Rappel de la question sociale, nos principaux résultats
Dans cette thèse nous avons souhaité rendre compte d’un développement professionnel en train de se faire pour des professionnels en transition dont ni la trajectoire ni la finalité vers laquelle tendre ne sont défini a priori. Néanmoins ces professionnels partagent le constat que leurs situations de travail montrent une plus grande variabilité et complexité en particulier, comme le souligne (Mayen, 2007), du point de vue des façons d’aborder l’objet du travail. Nous avons analysé à travers trois focales, différents effets développementaux observés et ce dans une intervention didactique destinée à soutenir les conseillers dans leur développement professionnel. Cette intervention didactique, mise en place par les conceptrices-animatrices d’un dispositif d’échange sur le métier entre pairs, permet de développer les activités individuelles mais aussi de débattre collectivement des normes de métier, au regard de ce qui est saisi par les participants. En partant de la question sociale suivante « Comment les conseillers agricoles font-ils face aux évolutions de leurs missions et réussissent-ils à prendre en charge différentes injonctions, pour accompagner les agriculteurs vers une transition agroécologique en leur donnant une place d’acteur et de concepteur de leurs systèmes de production ? » nous avons construit une approche singulière d’un dispositif destiné à aider les conseillers à y faire face. Nous avons mis en place une approche terrain longitudinale basée sur l’observation participante de professionnels se retrouvant régulièrement dans un dispositif d’échange entre pairs conçu pour rendre les situations de travail apprenantes. Grâce aux apports théoriques des sciences de l’éducation, de l’ergonomie et de la didactique professionnelle, nous avons pu aborder la question de recherche suivante : « Quels sont les effets développementaux de l’articulation du couplage entre activités et situations de conseil pour des professionnels en transition ? ».
Nous sommes partie d’une définition du développement professionnel large comme étant (i) la construction des compétences lors de formations individuelles ou collectives, (ii) la construction de compétences nouvelles par la pratique et la réflexion sur la pratique, (iii) ainsi que les transformations identitaires des individus ou des groupes (Marcel, 2009). Nous intéressant à un dispositif prenant au sérieux le fait que les situations de travail peuvent être un levier de développement nous avons cherché à saisir un développement en train de se faire dans l’action en qualifiant le développement professionnel observé et en mettant en lumière ce qui le soutient. Nous avons plus particulièrement regardé ce qui peut soutenir un développement professionnel tant du côté des sujets, que du dispositif et de l’animation mise en place pour rende compte de l’influence positive et itérative de l’un sur l’autre, de façon plus exhaustive que cela n’a pu être étudié dans la littérature Mayen & Gagneur (2017). Nos résultats se sont organisés autour de trois éléments clés : A travers l’étude de la situation emblématique du tour de plaine du conseil en agriculture nous montrons l’intérêt pour les conseillers de se former à l’analyse de leur propre travail afin de penser et de repenser la complexité de leurs situations de travail en relation avec l’écologisation des pratiques agricoles à accompagner et à déployer. Nous avons ainsi identifié les apprentissages associés à l’appropriation de l’analyse du travail, quand cette dernière est adossée, au sein d’un collectif de conseillers, à l’analyse des buts poursuivis dans les situations de travail rapporté par les conseillers. Grâce à notre suivi longitudinal, nous mettons en lumière, un effet de développement pour les conseillers qui, dans une classe de situation connue, osent se fixer de nouveaux buts, revoient leurs activités de contrôle de l’action pour réorienter celle-ci, faisant alors évoluer leur façon d’opérer, reconfigurant de ce fait le couplage activité et situation de conseil, et proposant ainsi de nouvelles configurations des situations.
Nous avons ensuite approfondi la construction de compétences par les professionnels sur leurs situations et montrons comment ils parviennent, pour certains, à manipuler les dimensions de ces situations pour en faire des situations apprenantes pour les agriculteurs, voire pour eux-mêmes. Nous montrons que cette capacité à manipuler les dimensions des situations est fortement liée à leur confrontation à des situations construites et mises en milieu par les conceptrices-animatrices pour être apprenantes via la manipulation de dimensions clés (saison, culture, type d’agriculture) dans une situation emblématique du métier : le tour de plaine. Cette manipulation vise pour les conceptrices-animatrices à créer un décalage auprès des conseillers par rapport à leurs routines pour conférer à ces situations un pouvoir développemental. Ces situations apprenantes, organisées et vécues collectivement, sont saisies diversement par les conseillers dans leur processus de développement individuel. Le processus s’opère au cours du temps par l’élargissement et le développement plus ou moins avéré de compétences d’enquête pour (i) analyser, en amont, les dimensions agissantes des situations, et (ii) réorienter l’action, en cours de situation, afin de tenir conseil avec les agriculteurs, bénéficiaires de leur relation de service.