Fabrication de fibres à saut d’indice dopées thulium par la méthode poudre

Fabrication de fibres à saut d’indice dopées thulium par la méthode poudre

La montée en puissance dans les sources laser à fibres dopées thulium se heurte à plusieurs obstacles parmi lesquels une efficacité laser limitée du fait de la position spectrale des bandes d’absorption et d’émission de l’ion thulium. Par exemple, lorsqu’une diode de pompage à 790nm est utilisée, le fort défaut quantique limite l’efficacité à moins de 40%, c’est-à-dire que près de 60% de la puissance de pompe absorbée va être transformée en chaleur (émission non-radiative). Des schémas de pompage plus complexes peuvent être mis en œuvre pour réduire l’échauffement de la fibre mais ils s’avèrent rapidement moins séduisants qu’un pompage direct par diode. Dans ce chapitre, la spectroscopie des ions thulium est d’abord détaillée afin de démontrer que certaines compositions du matériau hôte (utilisation de co-dopants) peuvent conduire à l’amélioration des rendements laser. Ensuite, différentes méthodes de fabrication de fibres optiques sont présentées parmi lesquelles la synthèse par voie poudre qui a été retenue au laboratoire XLIM. La fabrication et la caractérisation de fibres dopées thulium produites par la méthode poudre sont ensuite détaillées et discutées. La composition chimique du milieu à gain dans ces fibres a été choisie de manière à favoriser la mise en place du phénomène de relaxation croisée afin de dépasser le seuil des 40% d’efficacité laser. 

