Modele diphasique isotherme non compositionnel
De grandes quantités d’hydrocarbures sont présentes dans des champs offshore [70] pour lesquels la méthode de production classique consiste à traiter le mélange triphasique d’eau, d’huile et de gaz sur la plate-forme. Cette opération consiste à séparer les hydrocarbures puis à transporter pétrole et gaz dans deux conduites distinctes jusqu’à terre. Outre le coût d’installation de ces conduites, le coût de maintenance des appareillages sur la plate-forme est élevé. Le transport polyphasique, dans lequel le mélange circule dans une seule conduite pétrolière, permet de réduire ces coûts en reportant le traitement sur des plates-formes situées soit en eaux peu profondes, soit à terre. Pour simuler ces écoulements polyphasiques compositionnels, l’Institut Français du Pétrole (IFP) développe depuis plusieurs années le code TACITE1 (voir figure 1). Il s’appuie sur une méthode numérique performante qui a été largement éprouvée sur de nombreux cas-tests industriels, dont certains cas très “raides”. Dans ce secteur très pointu, le principal concurrent de Tacite est OLGA, un code norvégien, fondé sur un modèle mathématique différent de celui de Tacite. Les dernières difficultés majeures de la méthode Tacite étant sa relative lenteur et ses problèmes de robustesse, la mise au point de méthodes numériques plus performantes pourrait donner un avantage concurrentiel important au code de l’IFP. Les conduites pétrolières, généralement immergées, guident sur des grandes distances un mélange composé de gaz, d’eau et de pétrole, depuis la plate-forme d’extraction jusqu’à un site de stockage, tous deux situés en surface. Elles reposent sur le fond marin et épousent donc les variations de topographie de celui-ci. Les changements d’inclinaison font que, à l’intérieur d’une mˆeme conduite, l’écoulement peut prendre des allures très différentes : annulaire, stratifié, dispersé, etc. A chaque ` régime correspond ainsi un modèle mathématique particulier. Il est important de pouvoir prédire ce qui se passe le long des conduites, afin – d’aider les opérateurs à mieux piloter le transport du mélange : en jouant sur les paramètres judicieux, on peut éviter des phénomènes indésirables comme le slugging (création de bouchons) ; – de permettre aux constructeurs de mieux dimensionner les équipements : on peut ainsi réaliser des économies substantielles. Le modèle développé dans Tacite est connu sous le nom de “Drift-Flux Model” (DFM). Dans le cas des écoulements diphasiques isothermes, il est fondé sur trois équations aux dérivées partielles. Les deux premières sont les équations de conservation de la masse de gaz et de liquide. La dernière est l’équation de conservation de la quantité de mouvement du mélange. Ces lois de conservation sont complétées par des lois de fermetures thermodynamiques (pression) et hydrodynamique (écart de vitesse entre les phases ou encore glissement). Nous appelons ce système gaz–liquide. Les lois physiques utilisées dans Tacite sont fort complexes. C’est le prix a` payer pour garantir une bonne cohérence avec la réalité. De mˆeme, le schéma numérique de Tacite consomme beaucoup de temps calcul. C’est le prix a` payer pour traiter avec rigueur toutes les difficultés inhérentes au problème.
