L’impulsion laser ultra-brève
Depuis leur apparition dans les années 60, les lasers impulsionnels sont devenus des outils indispensables dans de nombreux domaines de recherche en permettant notamment d’atteindre de grandes puissances instantanées. Les premiers lasers à impulsions courtes étaient basés sur un principe encore utilisé actuellement : le déclenchement de cavité (Q-switching). Ce principe est simple : les pertes de la cavité sont modulées temporellement de sorte à engendrer l’effet laser sur une courte échelle de temps. L’énergie injectée par pompage s’accumule donc dans la cavité tant que les pertes sont trop importantes. Périodiquement, ces pertes sont diminuées, soit activement (par effet electro-optique ou acousto-optique) soit passivement (absorbant saturable), de façon à permettre l’effet laser dans la cavité et donc à l’énergie de fuir à l’extérieur. L’énergie est donc concentrée temporellement sur une courte durée. Les premiers lasers déclenchés généraient des impulsions de l’ordre de quelques nanosecondes (10-9s). Aujourd’hui il est courant de générer des impulsions ultracourtes de quelques dizaines de femtosecondes (10-15s) par blocage de mode, certaines s’expriment même en attosecondes (10-18s) [Agostini 2004]. Pour ces dernières, le problème consiste à élargir le spectre. Les principales techniques actuellement développées sont la génération de hautes harmoniques et la diffusion Raman. 15 Mise en forme temporelle d’impulsions laser ultra-brèves Chapitre 1 : mise en forme temporelle d’impulsions laser ultra-brèves En ce qui concerne l’interaction laser-matière dans le cas femtoseconde, elle diffère du cas continu. En effet, le processus d’absorption d’un photon se décompose en deux étapes. Tout d’abord ce photon est absorbé par les électrons de la bande de valence des atomes puis, dans une échelle de temps subnanoseconde, l’énergie est transmise à la structure sous forme de phonons. Dans le cas d’un champ électromagnétique continu, électrons et phonons entrent dans un régime stationnaire durant lequel les électrons sont toujours excités et l’énergie est couplée en continue aux phonons de la structure. Dans le cas femtoseconde, à l’image d’un circuit électrique, l’absorption se fait toujours en régime transitoire : l’énergie n’est apportée que sur une courte durée et se trouve très peu couplée aux phonons. La zone thermiquement affectée est donc considérablement limitée [Le Harzic 2002]. Toute une théorie doit être développée pour modéliser l’interaction laser-matière en régime ultra-bref qui dépend également du matériau considéré. Pour exemple, Colombier et al. Propose un schéma interprétatif dans le cas métallique [Colombier 2005]. L’interaction est alors approchée par un modèle à « deux températures » permettant de décrire l’évolution de la température des électrons et des phonons au cours du temps, d’obtenir les différentes phases induites par l’impulsion ultracourte dans le volume de matière, puis de simuler le taux d’ablation ou d’ionisation par exemple. Grâce à leur courte durée, les lasers à impulsions ultracourtes ont permis le développement de nouveaux domaines de recherche. Pour exemple, la seule façon d’observer les processus ultrabrefs de la matière est d’utiliser ces très courtes impulsions. De plus, étant donnée leur grande puissance instantanée, ces impulsions favorisent les processus d’absorption multiphotonique et permettent par conséquent d’étudier les phénomènes non-linéaires ou d’engendrer un processus physico-chimique par effet non-linéaire. Les impulsions lasers ultracourtes sont particulièrement pertinentes pour le micro-usinage [Mazur 2007]. La zone thermiquement affectée étant de petite dimension, la résolution atteignable par ces lasers est plus grande que celle des lasers à impulsions courtes. Dans le cas des matériaux absorbants (métaux, semi-conducteurs) l’intérêt porte donc essentiellement sur la microstructuration de haute qualité (à des fins tribologiques par exemple). En ce qui concerne les matériaux transparents (diélectriques), le laser femtoseconde est d’un intérêt plus spécifique pour la photoinscription de guides d’ondes ou de fonctions optiques plus complexes par modulation de l’indice de réfraction [Hirao 1998, Zoubir 2004]. Dans ce cas, l’impulsion provoque un changement d’état rapide du matériau diélectrique qui passe subitement de l’état solide à l’état liquide voire plasma, puis se re-solidifie tout aussi rapidement. La densité de matière est alors 16 Chapitre 1 : mise en forme temporelle d’impulsions laser ultra-brèves modulée au