Modélisation des comportements non
linéaires non classiques
La loi de Hooke en élasticité linéaire établit que la déformation ǫ subie par un corps est proportionnelle à la contrainte σ qui lui est appliquée : ǫ = Mσ, (II.1.1) où le coefficient de proportionnalité est un module que nous appellerons M. En se limitant à un problème unidimensionnel, toutes les quantités intervenant dans cette égalité peuvent être considérées comme scalaires. Si M est une constante intrinsèque du matériau, indépendante du niveau de sollicitation σ, nous sommes alors dans le domaine de l’élasticité linéaire et ce module correspond au module d’Young noté E. En revanche, si ce module est fonction de la contrainte appliquée, la stricte proportionnalité entre contrainte et déformation disparaît et nous entrons dans le domaine de l’élasticité non linéaire. Depuis plusieurs années, il a été montré qu’une fissure dans un matériau pouvait être considérée comme l’inclusion d’une partie « molle » dans une matrice dure et produisait une réponse non linéaire importante à toute sollicitation [99]. L’analogie a donc pu être faite entre le comportement non linéaire d’une fissure dans un matériau et le comportement non linéaire de grains et de leur jonction dans un ensemble granulaire tels que les bétons ou les roches [100]. Ce type de nonlinéarité caractérisé par l’existence d’une boucle d’hystérésis dans la relation contrainte-déformation rend l’utilisation de la théorie classique inadéquate et impose le développement de nouvelles approches pour traiter au mieux les phénomènes non linéaires hystérétiques [1, 4, 101] qui définissent un comportement non linéaire non classique. La description théorique de tels phénomènes acoustiques a été approfondie [7, 99] en parallèle au développement de méthodes expérimentales dans le but d’analyser les comportements de ces matériaux. Cette théorie montre que l’évolution non linéaire des ondes planes longitudinales dans un milieu micro-inhomogène ne peut pas être correctement décrite par l’équation d’onde simple même en y ajoutant les termes non linéaires d’ordre supérieur [102, 103]. Il est donc nécessaire de prendre en compte un comportement hystérétique et un état mémoire, typique des matériaux micro-inhomogènes, dans la relation contrainte-déformation [104]. Au cours de ce chapitre, le comportement hystérétique lié à une micro-inhomogénéité sera présenté. La modélisation de la distribution de zones endommagées dans un matériau sera ensuite développée par l’utilisation de l’espace de Preisach-Mayergoysz et d’un modèle multi-échelle développé par Van Den Abeele et al. [105]. Enfin, l’adaptation de l’algorithme pseudo-spectral à des comportements non linéaires non classiques sera décrite.
Comportement hystérétique lié à une micro – inhomogénéité
Les observations fondamentales qui ont pu être réalisées pour dénoter la nonlinéarité dans les solides viennent d’essais quasi-statiques permettant de déterminer la courbe contrainte-déformation. Ils sont effectués à l’aide d’une configuration expérimentale basée sur l’application d’une contrainte axiale accompagnée d’une mesure de la déformation dans la même direction [106,107]. Le matériau est ainsi soumis à un certain protocole de contrainte durant lequel la courbe contrainte-déformation est tracée (figure 22). Durant cette expérience, une forte nonlinéarité dans la relation contrainte-déformation a été mise en évidence. Cela se traduit par l’apparition de boucles d’hystérésis multi-échelle qui témoignent d’un comportement sensible à l’historique de la contrainte appliquée, phénomène qui n’est pas observé sur des échantillons non fissurés ou non granulaire. Pour dénoter le comportement particulier de ce genre de matériaux, le terme de comportement « non linéaire non classique » est utilisé en opposition à la nonlinéarité classique issue du développement aux ordres supérieurs de la relation contrainte-déformation (partie I). De plus, à chaque fois que le protocole impose un changement de sens à la contrainte appliquée, le matériau exhibe une mémoire (« end point memory ») matérialisée par les points A, C et F sur la figure 22, et montrant ainsi une capacité à se souvenir du dernier état de déformation maximale [2, 99]. Ces expériences quasi-statiques confirment ce comportement non linéaire particulier de certains matériaux tels que les roches, les bétons et les matériaux endommagés. Ces manifestations ont d’importantes conséquences sur le module élastique du matériau. En d’autres termes, les essais statiques montrent que la valeur du module est bien dépendante de l’historique de la contrainte, de la relation contrainte-déformation et des changements discontinus.
