Des contenus valorisés par l’enseignant
Dans les quatre classes observées, des contenus, pour ne pas dire tous les contenus, sont valorisés par les enseignants, durant les phases de débat proprement dites. Nous avançons cette idée suite à l’analyse de l’enchainement des séquences discursives ainsi qu’aux mouvements discursifs mis en évidence au chapitre précédent (supra, p. 341 et s.). En effet, les contenus avancés par les élèves sont repris de manière quasi-systématique par les enseignants, sont questionnés et sont proposés à discussion à la classe. Les enseignants donnent ainsi de la valeur aux contenus mobilisés par les élèves et les constituent comme des objets de discours, en ouvrant de facto de nouvelles séquences discursives. Les exemples sont nombreux dans les quatre classes. L’étayage des enseignants réside essentiellement dans des demandes d’explication, de justification et de définition des termes employés par les élèves. Par exemple dans la classe n°1, dès qu’une nouvelle idée ou nouvelle notion est formulée l’enseignant questionne l’élève pour lui demander soit de l’expliquer, soit de la définir, comme dans l’extrait ci-dessous où l’enseignant demande à Vincent de définir l’expression « mal intérieur» :Si les contenus amenés et mobilisés par les élèves sont pris en compte par les enseignants des quatre classes, on peut s’interroger sur ce qui est amené dans la discussion par les élèves. Il est intéressant de relever que ce que nous considérons comme contenus amenés par les élèves prend la forme d’exemples personnels, revendiqués comme tels par les élèves selon les classes. Ce fait est significatif car le débat en philosophie est le seul débat parmi les débats disciplinaires observés où l’on retrouve des références à la vie sociale des élèves, soit des références à la vie des enfants en dehors de l’école. Une des hypothèses explicatives relève sans doute de la forme des questions de débat posées, ces questions invitant les élèves à réfléchir et à porter des jugements sur des faits auxquels ils peuvent être confrontés à l’école, mais surtout, en dehors de l’école. Pour illustrer cette idée, prenons un extrait du débat en philosophie de la classe n°3 repris dans le tableau n°82 ci-dessous, débat au cours duquel les élèves réfléchissent aux relations entre les adultes et les enfants.
Des contenus sélectionnés par l’enseignant
A la suite des contenus valorisés dans les phases de débat proprement dites, nous identifions des contenus qui sont sélectionnés par les enseignants des classes n°1, n°2 et n°3. L’enseignante de la classe n°4, quant à elle, ne sélectionne aucun contenu. Pour les trois classes précitées, nous considérons en effet que les enseignants sélectionnent des contenus parmi les contenus construits par les élèves au cours du débat puisqu’un écrit fait suite au PARTIE 3 : Analyse interactionnelle des débats disciplinaires dans les espaces de pratiques effectives 393 débat. Ces écrits sont ainsi des traces des contenus construits et se présentent sous différentes formes : le tableau noir pour la classe n°1 (cf. figure n°45), une affiche pour la classe n°2 (cf. figure n° 46) et une feuille insérée dans un porte-vue pour la classe n°3.
Le tableau noir comme révélateur de contenus
Après le temps de débat en philosophie de la classe n°1, les élèves retournent en classe pour procéder à la synthèse des échanges. Deux élèves endossant le rôle de secrétaires donnent alors les idées qu’ils ont prises en note au cours de la phase de débat, ces idées étant écrites sous leur dictée au tableau noir par l’enseignant. Le tableau noir s’organise comme suit :Le tableau noir joue ici le rôle de révélateur de contenus pour les élèves, car les contenus construits au cours du débat sont rendus visibles pour tous. Nous rejoignons ici les travaux de Rouba Hassan (2011b) et Elisabeth Nonnon (1991, 2000b) sur le tableau noir, entendu « comme un outil et comme une médiation dans le travail didactique » (Nonnon, 2000b, p. 87) ou plus largement comme un « outil de gestion didactique » (Hassan, 2011b, p. 43). A la PARTIE 3 : Analyse interactionnelle des débats disciplinaires dans les espaces de pratiques effectives 394 suite de Rouba Hassan (2011b), nous posons que le tableau permet de structurer les contenus du cours. Plus encore, l’inscription au tableau permet aux enseignants de valoriser des contenus (Nonnon, 2000b). Dans nos observations, nous notons également que le tableau noir joue un rôle dans la scénarisation des contenus organisée par l’enseignant de la classe n°1. Il s’agit, en effet pour les élèves, de sélectionner les contenus construits au cours du débat et inscrits au tableau. Dans l’extrait suivant présenté dans le tableau n°85, l’enseignant demande aux élèves de choisir les phrases à afficher au coin « débat philosophique » sur le « mur des sagesses ».
