APPROCHE METHODOLOGIQUE ET PRESENTATION DU MATERIEL DE RECHERCHE
Ce chapitre a pour objectif de décrire l’approche méthodologique ainsi que l’itinéraire de recherche adopté pendant cette thèse. La recherche a été conduite dans le cadre d’un contrat doctoral au sein du Centre de Gestion Scientifique de l’école Mines ParisTech entre 2015 et 2019. En tant que chercheur en gestion, l’utilisation d’une méthode de recherche est souvent la conséquence d’un choix épistémologique de la part du chercheur. Cette épistémologie permet de cadrer le retour critique que l’on porte sur notre objet de recherche et sur la connaissance en elle- même que celui peut apporter afin « de décrire, de comprendre, de prédire ou d’expliquer des phénomènes liées aux organisations » (Ben Aissa, 2001). De manière générale, deux épistémologies sont présentes dans les disciplines de sciences sociales : l’approche positive et l’approche constructiviste. L’approche positiviste a longuement été prédominante comme épistémologie dans les sciences sociales suivant l’influence des travaux d’Auguste Comte pour qui le « mot positif désigne le réel » (Le Moigne, 1995). Dans cette représentation, le réel est régi par un ensemble de lois préexistantes dont le rôle de la science est d’en découvrir l’existence. L’objet de recherche est indépendant du chercheur qui a permis d’arriver à son élaboration. Cette approche implique cependant un certain nombre de principes issu de la logique aristotélicienne comme la notion d’identité, de non contradiction ou de tiers exclus qui ne peuvent être facilement soutenus dans le contexte de la gestion (David, 1999). A la place, les études de cas en science de gestion se basent plutôt sur une approche constructiviste qui considère qu’« un objet existe si on est capable de le construire, d’en exhiber un exemplaire ou de le calculer explicitement » (Largeaut, 1993). Le chercheur n’est plus indépendant de la construction de l’objet qu’il étudie, mais fait partie intégrante de ce processus. David (1999) propose une typologie des différentes démarches de recherche lorsque celles-ci sont basées sur une approche constructiviste en croisant deux critères pour les différencier : l’objectif du chercheur suivant qu’il produit une construction mentale ou concrète de la réalité, et la démarche que celui-ci met en œuvre en fonction de s’il part d’une observation des faits ou d’un projet de transformation ou d’une situation idéalisée.
Dans notre approche, nous partageons plutôt une vision proche de la recherche-action ou de la recherche-intervention selon laquelle la recherche en gestion n’est pas simplement une recherche sur l’action, mais plutôt une recherche dans l’action, « une recherche transformative où le chercheur, participant à la vie de l’organisation, conçoit, met en œuvre, analyse, communique, diffuse les résultats obtenus tant à l’intérieur de l’organisation auprès des praticiens, qu’à l’extérieur en direction des milieux académiques » (Lallé, 2004). Au lieu de se poser la question du « comment » à partir d’un objectif bien défini, le chercheur part de ses études de cas pour se poser à la fois la question du « comment » et du « pourquoi » (Yin, 2003). Le processus de recherche basé sur les études de cas constitue une stratégie de recherche globale, reposant sur de multiples sources de données, les données devant converger tout en bénéficiant du développement au préalable de propositions théoriques pour guider la collecte et l’analyse de données.
ITINERAIRE ET CADRE METHODOLOGIQUE GENERAL
Dans notre étude, le projet de recherche initial se base sur le questionnement suivant : quelles sont les logiques de gestion à mettre en place pour s’assurer de l’efficacité systématique des projets de science citoyenne dans le cadre d’un processus data- driven ? Ce projet de recherche est issu d’observations manifestes dans des cas empiriques observés par le chercheur ou au travers d’exemples issus de la littérature mais dont l’interprétation n’est pas immédiate. Une variété d’approches a été mobilisée pour définir un modèle de gestion adapté aux projets de science citoyenne. Par la suite, chaque méthode est présentée en lien avec la question de recherche identifiée. Pour mieux comprendre le contexte organisationnel contemporain et valider les liens supposés entre projets de science citoyenne et science data-driven, notre recherche suit une méthode historico-comparative du phénomène (Kieser, 1994). Cette approche a pour objectif de produire un modèle causal entre transformation du rapport aux données et ouverture de la science qui nous permette de justifier le lien supposé dans notre contexte contemporain. Notre étude se concentrera notamment sur l’apparition de nouveaux acteurs, la redéfinition du rôle des acteurs existants (celui notamment du scientifique), et proposera une ébauche de formalisme des différentes étapes du processus scientifique qui ont été ouvertes à de nouveaux acteurs. Au moins quatre raisons selon Kieser justifient l’intérêt de l’analyse historique pour étudier des phénomènes organisationnels contemporains : 1) L’analyse d’un comportement organisationnel ne peut être séparé d’un effet culturel inclus dans la dimension culturelle. 2) Recontextualiser des problèmes d’organisation contemporains à des situations similaires dans le passé pour éviter des effets idéologiques et des tendances actuelles « à la mode ». 3) Les analyses historiques nous apprennent à interpréter les structures organisationnelles existantes non pas telles que déterminées par les lois, mais comme le résultat de décisions prises dans le cadre d’opportunités de choix passés, certaines intentionnellement et d’autres implicitement. Des possibilités de choix qui n’avaient pas été utilisées à l’avantage des acteurs impliqués peuvent éventuellement se présenter à nouveau ou être restaurées d’une manière ou d’une autre. Les analyses historiques peuvent nous préparer à mieux identifier et à mieux utiliser les opportunités de choix. 4) En confrontant les théories du changement organisationnel aux évolutions historiques, ces théories peuvent être soumises à un test plus radical que celui qu’elles doivent passer lorsqu’elles sont simplement confrontées à des données sur les changements à court terme. En revanche, les analyses historiques au sein des organisations présentent un certain nombre de faiblesses qui peuvent être limitées en établissant un ensemble de bonnes pratiques méthodologiques.