Interactions entre individus : notion de compétition
La Théorie du Fourragement Optimal (voir planche 1), tout comme d’autres modèles, prédit la stratégie optimale d’exploitation d’une ressource par un individu seul dans son environnement. Or, dès lors que plusieurs individus exploitent la même ressource et que celleci se trouve être en quantité limitée, ils entrent en compétition. Ainsi, la stratégie optimale employée par un individu pourra dépendre des stratégies employées par les autres individus (Maynard Smith, 1974). La compétition peut apparaître aussi bien entre individus de la même espèce qu’entre individus d’espèces différentes. Lorsque les individus appartiennent à la même espèce, on parle de compétition intraspécifique. C’est notamment le cas lorsque plusieurs mâles (les compétiteurs) s’affrontent pour l’accès à une femelle (la ressource). Lorsque les compétiteurs appartiennent à deux espèces différentes, il s’agit alors de compétition interspécifique. C’est par exemple le cas de deux espèces de prédateurs s’attaquant à la même proie.
Compétition par exploitation
La compétition peut s’exprimer de différentes manières. La première catégorie de compétition, la plus simple, se produit lorsque les individus n’interagissent pas directement entre eux. Chaque individu diminue la quantité de ressources disponibles pour les autres du simple fait de son exploitation. Il s’agit de la compétition par exploitation (Krebs & Davies, 1993). Plus le nombre de compétiteurs augmente, et plus la quantité de ressources disponibles pour chaque individu diminue. Prenons l’exemple d’un environnement composé de deux patchs1 de nourriture. Imaginons que ces deux patchs diffèrent dans leur qualité, soit en termes de quantité, soit en termes de composition de la ressource (Figure 2). Dans ce cas, les premiers individus choisiront d’exploiter le patch le plus riche, c’est-à-dire celui qui apportera à chacun, soit la plus grande quantité de nourriture, soit la nourriture de meilleure qualité. Mais plus le nombre de compétiteurs augmente et plus la part de ressource que chacun pourra obtenir du patch riche diminuera jusqu’à devenir équivalente à ce qui est disponible dans le patch le plus pauvre (dans lequel il n’y a pour l’instant aucun individu) (Figure 2). A ce moment là, il pourra être profitable pour de nouveaux individus arrivant dans l’environnement de commencer à exploiter ce dernier patch. C’est la théorie de la distribution libre idéale (Fretwell, 1972). Ce phénomène est également connu sous le terme d’effet tampon : alors qu’à de faibles densités de population les individus ont tendance à choisir préférentiellement les patchs les meilleurs, à de fortes densités, une plus grande fraction de la population se retrouve dans les patchs les plus pauvres (Sutherland, 1996).La compétition par exploitation peut également avoir lieu lorsque l’exploitation des ressources se produit de manière asynchrone. Dans ce cas aussi, il n’y a pas d’interaction directe entre les compétiteurs, ceux-ci n’étant pas présents simultanément dans un même patch. Le premier individu va ainsi réduire la quantité de ressource disponible pour les autres individus qui exploreront le patch par la suite.