Des contenus socialisables/socialisés et communicables/ communiqués Les contenus construits au cours du débat ont aussi pour vocation à être potentiellement socialisables et communicables. C’est du moins l’analyse que nous faisons des écrits rédigés par les enseignantes des classes n°2 et n°3 au cours des phases de débat. En effet, ces dernières endossent toutes deux le rôle de secrétaire et prennent en note certains propos des élèves. Alors que l’enseignante de la classe n°3 reprend toutes les interventions des élèves, l’enseignante de la classe n°2, sélectionne les idées de certains élèves, comme étant les idées qui ont permis de faire avancer le débat, sur une affiche reproduite à la page suivante. De la même manière que pour la classe n°1, les contenus identifiés comme étant les contenus construits sont sélectionnés par l’enseignante de la classe n°2 parmi les contenus valorisés au cours du débat. Cette tension entre les contenus construits par les élèves et les contenus sélectionnés par les enseignants pourrait également s’interpréter comme une tension entre ce que les élèves construisent et entre ce que les enseignants veulent que les élèves construisent au cours du débat en philosophie. La philosophie est la seule discipline de débat parmi celles observées dans cette recherche pour laquelle les enseignants s’accordent sur l’importance des traces laissées à la suite des débats. On peut donc s’interroger sur cette spécificité. Tentons quelques hypothèses explicatives. Vouloir diffuser les contenus construits par les élèves au cours du débat en philosophie peut en effet relever de la volonté des enseignants de légitimer les pratiques de philosophie dans leur classe. L’enseignante de la classe n°4, avant le premier débat en philosophie dans sa classe avait d’ailleurs ressenti le besoin d’informer les parents d’élèves et la direction de l’école. La philosophie n’étant ni une discipline à l’école élémentaire ni une pratique ordinaire à l’école Montessori, elle voulait légitimer cette pratique auprès des parents et de ses collègues. Toutefois, la légitimité des pratiques ne relève pas nécessairement de l’autorisation à les mettre en place. Il peut également s’agir d’une valorisation de l’identité professionnelle des enseignants. Faire de la philosophie à l’école relève d’une volonté personnelle de mettre en place des pratiques différentes en classe, voire un signe d’innovation des enseignants concernés. De la même manière, laisser des traces des débats en classe peut aussi être la valorisation de la réflexion des élèves pour les élèves et pour quiconque entrerait dans la classe.
Eléments de conclusion pour le débat en philosophie
La scénarisation des contenus, organisée par les enseignants observés et mise en œuvre par l’étayage met en évidence des contenus. Ces contenus valorisés puis sélectionnés par les enseignants relèvent de la construction mais aussi de la transmission des contenus. En effet, si des contenus sont construits par les élèves, nous identifions d’autres contenus transmis. Ainsi l’analyse des observations met en exergue des contenus construits et des contenus transmis : – Des contenus construits d’ordre procédural (apprendre à justifier, à expliquer et à définir), au regard des contenus disciplinaires identifiés dans l’espace des recommandations. – Des contenus transmis relevant de valeurs, à l’image de la transmission de valeurs que nous avons identifiée dans la classe n°1.