Spectroscopie des ions thulium 

Les sections efficaces d’absorption et d’émission des ions thulium (i.e. la capacité à absorber ou à émettre des photons selon la longueur d’onde) varient d’une fibre à une autre en fonction de la nature du dopage et de la matrice vitreuse d’accueil. La figure 53.a représente les niveaux énergétiques impliqués dans les phénomènes d’absorption et d’émission d’une fibre en silice dopée thulium. Dans la silice, chaque niveau énergétique se décompose en sous-niveaux Stark sous l’effet du champ cristallin local du matériau hôte qui lève partiellement la dégénérescence de ces niveaux énergétiques [Faure05]. De plus, chaque ion dans le milieu à gain possède ses propres sous-niveaux d’énergie. Enfin, comme chaque site d’accueil présent des caractéristiques différentes, le champ cristallin est différent d’un site à l’autre et il résulte une dispersion des effets appelée élargissement inhomogène. A l’échelle macroscopique, la combinaison de ces effets crée alors des bandes d’absorption/émission très larges (plusieurs dizaines de nm).Les sections efficaces d’absorption et d’émission des fibres de silice dopées thulium sont montrées dans la figure 53.b [Peterka04, Peterka12]. D’après la figure 53, plusieurs schémas de pompage sont possibles dans ces fibres pour accéder à des longueurs d’onde autour de 2µm correspondant à la transition énergétique entre les niveaux 3F4 et 3H6. Il existe deux moyens pour exciter l’état 3F4. Le premier est l’excitation directe de ce niveau en utilisant une longueur d’onde autour de 1550nm. Dans cette configuration, la valeur du défaut quantique est de l’ordre de 20%. Des lasers à fibres dopées erbium peuvent être utilisés comme sources de pompe, cependant leur faible efficacité (autour de 50%) limite la puissance pouvant être extraite à 2µm. Le deuxième moyen est l’excitation indirecte du niveau 3F4 en utilisant une diode de pompe émettant à 790nm. Ce schéma de pompage est le choix le plus efficace pour réaliser des sources de haute puissance. En effet, d’une part, des diodes très puissantes émettant à 790nm sont déjà commercialisées et d’autre part, en regardant la section efficace Fabrication de fibres à saut d’indice dopées thulium par la méthode poudre  d’absorption des fibres en silice dopées thulium présentée sur la fig. 53.b, on peut voir que l’absorption dans ces fibres est plus importante à 790nm (8.5×10-25m²). En suivant ce schéma de pompage, quand un ion thulium absorbe un photon à 790nm, il passe de l’état fondamental (3H6) à l’état excité 3H4. Le temps de vie du niveau 3H4 est très court, il est généralement autour de 20µs. Donc l’ion se désexcite rapidement via un processus non radiatif (génération de chaleur au sein du matériau) vers le niveau 3F4. Ensuite il va être désexcité en revenant à l’état fondamental en émettant un photon autour de 2µm. Figure 53 : (a) diagramme énergétique et (b) sections efficaces d’absorption (bleu) et d’émission (rouge) d’une fibre en silice dopée Tm3+ [Peterka04, Peterka12]. (a) (b)  Malgré les avantages mentionnés ci-dessus, l’excitation du niveau 3H4 conduit à une perte d’énergie conséquente du fait du défaut quantique (à cause de la grande différence entre les longueurs d’onde absorbée et émise). Autrement dit la quantité de chaleur émise au sein du matériau est grande devant la part d’énergie convertie dans le rayonnement laser. Théoriquement, l’efficacité quantique ηs des ions thulium est de 40% (1 – λp/λs), le reste étant libéré sous la forme d’une énergie calorifique. On comprend aisément l’intérêt d’augmenter l’efficacité quantique de ces ions. Une solution très efficace a été proposée par [Jackson03] pour diminuer le défaut quantique dans les fibres dopées thulium. Cette solution repose sur la mise en place du phénomène de relaxation croisée (CR pour l’anglicisme « crossrelaxation process », cf. figure 54). En Supposant que dans un milieu à gain on ait deux ions thulium voisins identifiés Tm1 et Tm2. Quand l’ion Tm1 absorbe un photon à 790nm, son énergie devient celle du niveau excité 3H4. Lorsqu’il se désexcite ensuite rapidement vers le niveau 3F4, l’énergie libérée est alors transférée à l’ion voisin Tm2 l’excitant ainsi à son tour sur le niveau 3F4. Autrement dit l’absorption d’un photon de pompe conduit ainsi deux ions actifs sur l’état énergétique métastable, chacun d’eux induisant la création d’un photon signal via le processus d’émission stimulée. Donc le processus de relaxation croisée permet d’augmenter la valeur d’efficacité quantique théorique des ions thulium jusqu’à 80%. Pour favoriser la mise en place du phénomène de relaxation croisée, les ions thulium doivent être suffisamment proches sans pour autant formés des agrégats car dans ce cas l’efficacité des transitions radiatives est dégradée. Donc, pour augmenter l’efficacité d’une fibre dopée Tm3+ il faut augmenter la concentration des ions terres rares en ajoutant des codopants afin d’assurer la bonne solubilité des ions actifs au sein du matériau. Ces codopants vont être présentés et discutés dans le prochain paragraphe. Figure 54: Phénomène de relaxation croisée recherché dans une fibre en silice dopée thulium, avec Tm1 et Tm2 deux ions thulium voisins. Dans le but d’augmenter la probabilité de mise en place du phénomène de relaxation croisée dans la fibre, l’utilisation d’une concentration élevée en ions Tm3+ est indispensable. Par contre, si le co-dopage en ions Al3+ n’est pas suffisant (cf. paragraphe suivant), un dopage fort en ions Tm3+ peut amener à des phénomènes d’absorption parasites vers les états excités (ETU pour l’anglicisme « Energy Transfer Upconversion ») basés sur un transfert d’énergie entre une paire d’ions Tm3+, réduisant ainsi l’efficacité laser de la fibre via  un dépeuplement du niveau 3F4. Ces phénomènes d’absorption parasites peuvent être classés selon deux catégories notées ETU1 et ETU2 (cf. figure 55) [Jackson04, Jackson09]. Figure 55: Phénomène d’absorption vers les états excités (ETU pour l’anglicisme « energy transfer upconversion ») entre deux ions Tm3+ voisins. Pour la première catégorie, un photon émis par l’ion Tm1 lors de sa désexcitation du niveau3F4 est absorbé par l’ion voisin Tm2 qui se trouve initialement dans l’état excité 3F4 et qui passe ainsi dans un état excité plus élevé (3H5). Pour la seconde catégorie, le processus est similaire à la différence près que l’état énergétique final atteint par l’ion Tm2 est le niveau3H4. De plus, en regardant la différence énergétique, ∆E=E(initial)-E(final) pour chaque phénomène, on peut constater que le ETU1 est exothermique (fournie de chaleur) et le ETU2 est endothermique (absorbe de chaleur). D’où l’intérêt de refroidir la fibre pour réduire la génération du ETU2. De plus, certains phénomènes d’absorption supplémentaires vers des états excités permettent de générer des photons dans le bleu caractéristiques d’un pompage d’ions thulium [Firth10] mais synonymes de pertes de rendement du point de vue de l’émission laser recherchée à 2µm.

