Lasers à base de cristaux dopés ytterbium
Choix des couples source de pompe-cristal utilisés
Les diodes de pompe
Pour pouvoir extraire suffisamment de puissance à la longueur d’onde fondamentale de 1003 nm (ou créer suffisamment de puissance intracavité), on peut considérer que l’on travaillera environ trois fois au-dessus du seuil d’oscillation laser, d’où des intensités de pompe d’environ 75 kW.cm-2 à 980 nm et 120 kW.cm-2 à 930 nm. De telles intensités peuvent être obtenues par des diodes émettant typiquement 5W sur un diamètre de 100 µm à 980 nm (ou 20W sur un diamètre de 200 µm) et près de 10W sur un diamètre de 100 µm à 930 nm. Au commencement de ces travaux de thèse, seules des diodes à 980 nm étaient disponibles (15W fibrée sur un diamètre de 200 µm, correspondant à une intensité d’environ 50 kW.cm-2 et un faisceau de profil d’intensité « top hat », ou 4W à partir d’une zone émettrice de 1×100 µm2, correspondant à une intensité d’environ 80 kW.cm-2 pour un faisceau très proche d’un profil gaussien et remis en forme sur un rayon de 50 µm). Cependant, les diodes fibrées d’un diamètre de 200 µm ne permettent pas d’atteindre les intensités désirées. Tout comme les diodes fibrées à 980 nm, les principales limitations des sources à 930 nm étaient les intensités émises (typiquement 10 à 15W sur un diamètre de 200 µm). Un autre inconvénient est la disponibilité des longueurs d’ondes. Ce sont en fait des sources émettant aux longueurs d’ondes standard de 915 ou 940 nm qu’il faut chauffer ou refroidir pour atteindre la zone spectrale de 930-935 nm. Le décalage de la longueur d’onde d’émission étant de l’ordre de 0,35 nm.K-1, ces diodes doivent alors travailler à hautes ou basses températures, ce qui est néfaste pour leur bon fonctionnement36. Nous nous sommes donc tout d’abord concentrés expérimentalement sur le pompage autour de 980 nm. Le principal inconvénient des diodes laser en tant que source de pompe est leur faible qualité spatiale menant à des divergences élevées. Pour cela on peut regarder la valeur de la longueur de Rayleigh ZR, définie comme la distance au waist pour laquelle le faisceau voit son rayon W(z) augmenter d’un facteur 2 (c’est-à-dire que son intensité en z=ZR est diminuée d’un facteur 2 par rapport à la position au waist en z=0) (voir Figure B-11). a longueur de Rayleigh, dans un milieu d’indice n, vaut, pour une onde gaussienne de rayon au waist W0 et de facteur de qualité spatiale M2 à la longueur d’onde λ : 2 0 2 . . . R n w Z M π λ = (Équation B-36) La distance caractéristique souvent considérée autour du waist du faisceau laser est la distance double 2.ZR, correspondant à la zone dans laquelle w(z 0 ) ≤ 2.w . Pour une diode fibrée sur un diamètre de 200 µm émettant à 980 nm (dont le facteur M2 est d’environ 75) et focalisée sur un diamètre de 100 µm après remise en forme, la distance 2.ZR vaut 0,4 mm37. Pour une diode à ruban large de 1×100 µm2, dont les facteurs M2 sont respectivement pris égaux à 2 et 20, et remise en forme au niveau du point focal sur une taille totale de 100×100 µm2, les distances 2.ZR valent alors respectivement 14 mm et 1,4 mm. Ces dernières permettent donc un pompage homogène sur de plus longues distances.De plus, ce qui est un avantage considérable face aux diodes de puissance fibrées, le faisceau issu d’une diode à monoémetteur est polarisé rectilignement, ce qui permet de travailler selon les axes des cristaux présentant un maximum d’absorption. Cependant, ce type de diodes nécessite un système optique38 de remise en forme du faisceau pour adapter sa taille et sa forme au niveau du point de focalisation dans le cristal. A contrario, un banc de pompe utilisant une diode fibrée n’est constitué, en général, que de deux doublets, un pour la collimation et l’autre pour la focalisation du faisceau. Ainsi, malgré des puissances émises un peu plus réduites et un système de remise en forme plus conséquent, les diodes à ruban large permettent un pompage polarisé plus homogène sur de plus longues distances. Ceci est grand avantage pour notre application qui nécessite de fortement saturer l’absorption du cristal. Afin de travailler dans la zone de Rayleigh et de bénéficier au mieux de fortes intensités de pompe tout au long du cristal, il sera nécessaire d’utiliser des cristaux courts, typiquement 1 mm de longueur. En contrepartie, le taux de dopage devra être suffisant pour créer du gain à 1003 nm. Nous savons donc que nous travaillerons avec des cristaux courts et « fortement » dopés et avec des intensités de pompe importantes pour saturer l’absorption et créer du gain à 1003 nm. Une partie non négligeable de la puissance de pompe incidente sera donc transmise par le cristal laser (puisque nous travaillerons en régime de saturation de l’absorption). Afin d’utiliser efficacement toute la puissance de pompe disponible, d’homogénéiser l’inversion de population et d’augmenter encore le gain à 1003 nm, nous mettrons alors en place un système de recyclage du faisceau de pompe transmis par le cristal laser. Voyons maintenant quels cristaux, ressortant de la figure de mérite précédente, nous allons retenir pour nos expériences.
