Une double orientation dans la progression thématique de l’échange
L’analyse et l’organisation des séquences discursives mettent en évidence une double orientation dans la progression thématique des objets du discours. Dans les quatre classes observées, on retrouve en effet une tension entre la volonté des enseignants de guider les échanges et celle de laisser aux élèves une certaine autonomie dans le choix des objets discutés. Cela se manifeste de la même manière dans les classes n°1, n°3 et n°4. La classe n°2, quant à elle, suit une organisation plus spécifique sur laquelle nous reviendrons dans la suite de notre texte. Nous relevons dans les classes n°1, n°3 et n°4 des similitudes dans la progression des objets thématiques. Plus précisément, les trois enseignants, après avoir posé la question retenue pour le débat aux élèves, laissent les élèves donner leur opinion sur le sujet. La première séquence discursive dans les trois classes peut ainsi être considérée comme un moment d’échanges laissé aux élèves, l’étayage des enseignants étant à ce moment davantage pragmatique que discursif (Grandaty, 2001). Pour le dire autrement, les interventions des enseignants sont davantage axées sur la recontextualisation de l’histoire lue (C1 DP1 19 M : « NON + dans le texte c’est quand même un rite initiatique + il rentre dans la vie adulte en tuant un lion + s’il ne tue PAS le lion il ne devient PAS ADULTE et il ne devient pas un guerrier ++ donc là c’est quelque chose de très TRES important ») et sur la clarification (C4 DP4 78 M : « et qu’est-ce que tu veux dire par là ? » ), la reformulation des interventions des élèves (C4 DP4 82 M : « on l’a grondé injustement + est-ce que c’est ça Lucas ? ») ou sur la mise en lien des interventions des élèves (C4 DP4 46M : « tu rejoins l’idée de Gatien en fait que : c’est un peu embêtant de ne plus aimer ses parents »). Les échanges s’organisent donc autour des premières opinions des élèves durant 30 tours de parole dans la classe n°1, 25 dans la classe n°3 et 55 dans la classe n°4, soit la première séquence discursive.
A la suite de ces premiers échanges, les enseignants ouvrent une deuxième séquence discursive en posant une question qui permet de relancer les échanges. La question posée alors par les enseignants peut se comprendre de deux manières. Tout d’abord, on peut la comprendre comme le lancement de la recherche collective, voire la collaboration entre élèves autour d’une même question. On peut aussi la comprendre comme une recentration du débat sur ce que l’enseignant considère être l’intérêt philosophique du débat. Nous avançons cette deuxième hypothèse, en nous appuyant sur les documents de préparation que nous as remis l’enseignant de la classe n°1 (cf. annexe n° 8.2). La fiche de préparation de ce dernier reprend en effet les « problématiques philosophiques » qu’il compte développer avec les élèves au cours du débat : Cette ouverture de séquence ne repose pas directement sur les interventions précédentes des élèves. L’enseignant reprend le dilemme auquel est confronté le personnage de l’histoire, Yakouba, pour faire réfléchir les élèves sur le courage (question surlignée ci-dessus). L’enseignant amène donc les élèves sur une notion qui n’avait été ni abordée ni suggérée dans les propos des élèves au cours de la première séquence discursive et sur laquelle l’enseignant avait prévu de faire discuter les élèves, si on en croit sa fiche de préparation.
De la même manière dans la classe n°3, l’enseignante laisse discuter les élèves autour de la question retenue pour le débat. Toutes les interventions des élèves se basent sur des exemples de leur vie. C’est ainsi que les élèves déplorent que « les grands se croient tout permis » (C3 DP3 614 Amine) ou que les parents « croivent que leurs enfants c’est des chiens » (C3 DP3 Yory). Les élèves au cours de la première séquence discursive reprennent les mêmes expressions précitées et s’accordent sur les mêmes idées. Seul un élève (C3 DP3 610 Simon) se démarque du consensus qui semble s’installer entre les élèves en faisant une autre proposition (« ben des fois quand on se fait disputer + enfin ouais des fois + mais ben:: au fond de soi on sait que ça servira à quelque chose quand on sera plus grand + ben:: parce que ben:: en fait ben nous aussi il faut pas qu’on se croit tout permis »). L’enseignante ouvre la deuxième séquence en demandant aux élèves de se décentrer de leurs exemples (éléments surlignés en gris ci-dessous) .