Exploitation de l’effet d’atténuation des contrastes par l’atmosphère
La distance de visibilite météorologique est la traduction en termes de distance d’un paramètre physique de l’atmosphère : son coefficient d’extinction. Nous sommes parvenus à estimer celui-ci dans le chapitre 2 grˆace à l’existence d’un point d’inflexion sur la courbe représentative de la loi de Koschmieder. Cette dernière étant spécifique au brouillard diurne, la méthode développée est a fortiori limitée à ce cas. Ce chapitre propose une méthode générique avec un minimum d’hypothèses, capable d’estimer la distance de visibilité météorologique sous différentes conditions météorologiques, de jour comme de nuit. Mais, contrairement au chapitre 2 o`u le capteur était constitué d’une seule caméra, la méthode développée dans ce chapitre exploite un capteur stéréoscopique. Pour construire notre nouvelle méthode, nous sommes partis de la remarque suivante. L’atmosphère peut très bien avoir le même coefficient d’extinction de jour et de nuit. Or, la perception que l’on peut avoir de la scène n’est pas du tout la même. Nous proposons donc dans ce chapitre de compléter la notion de distance de visibilité météorologique, insuffisante pour décrire correctement les conditions de visibilité, par l’estimation de la distance à l’objet le plus éloigné possédant un contraste suffisant par rapport à son fond. Nous sommes, ce faisant, toujours très proches de la définition de la cie. De manière naturelle, nous décomposons cette mesure en deux tˆaches. Tout d’abord, il faut mesurer le contraste dans la scène, de manière à discerner ce qui est visible de ce qui ne l’est pas. Le choix du seuil de contraste à considérer est explicité. Ensuite, ayant obtenu les primitives de contraste visibles, il faut estimer la distance à laquelle celles-ci se trouvent. Ces deux informations obtenues, il reste à voir comment il est possible de les combiner pour obtenir la distance de visibilité proposée. Ainsi, le chapitre est organisé de la fa¸con suivante : une première section présente notre nouvelle distance de visibilité, ainsi que le lien qui existe entre elle et la distance de visibilité météorologique. Une deuxième section présente une méthode originale de calcul des contrastes locaux dans les images. Puis, nous présentons un bref état de l’art sur la mesure de distance par vision artificielle de fa¸con à pouvoir situer notre capteur stéréoscopique dans le contexte. Enfin, nous présentons notre technique de mesure de visibilité combinant notre estimation de distance et notre calcul de contraste local. Nous évaluons qualitativement cette méthode, ce qui permet de l’améliorer et de proposer une nouvelle approche plus riche. Finalement, les deux approches sont comparées.
Proposition d’une méthode générique
Dans l’introduction, nous avons proposé d’estimer la distance à l’objet le plus éloigné possédant un contraste par rapport à son fond. Nous appelons celle-ci, distance de « visibilité mobilisée ». Dans ce paragraphe, nous la définissons plus précisément et établissons le lien qui existe entre elle et la distance de visibilité météorologique.Pour cela, nous définissons la notion de « visibilité mobilisable ». Ce lien étant établi, nous détaillons les principes de notre méthode pour estimer la distance de visibilité mobilisée.
Distance de visibilité mobilisée, distance de visibilité mobilisable
Compte tenu de sa définition, la distance de visibilité mobilisée Vmob dépend de la scène routière, à savoir des objets qui sont effectivement présents sur celle-ci. Prenons l’exemple de la figure 3.1. Sur celle-ci, nous représentons de manière simplifiée une route plongée dans le brouillard. Sur la figure 3.1a, on suppose que l’objet visible le plus éloigné est l’extrémité du marquage routier (cela pourrait être le bord de la chaussée). Sur la figure 3.1b, le véhicule s’est déplacé et un nouveau marquage routier plus éloigné est maintenant visible. La visibilité mobilisée a augmenté entre les deux scènes, alors que la distance de visibilité météorologique Vmet reste la même. Nous définissons à présent une distance théorique, qui pour sa part ne dépend pas de la scène routière : c’est la distance de visibilité mobilisée de l’objet le plus éloigné que l’on aurait pu voir s’il avait existé dans la scène routière. Nous l’appelons distance de visibilité mobilisable Vmax. Par définition, c’est une borne de l’ensemble des distances de visibilité mobilisées : Vmax ≥ Vmob (3.1) Dans le cas de la figure 3.1, si un marquage supplémentaire avait existé à la distance Vmax,
Lien entre les distances de visibilité mobilisable et météorologique
Nous allons voir dans ce paragraphe le lien qui peut exister entre la distance de visibilité mobilisable et la distance de visibilité météorologique en nous focalisant sur les objets appartenant à la surface de la route. Soit B l’objet le plus éloigné considéré comme visible. Nous avons défini ci-dessus la distance à cet objet comme la distance de visibilité mobilisée. Soient Ln0 et Lb0 les luminances intrinsèques de la route N (noire) et de l’objet B (blanc) et Ln et Lb leurs luminances à la distance d . Nous en déduisons qu’en fixant un contraste seuil C˜BN de 5 %, la distance de visibilité mobilisable Vmax, est peu différente de la distance de visibilité météorologique Vmet. En d’autres termes, nous venons de montrer qu’un contraste de 5 % positif (objet noir sur fond clair) dans le cas de la loi de Koschmieder et qu’un contraste de 5 % négatif (objet clair sur route noire) amènent tous deux à une distance de visibilité Vmet. Cependant, dans la réalité, la route n’est jamais noire et le ciel rarement blanc. La distance de visibilité mobilisable représente bien un maximum de distance de visibilité rarement atteignable, car elle représente la distance maximale à laquelle un objet, le plus clair possible, est visible sur une route noire. En revanche, la distance de visibilité mobilisée, qui ne prend en compte que les objets plus ou moins gris rencontrés dans l’image, est celle à laquelle nous pouvons accéder directement et que nous proposons d’estimer dans la suite.