voisinage du faisceau focalisé et une variation d’indice est introduite, notamment liée à la présence de contraintes dans le matériau. Une autre technique plus chimique consiste à faire précipiter un ion spécifique dopant un verre [Takeshima 2004]. L’impulsion ultracourte permet alors à l’atome ionisé de se stabiliser en comblant le déséquilibre électronique. Les électrons manquants sont alors pris à son environnement, induisant du même coup des défauts dans le verre et une modification de l’indice de réfraction. Les impulsions lasers ultracourtes sont également appliquées à la microstructuration de surface pour la microfluidique [Bellouard 2004, Hnatovsky 2005] : le procédé est alors une ablation comme dans le cas d’un matériau absorbant. Les lasers impulsionnels ultracourts sont également utilisés à des fins chirurgicales [Cheng 2007]. Les processus d’absorption multiphotoniques et la faible diffusion thermique en font un outil chirurgical plus précis et moins agressif pour les tissus biologiques que les lasers continus ou les outils mécaniques. Ces lasers peuvent également être utilisés afin d’augmenter le débit en télécommunications [Wada 2004]. Dans ce genre d’application, ce sont les grandes puissances instantanées qui permettent par effet non linéaire une commutation ultrarapide. Ces techniques laissent ainsi la possibilité d’obtenir une télécommunication entièrement optique (commutateurs et démultiplexeurs optiques) : le débit est alors grandement augmenté (quelques Tb/s). Mais les impulsions femtosecondes ne sont pas uniquement un outil de fabrication. Elles sont aussi un « outil » de diagnostic très intéressant. La caractérisation à l’aide de lasers femtosecondes est de nos jours possible (tomographie en milieu diffus [Zipfel 2003], spectroscopie [Rullière 1998]) : l’impulsion se propage en profondeur dans les tissus organiques puis est rétro-diffusée. L’étude de ce signal permet de déterminer les épaisseurs et les densités des différents tissus organiques traversés. Dans le domaine de la chimie, ces lasers ont aussi leur place en tant qu’analyseurs en temps réel de la matière [Zewail 1988]. Deux impulsions identiques décalées sont émises : la première appelée pompe excite les molécules, la seconde appelée sonde étudie leur état à l’instant t, écart temporel entre ces deux impulsions. En faisant varier cet écart temporel, il devient possible de déterminer l’évolution dans le temps des molécules subissant l’excitation de la pompe. Les impulsions ultracourtes peuvent aussi servir la chimie en jouant le rôle de catalyseur de réaction [Rabitz 2003] pour oxyder un métal par exemple [Gondal 2004]. L’impulsion laser est alors mise en forme temporellement de façon à apporter l’énergie aux molécules d’une façon organisée. La création ou destruction de liaisons inter-atomiques ciblées ne s’opérant pas naturellement devient alors possible. Enfin, de nouvelles 17 Chapitre 1 : mise en forme temporelle d’impulsions laser ultra-brèves applications sont actuellement en plein essor telles que la photopolymerisation [Zhai 2001, Misawa 2006] par absorption multiphotonique ou encore la photodéposition par plasma [Ohtomo 2005] dans laquelle les atomes sont arrachés d’une cible par les impulsions et se déposent sur un substrat. Ce chapitre est une introduction et un état de l’art succinct sur les impulsions ultra-brèves ainsi qu’aux moyens utilisés pour leur mise en forme temporelle. Il vise tout simplement à introduire les bases des impulsions lasers et de leur mise en forme temporelle nécessaires à la bonne compréhension du travail présenté.
Génération d’une impulsion laser ultra-brève
Cette partie vise à expliquer la génération d’une impulsion laser ultra-brève pour en déduire ses caractéristiques spectrales. Le spectre d’une telle source laser sera la connaissance de base nécessaire à la mise en forme temporelle de ces impulsions. Le lecteur pourra également se reporter à la référence [Hirlimann 1998] pour de plus amples informations sur la génération d’impulsions lasers ultra-brèves. Une cavité laser est constituée d’un résonateur au sein duquel est placé un milieu amplificateur. Le résonateur, élément de base du dispositif, est généralement une cavité Fabry-Perot permettant de créer des interférences constructives pour certaines longueurs d’ondes. Pour qu’un effet laser puisse s’établir entre les deux miroirs de celle-ci, la longueur de la cavité doit accommoder un nombre demi-entier de longueur d’onde générées par émission spontanée. On définit le temps caractéristique T de la cavité optique comme étant : 2L