Mesure des mouvements induits par le vent sur les cultures
Technique expérimentale
Acquisition des données
Les mesures sur site du mouvement des cultures dˆu au vent ont été menées au centre INRA de Lusignan en mai 2003 et mai 2004 : la première campagne expérimentale a permis de tester la technique, tandis que les résultats présentés section 2.4 sont issus de la deuxième série de mesures. Nous nous sommes intéressés à deux végétaux bien différents, le blé (Triticum aestivum L. cv Apache) et une plante fourragère, la luzerne (Medicago sativa L. cv Mercedes), de manière à obtenir, comme nous le verrons plus loin, des comportements mécaniques différents. Les champs de blé et de luzerne ont été cultivés par l’INRA avec des techniques agricoles standards. Les mouvements des couverts végétaux sont filmés depuis le bord du champ a` l’aide d’une caméra placée à environ 3 mètres de hauteur sur un trépied, voir Figure 2.1. Des séquences de mouvement de 10 à 40 secondes sont enregistrées. Pendant chaque séquence, on mesure simultanément la vitesse du vent juste au dessus de la surface du couvert. Ceci permettra dans la suite de relier les propriétés du mouvement à l’intensité du vent. Pour les deux couverts végétaux, des films sont réalisés pour différentes positions de la caméra par rapport à la direction du vent. La résolution temporelle de la caméra est de 25 images par secondes, et la taille des images de 720*576 pixels (format DV). Les films sont par la suite numérisés et transformés en séquences d’images à l’aide du logiciel Adobe Premiere (Adobe Systems Incorporated). Seul le niveau de gris des images est considéré et celles-ci sont traitées dans la suite comme des matrices mathématiques. Avant d’être utilisées pour en déduire le mouvement du couvert, les images sont d’abord corrigées de l’effet de perspective, comme détaillé ci-après. 2.2 Technique expérimentale 25 vent camera mesure ex ez θ d Fig. 2.1 – Schéma du dispositif expérimental pour la mesure des mouvements des cultures sous le vent : θ et d définissent la position de la caméra par rapport au couvert et (ex, ez) le repère dans lequel est décrit le mouvement.
Redressement des images
Comme les mouvements sont filmés depuis le bord du champ, les images sont déformées par la perspective : autrement dit, les échelles de longueur sont plus petites en haut de l’image qu’elles ne le sont en bas. Cette déformation géometrique doit être corrigée avant d’exploiter les images pour mesurer le mouvement. Ce type de correction est classique en mesure optique, voir par exemple Muste et al. (1999). Pour mesurer la distorsion due à la perspective, nous avions planté au préalable dans les champs de blé et de luzerne (c’est-à-dire avant que les plantes n’aient poussé) deux réseaux de mires régulièrement espacées, comme on peut le voir sur la Figure 2.2. Vues de haut, ces mires forment un maillage de référence régulier. Vues de biais, depuis la caméra, les mires semblent plus proches les unes des autres en haut de l’image qu’en bas : le maillage est déformé par la perspective. La transformation géométrique due à la perspective, dont l’expression est donnée en Annexe A, ne dépend que des paramètres d’observation, c’est à dire l’angle de visée θ et la distance virtuelle d de la caméra au centre de l’objet, Fig. 2.1. Sur l’image vue de biais, on mesure la distance entre mires voisines dans les deux directions du maillage du bas jusqu’au haut de l’image. L’évolution de ces longueurs de références de bas en haut sur l’image par rapport à la distance réelle entre mires permet d’obtenir une estimation des paramètres θ et d régissant la transformation géométrique∗, voir Annexe A. Une fois ces paramètres calculés pour une image d’une séquence, la correction, c’est à dire la transformation géométrique inverse, est appliquée à chaque pixel de l’image initiale (Annexe A) puis on fait de même pour chacune des images ∗Par sécurité, une mesure additionelle de l’angle θ était réalisée à l’aide d’un inclinomètre fixé à la caméra. Les valeurs de θ obtenues par les deux méthodes co¨ıncidaient à 1 ou 2 degrés près. 26 Mesure des mouvements induits par le vent sur les cultures Fig. 2.2 – Image du champ de blé filmé en présence de vent. Les mires régulièrement espacées sont utilisées pour redresser l’image. En haut : image initiale (dimension : 572×716 pixels). A bas : image redressée (dimension du rectangle central : 731×530 pixels). 2.2 Technique expérimentale 27 de la séquence. Dans cette opération de redressement, le maillage en pixel de l’image originale est déformé (étiré en haut, compressé en bas), et c’est sur ce nouveau maillage que le signal niveau de gris est interpolé, voir Fig. 2.2. Seule la zone rectangulaire centrale de l’image redressée est conservée pour la suite des traitements. Sur l’image redressée, les mires sont régulièrement espacées : l’échelle de longueur est homogène. Ce sont sur ces images redressées que le mouvement du couvert végétal est ensuite mesuré. Si l’utilisation de mires de référence est le moyen le plus classique et le plus sˆur de mesurer l’effet de perspective dans un champ, l’opération n’est cependant pas anodine : le plantage et l’alignement précis des mires dans les deux champs de blé et de luzerne nécessite pratiquement 2 jours de travail à 4 personnes. Lors de la première campagne expérimentale (2003), nous ne disposions pas d’un tel système et une autre technique de mesure de la perspective avait éte imaginée. Celle-ci repose sur la régularité naturelle d’une culture. En effet, dans un champ, des échelles de longueur caractéristiques peuvent être trouvées, comme la distance entre plantes ou la taille des feuilles. Si le sol, l’ensoleillement et l’arrosage sont homogènes, ces longueurs caractéristiques peuvent être supposées constantes sur tout le champ. Sur une image, toute variation globale de ces longueurs résulte donc d’un effet de perspective, et peut par conséquent être exploitée pour estimer les paramètres de distorsion. Pour ce faire, une échelle de longueur dérivée des propriétés statistiques de la variation spatiale du signal niveau de gris de l’image avait été utilisée. Plus de détails sur cette technique sont donnés en Annexe A.