Méthode proposée
Le paragraphe 3.1.1 nous a d’abord permis d’appréhender les notions de distance de visibilité mobilisée et mobilisable. Alors que la première dépend de la scène routière rencontrée, la deuxième dépend uniquement des conditions atmosphériques. Puis le paragraphe 3.1.2 nous a montré le lien qui existe entre la distance de visibilité météorologique définie par la cie, et la distance de visibilité mobilisable définie précédemment. En particulier, nous avons calculé le seuil de contraste à considérer pour que les deux distances soient égales, à savoir 5 %. Par conséquent, nous proposons d’estimer la distance de visibilité mobilisée en recherchant l’objet le plus éloigné ayant un contraste d’au moins 5 %. Ce processus se décompose naturellement en deux tˆaches. La première phase est le calcul des contrastes dans l’image et la sélection de ceux supérieurs à 5 %. La deuxième phase est l’estimation de la profondeur des primitives détectées et la sélection de celle qui est la plus éloignée. Il reste ensuite à combiner les deux informations pour obtenir la distance de visibilité mobilisée. 3.2 Recherche des primitives ayant un contraste supérieur à 5 % La mesure de contraste à développer doit être précise, car elle ne doit détecter que les contrastes supérieurs ou égaux à 5 %. Elle doit être rapide, compte tenu de l’application à caractère temps réel envisagée, mais aussi peu sensible à la présence de bruit dans l’image. Enfin, elle doit être adaptée à la formulation locale du contraste entre deux objets retenue par la cie pour la définition de la distance de visibilité météorologique. Dans un premier temps, nous allons dresser un état de l’art de différentes définitions et techniques de calcul du contraste. Dans un deuxième temps, nous allons proposer notre propre méthode de calcul du contraste, dérivée d’une méthode bien connue de segmentation d’images et expliquer en quoi celle-ci remplit le cahier des charges défini précédemment.
Etat de l’art
Il existe de nombreuses définitions du contraste. L’un des plus connus, le contraste de Michelson [Michelson, 1927] a été introduit pour donner une mesure de visibilité des franges d’interférences sur des mires dont la luminance variait de fa¸con sinuso¨ıdale de Lmin à Lmax. C M = Lmax − Lmin Lmax + Lmin (3.12) 56 3.2. Recherche des primitives ayant un contraste supérieur à 5 % o`u Lmax et Lmin sont les valeurs de luminance maximales et minimales dans l’image. L’utilisation conjointe de mires sinuso¨ıdales et cette définition du contraste a connu un grand succès en psychophysique. Cela a permis en particulier d’étudier l’acuité de l’œil humain en construisant les fonctions de sensibilité au contraste (CSF). De son côté, Weber [Cornsweet, 1970] définit le contraste comme une variation relative de luminance ∆L sur un fond uniforme L. Cet outil a été utilisé entre autres pour mesurer la visibilité de cibles. C W = ∆L L (3.13) Cette formulation du contraste est parfois appelée contraste psychophysique et sert notamment de support à la définition de la distance de visibilité météorologique par la cie. Ces définitions sont de bons estimateurs du contraste per¸cu pour les classes de stimuli mentionnées précédemment : des mires sinuso¨ıdales pour Michelson, des cibles uniformes avec un seuil différentiel de luminance pour Weber. Cependant, elles ne sont pas adaptées quand le stimulus devient plus complexe. A fortiori, utilisées telles quelles, aucune de ces définitions globales n’est appropriée pour mesurer le contraste dans des images naturelles. Ceci est dˆu principalement au fait que la perception du contraste est locale. C’est sur les méthodes locales que s’est portée notre attention. D’autres définitions du contraste adaptées à l’œil humain existent en mesure de qualité d’images [Daly, 1993] [Mannos et Sakrison, 1974] [Peli, 1990] [Tamtaoui et Aboutajdine, 2003]. Beaucoup d’entre elles cherchent à modéliser la réponse fréquentielle du système visuel