A la recherche d’un schéma idéal
Le schéma numérique implémenté dans Tacite était jusqu’en 1994 celui de Lerat explicite . Ce schéma, d’ordre 2 en espace et en temps présente le défaut d’engendrer des oscillations aux voisinages des discontinuités (caractère dispersif). Notons que, malgré ces défauts majeurs, ce schéma est encore utilisé dans [34]. Pour le stabiliser, un schéma hybride avait été proposé : le principe est de combiner le schéma de Lerat avec un schéma d’ordre 1 très diffusif, celui de Lax-Friedrichs. Malgré une très nette amélioration des solutions calculées par le schéma hybride, des oscillations de faible amplitude persistaient, dont une conséquence était de donner des masses négatives dans le cas d’écoulements monophasiques. L’équipe Tacite a donc été amenée a` développer le schéma VFRoe : ce schéma numérique ne nécessite, de la part du système de lois de conservation, que son flux et sa Jacobienne. Ce schéma décentré d’ordre 1 est classiquement monté a` l’ordre 2 en espace par une technique de limitation de pente et a` l’ordre 2 en temps par une méthode de Runge-Kutta. Mais ce schéma ne permet pas de simuler les cas les plus durs (conduite verticale). En effet, il est écrit dans Masella, Faille & Gallou¨et [49] : “The VFRoe flux is therefore not a continuous function with respect to its arguments near states where an eigenvalue can have a change of its sign.”. Une variante de ce schéma a alors été utilisée : en introduisant une diffusion numérique supplémentaire, les cas les plus raides sont traités par le schéma de Faille & Heintzé [26]. Nous appelons ce schéma VFRoe–Tacite. Mais ce schéma possède deux inconvénients en ce qui concerne : – la rapidité : le schéma Tacite est gourmand en temps calcul. Cela reste vrai malgré une implicitation partielle du schéma qui permet d’obtenir des pas de temps plus grands : explicite pour les ondes lentes, linéairement implicite pour les ondes rapides. C’est en particulier le calcul numérique des valeurs propres et des vecteurs propres du système qui consomme une grande partie du temps liée au schéma. – la robustesse : le calcul des valeurs propres du système conduit parfois, dans les cas très difficiles, a` des valeurs propres complexes. Dans ce dernier cas, la simulation s’arrˆete car le système n’est plus hyperbolique et la théorie de ce domaine ne permet plus de rien garantir… D’autre part, la positivité de la fraction massique de chaque constituant n’est pas garantie par le schéma actuel. Certes, le schéma Tacite est, de ce point de vue, plus robuste que le schéma de Lerat. Pourtant, dans le schéma Tacite, l’ajout de diffusion numérique pour stabiliser la méthode ne permet pas d’avoir d’argument théorique permettant d’assurer cette propriété. La question scientifique qui se trouve a` la base de ce travail est donc de trouver une méthode a` la fois plus rapide et plus robuste.
Revue de divers travaux connexes
Notons que l’étude de Fjelde & Karlsen [27] contient une étude comparative de schéma numériques pour la simulation des écoulements diphasiques en conduite avec le modèle DFM. Un schéma de Roe “entièrement numérique” Ce schéma, proposé par Romate en 1998 dans [57] est fondé sur une méthode de Roe. Considérant qu’il n’est pas possible, avec le modèle DFM fondé sur une loi hydrodynamique complexe, de calculer analytiquement une matrice de Roe, l’auteur propose de la calculer numériquement. La matrice Jacobienne du système est calculée sur un état moyen (par exemple la moyenne des états gauche et droit) et décomposée en valeurs propres, vecteurs propres par des techniques numériques classiques. Puis, afin de satisfaire aux conditions de Roe, la matrice des valeurs propres est modifiée, ce qui mène a` la résolution d’un système linéaire. L’avantage de cette stratégie est qu’elle est entièrement numérique. L’inconvénient est qu’elle est relativement proche de la méthode VFRoe-Tacite et que donc elle pose les mˆeme problèmes de cout ˆ (décomposition en éléments propres) et de robustesse. Ce dernier problème est en particulier souligné dans [27]. Dans cet article, les problèmes de positivité des fractions massiques sont traités d’une manière non-conservative (par troncature), ce qui n’est pas satisfaisant. D’autres remèdes ont étés suggérés (voir [27]), mais il n’apparaˆıt pas que cette stratégie, bien qu’elle donne des résultats satisfaisants dans un certain nombre de cas, puisse mener a` un schéma peu couteux ˆ et très robuste. Un schéma hybride Certains auteurs [28] tentent de diminuer le cout ˆ du schéma numérique. Ils disposent pour cela de deux schémas : 1. un schéma de Roe fondé sur les variables conservatives mais couteux, ˆ 2. un schéma de Roe fondé sur les variables primitives (non-conservatives) peu couteux ˆ mais incapable de détecter correctement les discontinuités. Le schéma de base est le schéma fondé sur les variables primitives sauf pour les cellules pour lesquelles un critère portant sur la différence de pression est vérifié : pour ces cellules, c’est le schéma de Roe fondé sur les variables conservatives qui est utilisé. Ce schéma est appelé “primitif/conservatif”. Cette idée a été testée avec succès sur une conduite horizontale avec une loi de glissement nul. L’idée, malgré son bon fondement théorique dans les cas les plus simples, paraˆıt limitée dans son utilisation pour deux raisons. Tout d’abord, il est difficile de concevoir un critère adéquat pour les cas plus difficiles. Comme tout schéma hybride “X/Y” (et comme celui de Lerat/Lax-Friedrichs), ce schéma porte en lui le problème du choix ; ni le schéma “X” ni le schéma “Y” ne sont parfaitement adaptés au problème. D’autre part, l’expérience de Tacite prouve l’instabilité du schéma de Roe conservatif dans le cas-test de la conduite verticale : le problème de robustesse n’est pas résolu.