Les cristaux retenus
D’après les critères de mérite établis plus haut, les cristaux de Yb:KGW, de Yb:KYW, de Yb:YSO, de Yb:YAB et de Yb:YVO4 semblent être les plus prometteurs pour une émission à 1003 nm (figure B-10). Les cristaux de Yb:YVO4 et Yb:YAB sont apparus vers la fin des années 1990. Les premières publications39 concernant le Yb:YVO4 en 1999 traitaient de ses propriétés spectroscopiques (Voir les références 4, 11 et 12 dans [Kränkel, 04]). Dans un premier temps, il ne semblait pas attractif comme milieu laser à cause du recouvrement important de ses spectres d’absorption et d’émission. Il est réapparu dans la littérature courant 2004 avec les premiers résultats laser en pompage par laser saphir dopé au titane (Ti:Sa) ainsi qu’en pompage par diode [Kisel, 04] et [Kränkel, 04]. Ce cristal n’était pas disponible pour ces travaux. La première publication relatant la croissance du Yb:YAB date de 1995 (référence 14 de [Wang, 99]), alors que ses propriétés spectroscopiques et son potentiel en tant que cristal autodoubleur de fréquence ont été publiées en 1999 par l’Université de Macquarie en Australie [Wang, 99]. C’est un cristal encore relativement peu connu et peu répandu et nous ne l’avons donc pas retenu puisqu’il n’était pas disponible. Néanmoins, comme nous l’avons déjà mentionné, c’est un cristal autodoubleur qui peut se révéler efficace et pourrait être prometteur pour une source à 1000/500 nm [Dekker, 01]. Il nous reste donc, comme bons candidats possibles, les tungstates Yb:KGW et Yb:KYW et le silicate Yb:YSO. Tous trois présentent des intensités de pompe à la transparence IPmin calculées inférieures à 4 kW.cm-2 pour un pompage à 980 nm, avec des gains linéiques petits signaux compris entre 2,5 et 4,5 cm-1 dans les conditions du calcul (une puissance de pompe de 1W sur un rayon de 50 µm). Même si ces valeurs sont largement surestimées, elles donnent une idée des gains pouvant être atteints. A titre de comparaison, dans exactement les mêmes conditions, le gain linéique du Yb:YAG au maximum de son spectre d’émission à 1030 nm et en pompant à 940 nm est de 5,3 cm-1. Ces trois matériaux sont donc prometteurs pour une émission à 1003 nm. Les tungstates Yb:KGW et Yb:KYW sont des cristaux très similaires dans leurs propriétés spectroscopiques et laser [Métrat, 99] [Lagatsky, 99]. Ce sont deux cristaux commerciaux, ce qui est un avantage pour leur utilisation. De plus, ils font partie des rares cristaux présentant un fort pic d’absorption autour de 930 nm. Comme nous allons le voir, c’est un avantage qui permettrait de relâcher les contraintes techniques dues à la proximité des longueurs d’ondes de pompe et du laser auxquelles nous seront confrontés dans le cas d’un schéma de pompage sur la « Zero-Line » (980 nm). C’est donc principalement pour un pompage à 930 nm que ces cristaux ont été retenus. Le dopage maximum en ions ytterbium pour le Yb:KGW est de 5%, correspondant à environ 3,2.1026 ions.m-3, alors que son cousin Yb:KYW peut supporter de forts dopages, allant même jusqu’à la substitution complète des ions yttrium (Y) par les ions ytterbium [Klopp, 03]. L’avantage est donc du côté du Yb:KYW qui nous permettra de choisir le taux de dopage et la longueur voulue (voir l’Encadré B.4). De plus, dans les mêmes conditions et avec des intensités de transparence identiques, le Yb:KYW présente un gain linéique petit signal à 1003 nm supérieur à celui du Yb:KGW pour un pompage à 980 nm ou à 930 nm (voir la figure de mérite B-10). Afin de bénéficier d’une absorption suffisante à 930 nm, nous avons choisi des cristaux de Yb:KYW dopés à hauteur de 10% en ions ytterbium de 1mm et 1,5mm de longueur. Ils seront bien sûr aussi testés en pompage à 980 nm. Cependant, ces cristaux n’étaient pas disponibles au début de ces travaux et il fallu attendre le milieu de l’année 2004 pour pouvoir les utiliser. Le Yb:YSO est un cristal faisant parti de la famille des silicates (voir l’Encadré B.5). Bien qu’il soit connu depuis plus de 10 ans [Deloach, 93], ce cristal dopé ytterbium n’est pas vraiment commercial. Outre le CEA-LETI, d’où nos échantillons proviennent, la seule société40 en commercialisant sur demande est Scientific Materials Corporation [Sc. Mat. Corp.]. On pourrait donc le classer parmi les « nouveaux cristaux dopés ytterbium ». Néanmoins, nos étroites collaborations avec les laboratoires de l’école Chimie-Paris et du CEA-LETI nous ont permis d’avoir accès à ces cristaux. Ses propriétés spectroscopiques prometteuses à 1003 nm, combinées à l’intérêt de l’étude et de l’utilisation d’un nouveau cristal dopé ytterbium sont autant de points positifs qui nous ont poussés à utiliser ce cristal.