humain par une fonction de sensibilité au contraste. Cependant, une telle modélisation suppose de connaˆıtre la fréquence spatiale des objets rencontrés et par là-même leur profondeur dans la scène. Sans hypothèse sur la nature de la scène traitée, comme l’hypothèse d’un monde plan (cf. [Yahiaoui et Da Silva Dias, 2003]), une telle modélisation est peu réaliste. De même l’emploi d’une technique multi-échelle de type ondelettes [Vandergheynst et al., 2000] parait peu adaptée à notre objectif qui est avant tout de mesurer le contraste localement dans l’image. Dans le modèle lip, Logarithmic Image Processing (cf. annexe C), Jourlin [Jourlin et Pinoli, 2001] définit la notion de contraste logarithmique valable en lumière transmise entre deux points (x, y) et (x 0 , y0 ) d’une image f. Il est parmi les premiers à avoir défini la notion de contraste local. C(x,y)(x0 ,y0) (f) = max[f(x, y), f(x 0 , y0 )] 4- min[f(x, y), f(x 0 , y0 )] (3.14) soit encore : C(x,y)(x0 ,y0) (f) = M|f(x, y) − f(x 0 , y0 )| M − min(f(x, y), f(x 0 , y0)) (3.15) o`u M est la valeur maximale de niveau de gris dans l’échelle considérée. La méthode de Gordon [Gordon et Rangayyan, 1984] définit également la notion de contraste local. Celle-ci calcule le contraste de Michelson entre les niveaux de gris moyens de deux régions. Beghdadi [Beghdadi et Le Negrate, 1989] a proposé une méthode très inspirée de celle de Gordon en intégrant dans la mesure du contraste local le niveau de gris moyen du contour des objets estimé dans la fenêtre d’analyse. Parallèlement, beaucoup de techniques de réhaussement de contraste ont été proposées afin de rendre optimale la qualité d’une image en jouant sur son histogramme. Le problème de ces méthodes, dans notre contexte, est qu’elles agissent sur le contraste sans le définir explicitement. 57 Chapitre 3. Exploitation de l’effet d’atténuation des contrastes par l’atmosphère
Formulations locales du contrastes
A l’instar de Jourlin, les formules de contraste de Michelson et de Weber peuvent être appli- ` quées localement entre deux points (x, y) et (x 0 , y0 ). Pour le contraste de Michelson, cela donne : C(x,y)(x0 ,y0) (f) = |f(x, y) − f(x 0 , y0 )| f(x, y) + f(x 0 , y0) (3.16) Cependant, la formule de Michelson a tendance à sous-évaluer le contraste d’un facteur deux. En effet, elle calcule le rapport entre la différence de luminance de deux points et le double de leur luminance médiane, ce qui n’a que peu de sens physique car elle pondère beaucoup plus les niveaux de gris élevés. Dans le modèle lip, l’échelle de gris est inversée par rapport à la convention habituelle. En se ramenant à la convention classique et en exprimant le contraste logarithmique comme un pourcentage, on peut montrer que le contraste logarithmique est la version locale entre deux points quelconques de la formulation globale de Weber. C’est cette formulation locale logarithmique que nous avons adoptée par la suite : C(x,y)(x0 ,y0) (f) = |f(x, y) − f(x 0 , y0 )| max(f(x, y), f(x 0 , y0)) (3.17)
Méthodes de Gordon et de Beghdadi
Soient X1 et X2 les niveaux de gris moyens dans les régions carrées R1 et R2 de tailles respectives m et 3m impaires centrées sur le point de mesure du contraste, le pixel Xkl (cf. figure 3.2a). Gordon définit alors le contraste par : Ckl = |X1 − X2| X1 + X2 (3.18) De son côté, Beghdadi considère une fenêtre carrée Wkl de taille m impaire centrée sur le pixel Xkl (cf. figure 3.2b). Il définit le contraste par : Ckl = |Xkl − E¯ kl| Xkl + E¯ kl (3.19) o`u le seuil E¯ kl est construit de la manière suivante : E¯ kl = X (i,j)∈Wkl ∆ij .Xij X (i,j)∈Wkl ∆ij (3.20) avec ∆ij = ¯ ¯ ¯ Xij − X¯ ¯ ¯ ¯ et X¯ le niveau de gris moyen des huit plus proches voisins de Xij . Ces deux méthodes sont facilement adaptables à une formulation logarithmique du contraste en rempla¸cant (3.18) et (3.19) par leurs variantes logarithmiques. C’est ce que nous avons fait pour comparer ces techniques à celle que nous présentons maintenant.