Compétition par interférence
L’exemple précédent suppose que les différents compétiteurs n’interagissent pas directement entre eux pour l’accès à une ressource. Or, dans la nature, il arrive souvent que les animaux interfèrent dans l’exploitation de la ressource de leurs compétiteurs. On parle alors de compétition par interférence (Sutherland, 1996). La compétition par interférence vient s’ajouter à la compétition par exploitation. C’est le cas des individus qui défendent la ressource qu’ils sont parvenus à obtenir. Reprenons l’exemple précédent : deux patchs de qualités différentes. Le premier individu choisit le patch de meilleure qualité. Imaginons maintenant que contrairement au modèle de la distribution libre idéale, cet individu ne tolère la présence que d’un nombre limité de compétiteurs. Dans un premier temps, il va réduire la quantité de ressources disponibles par déplétion, ce qui revient à de la compétition par exploitation. Ensuite, lorsque le nombre maximal de compétiteurs présents sur le patch est atteint, ceux-ci vont chasser les individus suivants. Ces derniers seront obligés de se rabattre sur le patch de moindre qualité, et ceci jusqu’à ce que le quota de compétiteurs tolérés sur ce patch soit atteint (Krebs & Davies, 1993). Il arrive parfois que les différents individus n’aient pas les mêmes aptitudes à la compétition. Il se crée alors une asymétrie dans la compétition et un individu peut avoir un avantage sur un autre (Harvey, 1994). Cette asymétrie peut avoir un impact uniquement sur la déplétion de la ressource : un individu qui aurait une consommation deux fois plus rapide que son compétiteur aurait un avantage sur lui (Krebs & Davies, 1993). Mais elle peut également avoir des conséquences sur les interactions directes entre les individus. L’exemple le plus évident est le cas d’une compétition qui induits des combats physiques et dans laquelle les deux compétiteurs ne sont pas de même taille. Le compétiteur le plus gros aura généralement un avantage sur le plus petit. D’autres asymétries peuvent également s’avérer importante dans l’issue d’une compétition comme le statut propriétaire/intrus des compétiteurs (Maynard Smith, 1982). En effet, la valeur donnée à une ressource par le propriétaire est souvent plus importante que celle donnée par un intrus qui chercherait à se l’approprier. L’énergie investie par le propriétaire pour défendre cette ressource est alors généralement plus importante que celle investie par l’intrus pour l’obtenir (Petersen & Hardy, 1996).
La compétition chez les parasitoïdes
Chez les parasitoïdes, la compétition peut ainsi apparaître à différents niveaux : dès le stade larvaire ou bien au stade adulte. Pour les larves de parasitoïdes, l’hôte représente la seule source de nourriture disponible pour leur développement. Lorsque plusieurs larves exploitent le même hôte, cellesci sont donc en compétition pour l’accès à cette ressource alimentaire. La compétition peut alors prendre différentes formes en fonction des espèces de parasitoïdes. Chez les espèces grégaires (chez lesquelles plusieurs larves peuvent se développer aux dépens d’un seul hôte), elle se traduira généralement par une simple compétition par exploitation. Ainsi, plus le nombre d’individus sur un hôte est important et plus la quantité de nourriture disponible pour chacun est faible. Par conséquent, plus la compétition est intense sur un hôte et plus les adultes émergeant de cet hôte seront petits (la taille de l’adulte dépendant directement de la quantité de ressources disponibles lors du développement). Or, il a été montré que la taille d’un parasitoïde peut être corrélée avec son succès reproducteur (Wang & Messing, 2004; Lacoume et al., 2006). La compétition larvaire est donc directement synonyme de baisse de fitness. On parle généralement chez les espèces grégaires d’une compétition de type « scramble » car les larves se « bousculent » pour accéder à la ressource sans qu’il n’y ait directement d’agression physique entre elles (Visser, 1996; Mayhew & Hardy, 1998). Cependant, une larve a besoin d’une quantité minimale de nourriture pour survivre. Pour un hôte de taille donné, il existe donc un nombre maximal de larves pouvant s’y développer. Lorsqu’un nombre d’œufs pondus sur cet hôte est plus important, on peut alors observer une certaine mortalité parmi ces individus (Boivin & van Baaren, 2000). On peut alors parler de compétition par suppression physiologique, la suppression de la source de nourriture empêchant le développement de certaines larves (Vinson & Hegazi, 1998), mâles et femelles n’étant pas forcément égaux face à cette compétition. En effet, lorsque la compétition est intense, les femelles souffrent en général d’une plus grande mortalité que les mâles (Wylie, 1966; Suzuki et al., 1984). Ceci est probablement dû à un développement généralement plus rapide des mâles qui nécessite par conséquent moins de ressource (Waage, 1986). Chez les espèces solitaires, un seul adulte pourra émerger d’un hôte donné, quel que soit le nombre d’œufs initialement pondus sur cet hôte. Contrairement aux espèces grégaires, les larves vont interagir physiquement pour accéder à la source de nourriture qu’est l’hôte. Après l’éclosion, les larves de premiers stades cherchent activement la présence de compétiteurs, œufs ou larves (van Alebeek et al., 1993)