Variété du partage par l’intensité et la pluralité
Après les vingt enquêtés du terrain exploratoire, après les quelques cinq cents adolescents rencontrés en lycées, comment passer aux 12000 enquêtés Algopol ? Un palier intermédiaire a semblé nécessaire avant de traiter les « big data », qui sont volumineuses autant en nombre d’enquêtés qu’en quantité de données par enquêté. Pour commencer j’ai donc choisi d’aborder le matériau d’Algopol en ne regardant que les enquêtés recrutés par l’institut CSA. Ce dernier avait réalisé un test en amont du lancement de la campagne : les panélistes se déclaraient intéressés par Algopol sans qu’on observe de biais particulier par rapport à la population des utilisateurs de Facebook en France. En novembre 2013, CSA lance donc une enquête sur les pratiques de la social TV et propose à l’issue du questionnaire de participer à Algopol, avec une incitation à la participation (un nombre de points ouvrant des chèques cadeaux, ou autre forme de « rémunération » utilisée par les instituts de sondage). Nous avons constaté un taux de participation inférieur à l’intérêt déclaré : 877 panélistes ont participé à Algopol, et ils sont un peu plus jeunes qu’attendus. Il reste difficile de s’assurer de la représentativité des internautes participants. Par exemple, le nombre d’ouvriers présents dans l’échantillon est particulièrement faible (61, soit 7 %), et les enquêtés sont des habitués des enquêtes et bons plans. La construction de l’échantillon est mieux contrôlée qu’avec une diffusion virale d’enquête, sans atteindre la perfection bien sûre …
Pour chacun de ces 877 comptes, il est possible d’étudier les multiples informations issues de son profil, de son passage dans l’application, de son mur, de son réseau. Cette étape permet de sélectionner les indicateurs tangibles et différentiants dans la masse des données. Par exemple, le nombre de photos d’un compte n’est pas retenu dans la suite de l’analyse, à la fois parce que la manière dont Facebook comptabilise les photos n’est pas homogène entre les photos publiées depuis un ordinateur et celles publiées depuis un mobile ; et parce que cet indicateur semble dépendre d’une habileté technique de l’enquêté plus que d’une pratique personnelle et sociale et donc ne se lit pas sociologiquement parlant. Limiter l’analyse aux enquêtés CSA permet de sélectionner les indicateurs pertinents dans la masse de données. L’enjeu de ce chapitre est de profiter du « petit » volume d’enquêtés pour décrire la pratique du partage d’information proprement dites avec les données Facebook. Pour cela il convient d’identifier dans les activités (1) l’acte de partage, (2) les liens utilisés dans cette pratique, et (3) plus précisément les liens d’information. On a vu au chapitre I-1 que le dispositif sociotechnique de Facebook met en scène les contenus grâce à des artefacts informationnels ou interactionnels. Est-ce que liker le statut d’un ami avec un lien est un acte de partage ou non ? Dans les données Facebook, cette action est indiquée dans le champ story par « Ego aime un lien », mais le champ lien est vide. Le service ne mémorise que le fait que l’enquêté a cliqué sur « j’aime », sans qu’il ne soit possible de retrouver l’url likée : il est donc impossible de connaître l’information partagée. Du point de vue des données, liker un statut d’un ami avec un lien n’est pas un partage puisque seul le geste relationnel reste. De même, lorsqu’un enquêté publie un lien sur le mur d’un de ses amis, les data Facebook indiquent cette activité mais ne précisent pas le lien puisqu’il est sur le mur de alter et non pas sur le mur de ego. Par contre, cliquer sur un bouton Facebook sur une page web apparaît sur le mur de l’enquêté, avec l’url dans les données, avec soit « aime un lien » soit « a partagé un lien » en fonction de l’intégration du bouton par l’éditeur. Cette action sera donc bien identifiée comme une pratique de partage.