VERS DE NOUVEAUX MODES DE VIE

VERS DE NOUVEAUX MODES DE VIE

La production de quartiers durables s’accompagne d’une ambition majeure qui est celle d’une transformation des modes de vie en réponse à un certain nombre d’enjeux. Cette espérance se double donc d’une interrogation quant à leur dimension performative, c’est-à-dire à leur capacité à agir sur la vie sociale, à engager des changements de pratiques, d’attitudes, de représentations. Formulé autrement, la transformation du contexte matériel, organisationnel du cadre de vie se double-t-elle d’une transformation des modes de vie ? On se souvient du slogan « changer la ville pour changer la vie » qui était le crédo des aménageurs en charge de la création des villes nouvelles dans les années 1960, et celui du maire Hubert Dubedout lors de la création de la Villeneuve de Grenoble (1968) en particulier. Implicitement, ce type de formulation énonce un principe au fondement de la pensée urbaine, un dessein partagé de la profession, qui est celui de l’espace inducteur. Il postule un lien mécanique entre espace et vie sociale, comme si l’urbanisme était en mesure d’influencer, d’agir ou d’éduquer par l’intermédiaire de l’espace et des formes, des dispositifs et des aménagements qui s’y déploient. Dans une étude consacrée aux représentations habitantes de la ville d’Echirolles, Yves Chalas et Henri Torgue (1981) définissaient l’activité urbanistique en ces termes :

Toute l’activité urbanistique reste fixée sur la possibilité de définition et par conséquent de création « d’espaces pratiques », c’est-à-dire d’espaces ou de lieux bâtis contenant ou induisant certaines pratiques et pas d’autres. Nous retrouvons là la pensée fonctionnaliste pour laquelle, à une certaine analyse des besoins sociaux ou individuels, doit correspondre une fonction traduisible architecturalement. (p.140) Selon leur analyse, l’espace misérable ne peut donc induire, pour les urbanistes, qu’une vie sociale malheureuse et, inversement, un bel espace peut infléchir la vie sociale vers plus de bonheur. On l’a vu, ce type de conception est fortement enraciné dans la pensée hygiéniste du 19ème siècle en réponse à la figure du taudis. Au-delà d’une réponse à des besoins, le projet urbanistique se double d’une volonté de changement social. L’espace est vu comme un moyen d’inciter, d’orienter ou de sélectionner les pratiques sociales : il représente le « moule » d’une nouvelle société : Tout consiste à transposer les caractéristiques des innovations urbaines, réelles ou non, en terme de changement social. De nouveaux équipements entraîneraient de nouveaux modes de vie, un nouvel urbanisme ou une nouvelle architecture, une vie nouvelle, un habiter nouveau. Pour l’aménageur, il ne peut y avoir que superposition entre l’habitacle et l’habiter, entre le contenant et le contenu, qui déterminerait la forme du second (Chalas et Torgue, 1987, p.195).

Cette croyance en un espace inducteur est pourtant critiquée sur plusieurs fronts. En premier lieu pour le réductionnisme qu’elle opère. Alain Cottereau (1978) a par exemple montré, contre la pensée hygiéniste dominante, que le développement de maladies telles que la tuberculose était davantage dû aux conditions de travail qu’à l’insalubrité des logements ou au caractère dissolu des mœurs populaires. Pour de nombreux observateurs, il y a ainsi fréquemment un déplacement vers l’urbain de problèmes qui trouvent leur origine, et par conséquent leurs solutions spécifiques, ailleurs. Sylvie Tissot et Franck Poupeau (2005) soulignent l’inscription toujours territoriale des catégories d’action publique traitant du problème de la pauvreté. À son tour, Jean-Pierre Garnier (2001) fustige ce biais interprétatif conduisant à une dépolitisation des problèmes sociaux par la création d’un consensus autour de leurs effets néfastes sur le « vivre ensemble », la « cohésion sociale », etc. Au sujet des quartiers durables, deux recherches (Renauld, 2012; Brice, Dujin et Maresca, 2012) s’attachent particulièrement à mettre en évidence la nature du rapport entre les formes de projection des usages contenues dans les projets urbains et la réalité des pratiques quotidiennes.

 

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