Mesure du mouvement par corrélation entre images
La technique PIV La technique utilisée pour mesurer le mouvement du couvert végétal est optique et s’appuie sur le principe de la corrélation entre images. Plus particulièrement, on utilise ici une technique de corrélation et des algorithmes de PIV (Particle Image Velocimetry). La PIV est une technique de mesure aujourd’hui extrêmement courante en dynamique des fluides, voir Raffel et al. (1998). Elle permet de capter instantanément le champ de vitesse complet d’un écoulement même complexe. Avant d’expliquer plus en detail l’application de la PIV à la mesure du mouvement du couvert, on donne ci-dessous quelques rappels brefs sur la PIV en dynamique des fluides. La mesure d’un écoulement par PIV nécéssite au préalable d’ensemencer le fluide avec des petites particules qui joueront le rˆole de traceurs. On illumine ensuite l’écoulement à l’aide d’un plan laser pulsé à une fréquence élevée par rapport aux fréquences caractéristiques de l’écoulement. La lumière réfléchie par les particules lors de chaque illumination est enregistrée et numérisée. Les images ainsi obtenues sont divisées en sous-régions, appelées fenêtres d’interrogation, sur- 28 Mesure des mouvements induits par le vent sur les cultures lesquelles les corrélations vont être calculées. Pour chaque fenêtre d’interrogation, le vecteur local de déplacement du fluide entre deux illuminations successives est obtenu à l’aide de méthodes statistiques. Le niveau de correspondance entre deux mêmes fenêtres de deux clichés successifs, W1 et W2 centrées en (x, z), est déterminé par la fonction d’inter-corrélation, définie comme : R(x, z) = i= M/2 i=−M/2 j= M/2 j=−M/2 W1(i, j) W2(i + x, j + z), (2.1) o`u i et j sont des indices en pixels et M la taille en pixel de la fenêtre d’interrogation. La position du pic de la fonction d’inter-corrélation par rapport au centre de la première fenêtre donne le déplacement local du fluide entre les deux illuminations. La vitesse locale instantanée est ensuite définie par le déplacement divisé par l’intervalle de temps. On suppose dans cette technique que toutes les particules contenues dans une fenêtre ont bougé de manière homogène. Le calcul de corrélation est ensuite répéte pour toutes les fenêtres d’interrogation d’une image PIV, menant ainsi au champ de vitesse spatial instantané, puis l’operation est repétée pour chaque intervalle de temps. Il est commun de considérer des fenêtres d’interrogation chevauchantes de manière à augmenter la résolution spatiale de la mesure. Le principe de corrélation entre images de la PIV est maintenant appliqué à la mesure du mouvement d’un couvert végétal. Contrairement à la PIV standard, nous n’utilisons pas de traceurs artificiels pour cette mesure. Le couvert végétal joue lui-même le rˆole de traceur naturel : les petites hétérogénéités locales de l’image du couvert (feuilles, portion de tiges, etc.) permettent en effet de détecter les déplacements locaux de la surface du couvert. De plus, aucun éclairage artificiel de type plan laser n’est nécessaire dans notre cas, puisque a) le soleil fournit une intensité lumineuse et un contraste suffisants pour que les hétérogénéités puissent être détectées pour les calculs de corrélation, b) le plan de mesure est défini naturellement par le sommet du couvert végétal pourvu que ce dernier soit suffisamment dense. La resolution temporelle de la mesure est ici fixée par la résolution de la caméra, soit 25 Hz. Pour les calculs de corrélation, les images du mouvement du couvert, une fois redressées, sont divisées en fenêtres d’interrogation avec un chevauchement entre fenêtres de 50%. Pour notre application, la taille optimale d’une fenêtre correspond approximativement à la taille des patterns reconnaissables de l’image du couvert, c’est à dire typiquement un groupe de quelques feuilles. Le calcul de corrélation, à l’aide d’un algorithme classique de PIV (MatPIV sous Matlab, développé par Sveen (2000)), incluant les routines de correction standards (signal to noise ratio, local/global filters, double pass calculation) est mené sur chaque fenêtre entre deux images successives et répété entre chaque image d’un film complet. Par cette technique, on aboutit, pour chaque séquence de mou- 2.2 Technique expérimentale 29 éclairage caméra laser moteur gazon artificiel Fig. 2.3 – Schéma du montage visant à tester en laboratoire la technique de mesure du mouvement du couvert par PIV. vement filmé sur site, au champ de vitesse bi-dimensionnel spatio-temporel de la surface du couvert végétal. On note ce champ de vitesse X˙ (x, z, t).