Modélisation de la distribution : l’espace de PreisachMayergoysz
Le comportement non linéaire non classique des roches et de certains matériaux endommagés engendre des restrictions de modélisation par rapport à la théorie classique. L’hystérésis observé sur ces types d’échantillons lors d’essais quasi-statiques rend difficile l’expression analytique de telles déformations. C’est pourquoi, en se basant sur les travaux de Franz Preisach [108] et Isaac Mayergoysz [109], Robert Guyer et Katherine McCall [7,99,110] et Jordi Ortín [111] ont développé un modèle théorique afin de décrire au mieux les observations liées au comportement non linéaire non classique de certains matériaux. L’hypothèse principale de ce modèle porte sur le fait que le comportement macroscopique des matériaux non linéaires est essentiellement dû à un grand nombre d’unités hystérétiques au sein du matériau, appelées Unités Hystérétiques Élémentaires UHE (HEU pour Hysteretic Elementary Unit). Dans un premier temps, ces unités sont caractérisées de manière individuelle. Ensuite, on évalue l’influence d’un ensemble d’unités sur le comportement du matériau à l’échelle macroscopique. Ce procédé, présenté dans la partie II.1.3, est appelé modélisation multi-échelle [105]. Ces unités sont des éléments constitutifs du matériau représentant des discontinuités qui peuvent être soit ouvertes soit fermées. Ainsi, elles sont caractérisées par des déformations (ou des comportements élastiques) qui peuvent changer de manière hystérétique entre deux configurations pour deux pressions caractéristiques d’ouverture Po et de fermeture Pf (figure 23). La réponse élastique de ces unités est alors définie comme dépendante de l’histoire de la pression à laquelle le matériau est soumis (module élastique K1 pour la configuration fermée et K2 pour la configuration ouverte). Une description rigoureuse du comportement élastique du matériau ne peut être définie sans une connaissance préalable de l’historique de la pression appliquée Le grand nombre d’UHE que l’on peut trouver dans un matériau exige une autre simplification. En considérant que toutes les UHE ont les mêmes modules élastiques pour l’état fermé K1 et pour l’état ouvert K2, c’est-à-dire que les déformations équivalentes aux états d’ouverture ou de fermeture sont identiques pour tous les éléments, les UHE peuvent alors être différenciées uniquement par les paires de pressions Pf , Po auxquelles elles correspondent. Le suivi de l’évolution des UHE, c’est-à-dire le dénombrement des UHE fermées et ouvertes, peut donc s’effectuer dans une représentation d’un espace appelé espace de Preisach-Mayergoysz (figure 25) [1, 99]. Dans cet espace, un point est caractérisé par le couple Pf , Po correspondant. Il est donc possible de déterminer le comportement hystérétique total du matériau en connaissant la densité et la fonction de répartition des couples Pf , Po dans l’espace de Preisach-Mayergoysz notée ρPM(Pf , Po). Cette distribution des UHE dans l’espace de Preisach-Mayergoysz peut être trouvée en appliquant un problème inverse [7, 112]. Ce principe permet d’extraire les informations nécessaires pour la construction de l’espace PM en appliquant un protocole de contraintes particulier, balayant tout l’espace, et en mesurant les déformations induites. Par exemple, si toutes les UHE sont situées sur la diagonale, c’est-à-dire que pour tous les couples Pf = Po, alors le matériau n’a pas de comportement hystérétique. Dans ce cas, le modèle peut être réduit à la théorie classique d’élasticité non linéaire décrite par Landau [113]. Pour comprendre l’utilisation de l’espace de Preisach-Mayergoysz, un protocole de pression peut être étudié (figure 24) et le suivi du comportement des unités élémentaires détaillé (figure 25). Pendant la première phase du protocole de pression, c’est-à-dire du point 0 au point A, les UHE situées dans le triangle hachuré double incliné sont fermées. Une diminution de la pression (A à B) a pour conséquence d’ouvrir les UHE situées dans le triangle hachuré droit. Lorsque la pression augmente de nouveau jusqu’au point C (figure 24), les UHE situées dans le triangle hachuré double incliné se ferment et ainsi de suite.