T c = (1.1) où L est la longueur de la cavité et c la vitesse de la lumière dans le vide. Deux éléments vont donc contribuer à la réponse spectrale d’un tel résonateur. Tout d’abord la cavité Fabry Perot permet à différents modes longitudinaux d’exister dans le résonateur. Ces modes sont d’autant plus nombreux que la cavité est longue et ont des fréquences sensiblement différentes (fig. 1.1a). L’écart spectral δν entre ces différents modes est simplement inversement proportionnel au temps caractéristique T de la cavité, soit c 2L δν = . Le deuxième élément qui va 18 Chapitre 1 : mise en forme temporelle d’impulsions laser ultra-brèves intervenir sur le spectre de la cavité laser est le milieu actif : il permet une amplification des composantes sur une certaine bande spectrale par le biais d’une émission stimulée. Il n’y a amplification que lorsque le gain introduit par le milieu actif est supérieur aux pertes introduites par les optiques. Une allure de spectre laser est donnée sur la figure 1.1b. a) Amplitude ν ν Gain b) Figure 1.1 : a) réponse spectrale de la cavité Fabry-Pérot et b) spectre en sortie du milieu amplificateur. Le seuil de pertes est indiqué en tirets. En régime continu, l’amplification de la cavité est quasiment linéaire et cohérente de sorte que l’onde électromagnétique qui la traverse ne subit pas de déformation temporelle. En régime stationnaire, le gain et les pertes se contrebalancent. Le champ électromagnétique peut être vu spectralement comme l’enveloppe de gain discrétisée suivant un pas équivalant à la résolution δν caractéristique de la cavité optique. Le champ électromagnétique E(ν) en sortie du laser peut alors s’écrire comme suit : ( ) 0 ( ) n 0 n E E T +∞ = ν ∝ ν δν − ∑ (1.2) Le spectre est donc discrétisé suivant une période c 2L δν = généralement très faible devant la fréquence centrale du laser. Les pics de Dirac caractérisent les différents modes longitudinaux du 19 Chapitre 1 : mise en forme temporelle d’impulsions laser ultra-brèves laser. En réalité, ces pics ont une certaine largeur qui reflète la finesse du Fabry-Perot (fig. 1.1). De plus, la série de pics est limitée par l’enveloppe de la courbe correspondant à un gain supérieur aux pertes. Considérons maintenant deux de ces modes adjacents. Le champ électrique résultant de la superposition de ces deux modes s’écrit : e t( ) = π E1 1 exp( ) j(2 ν t + Φ1 ) + E2 exp( j(2πν2t + Φ2 )) 1 Φ (1.3) En posant , l’intensité résultante sera : ∆Φ = Φ2 − Φ ( ) ( ) ( ) ( ) 2 2 1 2 1 2 I t = + E E + 2E ⋅E ⋅ cos 2πδνt + ∆ (1.4) Un phénomène d’interférences entre les modes de la cavité laser produit alors un battement de l’intensité. On distingue deux cas : si les deux modes ne sont pas corrélés, alors ∆Φ varie aléatoirement au cours du temps et l’intensité fluctue autour d’une valeur moyenne (cas des lasers continus). Le second cas est observé si ∆Φ est constant en fonction du temps : l’intensité varie périodiquement (lasers impulsionnels). La phase spectrale de la source est alors constante sur tout le spectre de l’impulsion. Le simple fait de faire battre entre eux deux modes d’un laser, en maintenant constante leur relation de phase, permet donc de distribuer périodiquement l’énergie lumineuse dans le temps. Si on généralise le cas à la superposition de N modes, on trouve que le champ électrique prend la forme : ( ) ( ) ( ) ( ) ( N 1 0 n 0 1 exp 2 jN t e t exp 2 j n t exp 2 j t 1 exp 2 j t − = − π δν = π ν + δν = π − π δν ∑ ν0 ) ) (1.5) et l’intensité totale devient : ( ) ( ) ( 2 2 sin N t I t sin t π δν ∝ πδν (1.6) On constate que plus le nombre de modes présents dans la cavité est grand et plus la largeur de l’impulsion laser diminue tendant même vers une distribution de Dirac. La forme des impulsions est approchée par une cosécante hyperbolique ou plus fréquemment par une gaussienne. D’un point de vue expérimental, les lasers femtosecondes soulèvent plusieurs problèmes. Tout d’abord, dans un laser continu, un atome n’amplifie qu’un mode de la cavité à la fois, choisi 20 Chapitre 1 : mise en forme temporelle d’impulsions laser ultra-brèves aléatoirement, causant ainsi des fluctuations dans l’intensité et la phase relative des différents modes. Pour obtenir des impulsions de très courte durée, il faut faire appel à la méthode dite de synchronisation de modes. Pour ce faire, il suffit de s’assurer que les pertes de la cavité laser sont faibles uniquement lorsque ces différents modes sont en phase : ils sont alors amplifiés de façon organisée. Il existe différentes méthodes de blocage de mode basées sur un effet non-linéaire