Validation de la technique de mesure
Pour tester l’efficacité de la technique type PIV sur la détection du mouvement du couvert végétal sans traceurs, un cas test a été mené en laboratoire. Un carré de 50 cm de cˆoté de gazon artificiel est fixé sur une plaque mobile, voir Fig. 2.3. Celle-ci est actionnée par un moteur dans un mouvement oscillant rectiligne. Les brins d’herbe artificielle étant rigides, ils ont tous le même mouvement et suivent le mouvement de la plaque imposé par le moteur. Son déplacement en fonction du temps est mesuré à l’aide d’un faisceau laser impactant le cˆoté de la plaque, et relié à un système d’acquisition. Simultanément, on filme le mouvement de la plaque de gazon avec une caméra positionnée au-dessus de celle-ci. La technique de PIV décrite précédemment est ensuite appliquée aux images du film, et on en déduit le champ de vitesse spatio-temporel de la surface de gazon. Des petites hétérogénéités visuelles ont été créés sur la surface du gazon en pliant aléatoirement quelques fibres. Cela a permis d’avoir une image du gazon plus contrastée, ressemblant davantage à la texture d’une image de vrai champ, et d’obtenir de meilleurs calculs de corrélations dans la PIV. L’amplitude du mouvement de la plaque était de 1 cm, et on a fait varier sa fréquence d’oscillation entre 0.5 et 2 Hz. Sur le film, cela a mené à des déplacements du gazon de l’ordre de 1 à 4 pixels entre deux images successives. Le champ de vitesse obtenu par le calcul de PIV était uniforme et dans tous les cas, la fréquence temporelle 30 Mesure des mouvements induits par le vent sur les cultures du mouvement ainsi que son amplitude vérifiaient les données mesurées par le laser avec une erreur inférieure à 5%. On a également fait varier la position de l’éclairage par rapport à la direction du mouvement, sans influence sur la qualité des résultats. L’efficacité du redressement d’images a aussi été vérifée sur ce système en inclinant la caméra et en superposant au gazon une grille regulière jouant le rˆole du réseau de mires.
Application à la mesure du mouvement d’un couvert végétal
L’application de la technique de mesure du mouvement par corrélation entre images est illustrée sur une séquence filmée sur le champ de blé de la Figure 2.2. La taille initiale des fenêtres d’interrogations a été fixée dans cet exemple à 56 pixels (soit 22 cm sur la surface du champ), de manière à ce que le rapport moyen entre le pic de corrélation et le bruit (signal to noise ratio) soit supérieur à 1.5, signe d’une bonne précision du calcul de corrélation. Après calcul en double passe, cela mène à une résolution spatiale d’un point tous les 11 pixels, et à un champ de vitesse comportant 1850 points en espace. La durée de la séquence considérée est de 10 s, soit 250 points en temps. Le temps de calcul nécessaire sur station de travail pour obtenir le champ de vitesse spatio-temporel complet de cette séquence est d’environ 6h. La Figure 2.4 montre un exemple de champ de vitesse instantané du mouvement de la surface du champ de blé, et la Figure 2.5 une évolution typique des deux composantes de vitesse en un point donné. Les évolutions temporelles et spatiales du mouvement du couvert végétal sont détectées avec une résolution suffisante : de larges structures sont visibles Fig. 2.4 et des oscillations bien définies Fig. 2.5.