LES RESIDUS D’ANTIBIOTIQUES
Les contaminants alimentaires chimiques sont des substances qui peuvent se retrouver, de façon non intentionnelle, sauf en cas de fraude, dans les denrées alimentaires ou dans les aliments pour animaux. Ces substances peuvent être présentes dans les aliments à différents stades de la production, de la transformation ou du transport. Ces substances peuvent aussi résulter d’une contamination de l’environnement. De nombreux produits chimiques d’origines anthropiques (eg. polluants organiques (e.g. dioxine), produits pharmaceutiques humains et vétérinaires, pesticides, biocides) et naturelles (métaux lourds (e.g. plomb, cadmium, mercure, uranium), métalloïdes (e.g. arsenic), toxines naturelles produites par les bactéries, protozoaires, algues, champignons et plantes) peuvent entrer dans l’alimentation animale, l’alimentation humaine et l’eau [4]. La présence de ces contaminants peuvent présenter un risque pour la santé animale et humaine. Les produits administrés de façon intentionnelle, font donc l’objet d’une évaluation du risque avant leur mise sur le marché. Dans le cas des résidus de médicaments vétérinaires, ils se trouvent présents dans les denrées d’origine animale, suite aux traitements préventif ou curatif des animaux par ces médicaments. L’exposition aux résidus de médicaments vétérinaires dans les produits animaux doit tenir compte de la consommation des médicaments dans les productions animales. Les principaux résidus de médicaments vétérinaires dans l’Union Européenne sont les antibiotiques et les antiparasitaires. Deux types de résidus de médicaments vétérinaires susceptibles d’être présents sont : les résidus de principes actifs autorisés pour le traitement de maladies infectieuses chez les animaux de rente et les résidus de principes actifs interdits, en raison de problèmes de toxicité. De plus, les traitements réalisés sur les produits alimentaires, type stérilisation ou pasteurisation du lait, ne détruisent pas forcément les principes actifs. Ces traitements peuvent même engendrer des produits de dégradation qui, comme les molécules mères ou les métabolites, peuvent présenter des risques pour la santé des consommateurs . Les risques liés à la présence de résidus de médicaments vétérinaires dans les produits alimentaires d’origine animale sont les suivants : – Les risques technologiques μ la présence de résidus d’antibiotiques dans le lait a pour effet de bloquer ou ralentir les fermentations microbiennes (bactéries lactiques) et donc la transformation (coagulation du lait) est perturbée, voire impossible. – Les risques pour le consommateur : o Les allergies μ la présence de résidus d’antibiotiques dans l’alimentation humaine peut engendrer des réactions allergiques chez des personnes sensibles [6], o Les risques toxicologiques aigus, à court terme et à long terme (eg. effets sur la reproduction, sur le développement fœtal, effets mutagènes, effets cancérogènes, immunotoxicité, etc), o Les risques de contamination environnementale, o La survenue de bactéries résistantes aux antibiotiques : les graves problèmes causés par l’émergence et la propagation de la résistance aux antimicrobiens ont abouti à l’interdiction dans l’Union Européenne (EU) de l’utilisation d’antibiotiques comme promoteurs de croissance dans l’alimentation animale [7, 8]. Le nombre d’articles publiés sur le thème de la résistance aux antimicrobiens est en constante augmentation (moins de 1000 articles par an avant les années 2000). Cette résistance aux antibiotiques peut se propager à d’autres populations bactériennes et des vecteurs de maladies infectieuses devenus résistants aux traitements antimicrobiens peuvent présenter une menace pour la santé humaine et animale [9, 10].
