Démarche expérimentale
Dans cette étude, nous avons combiné une approche expérimentale à une approche observationnelle. L’étude expérimentale a consisté en la création d’ouverture du couvert forestier, pratique sylvicole fréquente. Plus précisément, les ouvertures appliquées sont d’une taille supérieure à celles réalisées communément par les forestiers (§ 2.2.2). De plus, le matériel végétal étudié peu fréquent. Il s’agit alors d’une étude de cas extrême visant à comprendre si de vieux arbres dominés sont encore en capacité de répondre à une ouverture et comment ils s’y adaptent. Les réponses observées à l’ouverture de la canopée expérimentale sont interprétées d’un point de vue fonctionnel. Nous tenterons de caractériser l’évolution des traits biomécaniques et hydrauliques après ouverture à partir des ajustements de la géométrie des tiges et de propriétés du bois observées à posteriori. L’approche observationnelle se focalisera sur les traits du bois des arbres avant l’ouverture créée expérimentalement jusqu’à remonter à leur naissance. D’une part, le dispositif expérimental a été mis en place en 2006 pour répondre à des questions de gestion sylvicole et non dans le but d’une analyse fonctionnelle. Les données concernant les conditions de croissance passées n’ont alors pas été suivies. Le jeu de données ne permet donc pas explorer les relations entre les variables pertinentes caractérisant les conditions de croissance (précipitations, angle d’incidence et taux de lumière) et les réponses observées. L’ouverture de la canopée étant une modification de l’ensemble des variables de l’environnement immédiat de l’arbre libéré et dépendant de la taille de l’ouverture mais aussi de la localisation de celle-ci (présence d’une pente, orientation cardinale), les réponses observées seront interprétées comme des ajustements à l’ensemble des modifications des variables microclimatiques limitrophes de l’arbre libéré. D’autre part, les mesures réalisables en suivi sur des grands arbres en contexte sylvicole pour caractériser les changements de conductions hydriques (vulnérabilité à la cavitation, conductance stomatique) ou mécaniques (régime de déformation) ne sont possibles qu’au prix de protocoles expérimentaux lourds dans le cas où ils ont été développés et validés. Cela implique donc des limites en termes d’interprétation fonctionnelle.
Mesures en rétrospectif
Le bois enregistre l’histoire de l’arbre et reflète les changements de conditions de croissance (Wimmer, 2002; Fonti et al., 2010). La lecture des largeurs de cernes et des longueurs d’unités de croissance renseignent sur l’ajustement de la forme de l’arbre et de sa taille au cours de sa vie. Toutes ces informations permettent une vision assez complète de la réaction de l’arbre à un traitement tel que l’ouverture de la canopée. Par contre, cette approche rétrospective présente aussi des limites. Entre autre, les informations sur les performances hydrauliques sont indirectes et limitées à une interprétation fonctionnelle de l’anatomie du bois. Une approche physiologique serait nécessaire pour être précis dans la caractérisation de l’acclimatation hydraulique. Ce type d’étude a déjà fait l’objet de certaines études auparavant et l’anatomie du bois a été étudié en parallèle des mesures physiologiques (Caquet, 2008; Gebauer et al., 2014). Nous espérons que les modifications de l’anatomie du bois permettront d’identifier les processus clés de l’acclimatation hydraulique et dégageront des pistes pour de futures investigations plus précises.
Une approche multidisciplinaire a été adoptée pour cette étude. Les modifications des performances hydrauliques induites par le changement de conditions de croissance sont beaucoup plus documentées que les performances biomécaniques. De ce fait, nous avons choisi de conduire la majorité des travaux sur les performances biomécaniques où la bibliographie est rare sur les grands arbres et, plus particulièrement, sur les grands arbres en cours d’acclimatation. Comme soulevé dans le chapitre 1, l’échelle la plus pertinente pour évaluer les performances biomécaniques est l’échelle individuelle (Violle et al., 2007; Fournier et al., 2013). Néanmoins, chaque paramètre mesuré à une échelle différente peut contribuer de façon plus ou moins importante à la performance observée à l’échelle individuelle. Pour déterminer l’influence des différents paramètres tels que les dimensions et la forme des arbres, les propriétés matérielles du bois et le chargement, nous avons utilisé les traits intégratifs biomécaniques proposés par Fournier et al. (2013). Les traits calculés se focaliseront sur deux différentes composantes de la fonction de support du bois : (i) le squelette, qui fait intervenir l’épaisseur et le défilement de la tige avec la rigidité du bois ; (ii) la motricité, qui est impliquée dans les mouvements actifs générés par les auto-stress mécaniques.