Co-dopage du milieu à gain 

Dans les fibres optiques, des dopants comme le germanium, le fluor, l’aluminium sont utilisés pour augmenter ou diminuer l’indice de réfraction du matériau hôte (fait de silice en général). Un deuxième rôle peut être joué par ces éléments surtout dans les fibres optiques fortement dopées par des ions de terres rares (un dopage fort permet d’avoir un gain important, donc de réduire la longueur de la fibre et repousser le seuil d’apparition des effets non linéaires). Certains de ces ions assurent en effet la solubilité du matériau actif et réduisent la formation d’agrégats [Arai86] qui diminuent l’efficacité laser de la fibre. Dans le paragraphe précédent, on a vu comment l’efficacité laser des fibres dopées Tm3+ peut être améliorée en augmentant la probabilité de mise en place du phénomène de relaxation croisée dans le milieu à gain. Ce mécanisme dépend notamment de la quantité d’ions Tm3+ et de la distance entre ces ions. Pour cette raison, ajouter des co-dopants (Al 3+ en général) peut favoriser la mise en place du processus de CR d’une part, et diminuer l’absorption vers les états excités d’autre part [Jackson04]. Un rapport Tm2O3 :Al2O3 de 1:10 [Jackson03, Firth06] est généralement utilisé durant la synthèse du matériau actif constituant le cœur afin d’obtenir une bonne efficacité quantique. La première démonstration  expérimentale de CR dans des fibres optiques dopées Tm3+ a été faite par Hayward et al. en 2000, avec une efficacité de 46% pour une fibre dopée à hauteur de 2,2wt% en Tm2O3 [Hayward00]. Quelques années plus tard, et en utilisant ce principe de co-dopage, l’efficacité de ces mêmes fibres a augmenté progressivement jusqu’à atteindre des valeurs comprises entre 60 et 70% [Moulton09, McComb10, Firth06]. Par contre, ces fibres ne sont pas toutes monomodes. Le fort dopage, en Tm2O3 ou en Al2O3 augmente en effet l’indice de réfraction du cœur, ce qui rend la fibre multimode pour des grands diamètres de cœur. D’où l’intérêt d’utiliser des architectures comprenant un piédestal afin de diminuer l’ouverture numérique du cœur. Au meilleur de notre connaissance, le dopage efficace le plus élevé en Tm2O3 ayant été fabriqué est de 4wt.%. I

Fabrication des fibres actives 

La fabrication d’une fibre requiert une étape préalable de synthèse de la préforme pour laquelle plusieurs méthodes peuvent être employées. Dans les paragraphes suivants, nous allons présenter et discuter les principales méthodes utilisées pour la production des préformes. Au début, la méthode MCVD utilisée pour fabriquer des fibres passives est présentée. Ensuite, la combinaison de cette dernière avec le dopage en phase liquide afin de produire des préformes actives est montrée. Après, les méthodes de dopage par phase gazeuse et en forme poudre sont expliquées. 

Méthode MCVD 

Cette méthode (illustrée dans la figure 56) consiste à utiliser les précurseurs des éléments chimiques (Si, Ge, F, B) en état liquide, sous une forme de chlorure, SiCl4 par exemple pour synthétiser de la silice pure. Ces derniers passent en état gazeux à température ambiante (ou légèrement supérieure). Un tube « support » en silice doit être installé horizontalement en rotation sur un tour à mors synchronisés au-dessus d’une flamme ou d’une source d’énergie (flamme pour MCVD, four pour FCVD, plasma pour PCVD…) elle-même en translation. Le chlorure de silicium est évaporé avec du dioxygène (O2) dans un bulleur, transporté à travers des tubes et injecté dans le tube « support » en silice. L’apport local de chaleur provoque alors la formation et le dépôt sur la face interne du tube de suies de silice. D’autres dopants comme le germanium, le fluor ou le bore peuvent être incorporés pour modifier les propriétés des suies de silice ainsi déposées. La concentration des dopants peut être gérée en contrôlant la vitesse et la quantité des gaz qui traversent les tubes de transport, formant ainsi et au fur et à mesure différentes couches de suies déposées les unes sur les autres, formant les prémices du profil d’indice recherché. Afin d’assurer la consolidation de ces différentes couches de suies, la température est alors progressivement augmentée de 1800 à 1900°C environ, c’est la consolidation des suies appelée également vitrification. Durant le processus, le tube est toujours mis en rotation et la flamme est déplacée tout le long du tube afin d’homogénéiser l’apport de chaleur. On augmente enfin la température progressivement jusqu’à 2000°C en appliquant éventuellement une légère dépression pour assurer le rétreint du tube et obtenir une préforme de silice dopée passivement, solide et homogène. Le reste de la réaction chimique, principalement Cl2 (produit toxique), est évacué vers un système de neutralisation externe. Cette méthode est la plus utilisée pour fabriquer des fibres optiques passives. Pour les fibres qui sont utilisées dans le domaine des télécommunications par voie optique avec de très faibles pertes (autour de 0,2dB/km à 1550nm), il est nécessaire de minimiser la  teneur en ions OH, le système de chauffe à la flamme est donc préférentiellement remplacé par un four thermique ou un réacteur plasma selon le fabriquant. 

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