 105 cm−3 .
Masse de gaz moléculaire & masse dynamique
En l’absence de contraintes sur l’abondance de CO, la masse d’hydrogène moléculaire est estimée à partir de la luminosité en CO (1→0) en adoptant un rapport de conversion entre L ′ CO(1→0) et MH2 . Comme dans le cas de NGC 253, o`u les niveaux bas semblent peuplés par une composante de gaz optiquement épaisse, il est possible d’estimer la luminosité de la raie CO (1→0) à partir de celle du niveau (3→2) en faisant l’hypothèse que l’émission est optiquement épaisse. En utilisant un facteur de conversion α = 0.8 M⊙(K km s−1 pc2 ) −1 (voir chap. 1), on peut déduire une masse de gaz moléculaire de M(H2) ≈ 2×1010 M⊙. Si le gaz moléculaire est distribué dans un disque d’inclinaison i et de rayon compris entre 560 et 1400 pc (voir plus haut), la masse dynamique du système est estimée à Mdyn ∼ (2 − 6) × 109 sin−2 i M⊙. Des angles d’inclinaisons importants impliqueraient une masse dynamique proche de la masse estimée du trou noir central (3 × 109 M⊙) et 4 à 10 fois plus petite que la masse de gaz moléculaire estimée. Cela pourrait indiquer une surestimation de cette dernière, à moins que l’angle d’inclinaison du disque soit faible i ∼ 20 − 30◦ , ce qui est probable puisque le noyau actif n’est pas obscurci en optique. Récemment, Walter et al. (2004) ont présenté des observations au VLA à grande résolution spatiale de la raie CO (3→2). A une résolution de 0 ` ′′ .17 × 0 ′′ .13 (≤ 1 kpc à z = 6.42), ces observations ont permis de résoudre J1148+5251 en deux régions séparées par 0′′ .3. Le flux intégré de ces deux composantes représente environ la moitié du flux de la raie CO (3-2). Il est probable que le flux non mesuré dans ces observations à haute résolution spectral provienne d’une région plus étendue. Chacun des pics d’émission représente une masse de gaz de ∼ 5 × 109 M⊙, typique d’un ULIRG local. Si le système est gravitationnellement lié, la masse dynamique du système peut également être estimée dans un rayon de 2.5 kpc à ∼ 4.5 × 1010 sin−2 i M⊙, ou ∼ 5.5×1010 M⊙ si on corrige de l’inclinaison, estimée ici à i ∼ 65◦ . De telles masses dynamiques laissent peu de place pour d’autres composantes que le gaz moléculaire, et notamment pour une composante stellaire de ∼ 1012 M⊙ déduite de la relation MBH − σbulge si celle ci était est valide au décalage spectral de z = 6.4.
Gaz ionisé
La détection d’un réservoir de gaz moléculaire massif et l’intense activité de formation stellaire dans J1148+5251 ouvre la possibilité de cherches d’autres traceurs que CO en particulier 186 Chapitre 5. Gaz moléculaire dans J1148+5251 à z = 6.42 la raie de structure fine de [Cii] 3P3/2 → 3P1/2 , qui, pour z = 6.4, est décalée dans une fenêtre atmosphérique. [Cii] est la raie la plus intense dans les spectres de nombreuses galaxies (Stacey et al. 1991; Malhotra et al. 1997), y compris la Voie Lactée o`u [Cii] représente 0.5% de la luminosité bolométrique (Bennett et al. 1994). La raie de [Cii] est donc un traceur potentiel important pour l’étude des galaxies et des quasars à grand décalage spectral (Petrosian et al. 1969; Loeb 1993; Stark 1997). Pour un rapport, LCii/LCO(1→0) ∼ 4000 typique pour des galaxies à flambées stellaire locales (van der Werf 1998), la luminosité de [Cii] de J1148+5251 serait de LCii ∼ 8 × 109 L⊙, ce qui correspond à une intensité de 80 mJy pour une largeur de raie de ∼ 250 km s−1 . Des observations effectuées au 30-m par notre groupe ainsi qu’au JCMT (Bolatto et al. 2004) n’ont pas permis de détecter [Cii] dans J1148+5251 avec une limite supérieure à la luminosité de [Cii] de LCii < 2.6 × 109 L⊙. Il apparaˆıt donc que les raies de [Cii] sont difficiles à détecter dans les objets lumineux en infrarouge, que ce soit localement ou à grand décalage spectral. 5.3 Conclusions La détection d’un réservoir important de gaz moléculaire dense et chaud dans J1148+5251 confirme la présence d’une activité importante de formation stellaire qui avait été suggérée par nos études précédentes du continuum infrarouge lointain. La masse de gaz estimée permet d’alimenter la formation stellaire de J1148+5251 sur un temps inférieure à 10 millions d’années. Cette durée est comparable au temps dynamique de la région de formation stellaire, ce qui implique un épuisement rapide du gaz, sauf si le système accréte efficacement du gaz. De plus, dans le cas de J1148+5251, des observations récentes tendent à montrer que le trou noir se forme avant la formation du bulbe stellaire et que les halos de matière noire sont moins massifs que ce qui est prédit à partir de la relation observée localement entre la masse du trou noir et la masse du bulbe