Législation européenne et internationale
En raison de ces préoccupations, de nombreux pays ont interdit ou restreint l’utilisation de composés antimicrobiens chez les animaux producteurs d’aliments. Une législation spécifique protège les consommateurs contre l’exposition aux résidus de médicaments vétérinaires, de pesticides et de contaminants environnementaux potentiellement dangereux dans les aliments d’origine animale. Depuis le début des années 1990, la commission européenne a mis en place progressivement des textes afin de protéger la santé du consommateur (Figure 4). Les différentes législations ont été publiées en fonction du type de contaminants alimentaires (par exemple la directive 96/23/CE pour les médicaments vétérinaires, les pesticides et les contaminants environnementaux [2]). Des limites maximales de résidus (LMR) ont été définies pour les résidus de médicaments vétérinaires, de pesticides et de contaminants environnementaux, en premier lieu dans le règlement 2377/90/CE [11] (Tableau 1). Des LMR définitives ou provisoires étaient fixées pour les substances autorisées. Ce règlement a été abrogé par les règlements 470/2009/CE [1] et 37/2010/CE [12], qui déterminent la liste des substances autorisées et des substances interdites. La définition des LMR n’a pas été modifiée. Il s’agit de « la concentration maximale d’un résidu d’une substance pharmacologiquement active qui peut être autorisée dans les aliments d’origine animale ». Une évaluation scientifique des risques est menée pour fixer les LMR. Cette évaluation porte sur la pharmacocinétique de la substance pharmacologiquement active (absorption, distribution, métabolisme et déplétion (ADME)), le type de résidu et la Dose Journalière Admissible (DJA). La DJA est la quantité de résidus qui peut être ingérée chaque jour par des êtres humains, sans présenter de risque pour la santé du consommateur. Les risques toxicologiques, pharmacologiques ou microbiologiques chez les êtres humains sont donc pris en compte de la fixation de cette LMR [1]. Les LMR constituent des valeurs de référence pour la détermination du temps d’attente dans les autorisations de mise sur le marché (AMM) de médicaments vétérinaires destinés aux animaux producteurs de denrées alimentaires. Les LMR servent en outre de référence pour le contrôle des résidus dans les aliments d’origine animale au sein des États membres et aux postes d’inspection frontaliers (PIF). Avec le règlement 2377/90/CE, les substances pour lesquelles aucune LMR ne pouvait être fixée, car elles constituaient un risque pour la santé du consommateur, étaient classées en annexe IV. Elles devaient être détectées à un niveau le plus faible possible. Ensuite, la décision européenne 2002/657/CE a défini pour ces mêmes substances, la Limite de Performance Minimale Requise (LPMR) comme « la teneur minimale en analyte dans un échantillon qui doit être au moins détectée et confirmée » [13]. La LPMR est une limite qui a pour objectif d’harmoniser les performances analytiques des méthodes applicables aux substances pour lesquelles aucune limite autorisée n’a été fixée. Elle est basée sur des critères analytiques, pas sur des dangers toxicologiques comme la LMR. La LPMR est donc un objectif de performance à atteindre, mais ne constitue pas un seuil au-dessus duquel on doit déclarer la non-conformité d’un échantillon. Un résultat doit être déclaré non conforme si la limite de décision (CCα) de la méthode de confirmation est dépassée [13]. Depuis, le règlement 470/2009/CE a établi des procédures pour fixer des valeurs de référence (« reference point for action ») (RPA) [1]. Ces RPA vont remplacer à terme les LPMR. Une RPA est le niveau de résidus d’une substance pharmacologiquement active, fixé dans l’objectif de contrôler certaines substances pour lesquelles aucune LMR n’a été fixée. Les RPA sont fixées en fonction de « la concentration en résidus la plus faible pouvant être quantifiée grâce à une méthode d’analyse validée conformément aux exigences communautaires ». Le laboratoire de référence de l’Union Européenne (LRUE) compétent peut renseigner la commission européenne sur les performances des méthodes d’analyse. Contrairement à la LPMR, la RPA est un seuil de déclaration de non-conformité d’un résultat. L’Agence Européenne de Sécurité Alimentaire (European Food Safety Agency (EFSA)) a délivré des avis scientifiques sur les méthodes et les procédures à suivre pour établir des RPA [14]. A la demande de la commission européenne, l’EFSA a publié des avis scientifiques sur les risques pour la santé humaine et animale, liés à la présence de certains résidus d’antibiotiques dans les denrées alimentaires et les aliments pour animaux. Des RPA ont été fixées pour le chloramphénicol [15], les nitrofuranes [16] et le vert de malachite. Ces valeurs de référence sont applicables aux productions dans les pays tiers [17], mais aussi applicables aux productions dans l’Union Européenne [1]. Enfin, pour les médicaments vétérinaires qui n’ont pas de LMR (eg. nicarbazine), certains états membres ont pu fixer leurs propres seuils de décision, au-dessus desquels une action est intentée. Dans le cas de la nicarbazine par exemple, le Royaume-Uni a fixé un Niveau d’Action Différentiel (NAD) de 100 µg/kg en 1998. Un échantillon contenant de la nicarbazine au-dessus de cette limite est déclaré positif. Aux États-Unis, le terme «niveau d’action» se réfère aux niveaux recommandés par l’Agence de protection environnementale (Environmental Protection Agency (EPA)) pour application par la FDA (Food and Drug Administration) et le ministère américain de l’Agriculture (USDA) (par exemple, 9 lorsque les résidus de pesticides se retrouvent dans alimentation humaine ou animale, pour des raisons autres que l’application directe du pesticide). Par opposition aux « tolérances » qui sont établies pour les résidus survenant comme une conséquence directe de l’utilisation appropriée, les seuils d’intervention sont fixés pour les résidus résultant d’une autorisation d’utilisation juridique antérieure ou de contamination accidentelle. Au Canada, les limites maximales sont établies par Santé Canada et sont exécutoires par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA). Certaines teneurs maximales apparaissent dans le Règlement sur les aliments et drogues, où ils sont considérés comme des «tolérances». Il y a aussi un certain nombre de limites maximales qui n’apparaissent pas dans le Règlement; ceux-ci sont considérés comme des «normes».