soit actif (modulateur acousto-optique) soit passif (absorbant saturable). Une des méthodes utilisées actuellement est le blocage de mode passif par collision d’impulsions (Colliding Pulse Modelocking). Elle consiste à injecter deux impulsions voyageant en sens contraire dans la cavité. Un absorbant saturable [Fork 1981] est inséré sur leur chemin de sorte que la transmission de ce dernier soit maximale lorsque les deux impulsions arrivent simultanément sur l’absorbant : les modes sont donc bloqués temporellement en phase. Dans le cas du laser Titane:Saphir, les modes sont auto-bloqués de par les propriétés du milieu amplificateur. Pour de plus amples informations sur les méthodes de blocage de mode, le lecteur pourra se reporter à la référence [Ducasse 1998]. Le deuxième problème posé réside dans la façon d’augmenter l’énergie de l’impulsion. En effet, sur de si courtes durées même une faible énergie engendre une puissance instantanée colossale. La résistance du milieu amplificateur au flux limite donc l’énergie de l’impulsion. La solution est trouvée au début des années 80 par G. Mourou et S. Strickland [Mourou 1985]. Il suffit d’étirer l’impulsion avant chaque amplification puis de la recompresser. Les puissances développées dans le milieu amplificateur peuvent ainsi être diminuées considérablement. Aujourd’hui, les lasers femtosecondes peuvent atteindre des fluences de 1021 W/cm2 en sortie d’amplificateur. Nous venons donc de définir les deux quantités caractéristiques d’une impulsion laser femtoseconde que sont sa phase et son amplitude. Si la chaîne laser est parfaitement réglée, la phase spectrale est constante et l’intensité temporelle vérifie l’expression (1.6). Cependant par soucis de simplification, celle-ci est souvent approchée par une gaussienne : ( ) 2 2 t t I t e − ∆ = . Comme nous le verrons plus tard, il est indispensable de bien connaître les caractéristiques de cette impulsion à la sortie du laser afin de faire de la mise en forme temporelle. Pour l’instant nous allons faire un petit rappel sur les propriétés des impulsions électromagnétiques.
Propriétés des impulsions électromagnétiques
Comme dans le cas d’une onde plane électromagnétique, le champ électrique d’une impulsion femtoseconde est une fonction à valeurs réelles dépendant du temps et solution des équations de Maxwell. Il s’exprime mathématiquement sous la forme d’une enveloppe qui donne la forme temporelle de l’impulsion modulée par un champ oscillant. Nous venons de voir dans la partie précédente la méthode utilisée pour générer des impulsions lasers. Découlant de celle-ci, le champ électrique de l’impulsion peut s’écrire de deux façons duales l’une de l’autre dans le domaine temporel et dans le domaine spectral (1.2) liées par la transformée de Fourier : ( ) ( ) ( ) ( ) 1 e t TF E E exp 2 jt d +∞ − −∞ = ν = ν ⋅ π ν ∫ ⋅ ν dt te (1.7) dans le domaine temporel ou encore E T ( ) F e( )t e( )t exp( 2 j t) +∞ −∞ ν = = − π ν ⋅ ∫ (1.8) dans le domaine spectral Et comme dans toute paire de quantités liées par une relation de Fourier, l’inégalité de Schwartz doit être respectée. Cette relation d’incertitude temps-énergie, également appelée relation d’Heisenberg, prend habituellement la forme : ∆ ∆t ν ≥ Cs (1.9) où ∆t est la durée à mi-hauteur, ∆ν la largeur spectrale à mi-hauteur et Cste une constante dépendant de la forme de l’impulsion (0,441 pour une gaussienne et 0,315 pour une sécante hyperbolique). Cette relation peut également s’écrire dans le domaine des longueurs d’onde pour une impulsion laser femtoseconde de profil gaussien centrée sur une longueur d’onde λ0 de 800 nm par : pulse ∆ ∆t λ 941nm⋅fs (1.10) où ∆λpulse est la largeur spectrale à mi-hauteur en intensité de l’impulsion femtoseconde gaussienne incidente. Dans le cas des lasers femtosecondes, la largeur spectrale de l’impulsion est grande et les effets de dispersion ne peuvent être considérés comme constants sur toute la plage des longueurs 22 Chapitre 1 : mise en forme temporelle d’impulsions laser ultra-brèves d’ondes du spectre. La phase spectrale de cette impulsion est donc constante si elle n’a traversé aucun milieu à forte dispersion. Par conséquent, sa phase temporelle varie linéairement avec le temps. Il est alors possible d’approcher son champ oscillant par une sinusoïde de fréquence égale à la fréquence centrale ν0 du spectre. On pourra donc exprimer le champ électrique de cette onde sous la forme suivante : e t( ) = f ( )t cos(2πν0t) (1.11) où f(t) représente l’enveloppe temporelle de l’impulsion et 0 0 c ν = λ la fréquence centrale de son spectre.