Remise en forme du faisceau de pompe à 980 nm
La source de pompe utilisée à 980 nm est donc une diode nue à monoémetteur produisant 4W à partir d’une zone émettrice de 1×100 µm2. Son émission est polarisée rectilignement dans le plan parallèle au plan de jonction (axe lent X). Compte tenu des rayons de courbures des miroirs et de l’encombrement des montures et autres composants, le rayon (pris à 1/e2) du mode de cavité au niveau du cristal laser sera d’environ 45 à 55 µm. Nous choisissons donc de remettre en forme le faisceau de pompe pour obtenir, au point de focalisation, une taille d’environ 55 à 70 µm en rayon (pris à 1/e2). La figure B-13 page suivante montre le banc de pompe mis en place à 980 nm. L’annexe 1 donne une procédure de réglage de ce banc de pompe. La diode laser de pompe est montée sur un support en cuivre régulé thermiquement par un élément Peltier et une circulation d’eau. Le faisceau issu de la diode, polarisé suivant l’axe X, est collimaté par un objectif de microscope (L1) ayant une focale de 8 mm. Un système associant une lame demi-onde (λ/2) et un cube séparateur de polarisation (C.S.P.) joue alors le rôle d’un variateur de puissance. Cela permet de faire varier la puissance incidente sur le cristal à courant d’alimentation constant pour la diode de pompe, et donc à longueur d’onde d’émission constante (puisque celle-ci varie avec la température de la zone active et donc avec le courant d’alimentation). La température de la diode est alors réglée à courant d’alimentation maximum (4,9A) pour accorder sa longueur d’onde sur le maximum d’absorption du cristal utilisé. Nous travaillerons alors toujours au courant d’alimentation maximum (λP est alors fixe) et ferons varier la puissance par rotation de la lame λ/2. On effectue alors une calibration de la puissance transmise par le banc de pompe en fonction de l’angle de la lame.Le faisceau passe ensuite à travers deux systèmes afocaux imbriqués, travaillant chacun selon l’une des directions privilégiées de la diode, et constitués d’une lentille cylindrique divergente (CD focale -25,4 mm) et d’une lentille cylindrique convergente (CC focale 200 mm). Associés à un doublet de focalisation (L2) de 80 mm de focale, ce système de remise en forme permet d’obtenir théoriquement une taille au waist d’environ 40×62 µm (en rayon), respectivement selon les axes X et Y. On ajoute aussi un système de deux prismes à angle droit permettant d’homogénéiser la divergence du faisceau selon les deux directions et schématisé sur la figure B-14. Ce système permet, théoriquement sans affecter le M2 global (produit selon les deux directions X et Y) ni la taille du faisceau au point de focalisation, de diminuer la divergence selon la direction de mauvaise qualité spatiale (X) tout en l’augmentant dans la direction bénéficiant d’une bonne qualité spatiale (Y). Tous les éléments optiques du banc sont traités anti-reflet à 980 nm (traitement antireflet large bande 077 de Melles Griot) et la transmission complète de ce banc de pompe est supérieure à 80%. Le tableau suivant donne les valeurs des rayons de col, notés W et pris à 1/e2 des profils en intensité, et des paramètres M2 du faisceau de pompe selon ses deux directions privilégiées X et Y avec et sans système de prisme, pour un doublet L2 de 80 mm de focale. Ils ont été mesurés à l’aide d’une caméra Spiricon® (modèle COHU 4812).