L’EVOLUTION DES METHODES (BIOLOGIQUES) DE DEPISTAGE
Historique des méthodes analytiques
Les premières méthodes biologiques qui ont été développées pour la détection des résidus de médicaments vétérinaires ont été des méthodes microbiologiques [18-20]. Ces méthodes sont basées sur des tests de diffusion en gélose ou sur l’inhibition de la production d’acide par des bactéries (« méthode d’acidification »). Le principe est basé sur la sensibilité des bactéries à l’action des antibiotiques. Ces méthodes sont simples et peu coûteuses. Ensuite, des méthodes immunologiques ont été développées sur la base de la reconnaissance anticorps – antigène. Ces méthodes sont plus spécifiques en raison du principe de l’interaction anticorps – antigène. Ainsi, ces méthodes sont plus ciblées. Dans le même temps, des techniques ont été mises au point utilisant les propriétés physicochimiques des antibiotiques (chromatographie en couche mince (CCM), chromatographie en phase liquide à haute performance (HPLC)).
Méthodes conventionnelles
Nous allons différencier les méthodes dites conventionnelles (c’est-à-dire classiquement utilisées, car plus anciennes), des méthodes innovantes (nouvelles technologies, nouveaux outils de reconnaissance et/ou de détection). Trois grands types de méthodes conventionnelles utilisées pour le dépistage des résidus d’antibiotiques dans les denrées alimentaires sont présentés dans la Figure 5. Des méthodes physico-chimiques peuvent parfois être utilisées pour le dépistage des résidus de médicaments vétérinaires dans les aliments d’origine animale. Ce type de méthode de dépistage ne rentre pas dans le sujet de cette thèse et ne sera donc pas développé. Les méthodes conventionnelles pour le dépistage de résidus d’antibiotiques dans les aliments d’origine animale s’appuient essentiellement sur des méthodes microbiologiques et biochimiques. Les principes et caractéristiques des méthodes biologiques conventionnelles vont être développés ci-après.
Méthodes microbiologiques
Les méthodes microbiologiques sont principalement utilisées pour la détection de deux types de contaminants alimentaires; les organismes pathogènes alimentaires et les résidus d’antibiotiques. Pour la détection des pathogènes alimentaires, les méthodes sont généralement constituées d’une étape d’enrichissement (la mise en culture sur des boites de gélose sélectives afin d’isoler l’organisme pathogène), suivie par une analyse phénotypique. Pour le dépistage des résidus d’antibiotiques, les méthodes microbiologiques sont basées sur la sensibilité des souches bactériennes à l’action des antibiotiques et sur la spécificité d’action des antibiotiques. Généralement un milieu gélosé est inoculé avec une bactérie sensible et les résidus d’antimicrobiens vont diffuser dans la gélose, à partir de l’échantillon. L’inhibition de la croissance bactérienne indique la présence de composés antimicrobiens. Les méthodes microbiologiques sont capables de détecter une large gamme de résidus d’antibiotiques et les principales classes d’antibiotiques. Ces méthodes de dépistage possèdent un large spectre de détection. Les méthodes microbiologiques peuvent être classées en deux catégories (Figure 6): – Les méthodes intra-laboratoire sont le plus souvent des méthodes en boites, à l’exception d’un test intra-laboratoire en tubes pour le contrôle officiel des antibiotiques dans le lait en France (test d’acidification [21]), qui n’est plus utilisé. – Les kits commerciaux sont le plus souvent des tests en ampoules et/ou en microplaques, commercialisés prêts à l’emploi. Un seul germe est ensemencé dans le milieu, le plus souvent Bacillus stearothermophilus (Tableau 2). Le temps d’incubation est généralement compris entre 2h15 et 3 heures pour les tests commerciaux, contre 12 à 24 heures pour les méthodes en boites. Les tests microbiologiques au format microplaque sont des méthodes de criblage à haut débit parce l’automatisation des analyses et des lectures est simple et très fréquente, ce qui n’est pas le cas des méthodes microbiologiques au format boites. Seulement 20 à 60 échantillons peuvent être analysés par des méthodes boites en fonction de la matrice et du nombre de boites. De même, un maximum de 40 à 60 échantillons peut être analysé par des tests en tubes (eg. Premi®Test). Par contre, dans le domaine du paiement à la qualité du lait, plusieurs centaines d’échantillons peuvent être analysés en une journée sur des tests microbiologiques au format microplaque. L’avantage des méthodes en boites se situe dans la capacité à orienter vers l’identité de la famille d’antibiotiques présente dans l’échantillon. En effet, le choix d’une bactérie particulière et d’un milieu adapté permet d’orienter la détection plus spécifiquement vers une famille d’antibiotiques. La composition du milieu et son pH vont être favorables à la culture de la bactérie en question, mais aussi favoriser l’action d’une famille d’antibiotiques en particulier. Les tests commerciaux étant basés sur l’utilisation d’un seul germe, la famille de la substance donnant un résultat positif ne peut être identifiée.