Les théories de l’ajustement

Les théories de l’ajustement

 Ce chapitre présente trois groupes de textes qui seront analysés à partir du questionnement général sur les pratiques des individus, dans des situations considérées comme des situations de communication. L‘objectif de ce chapitre est d‘amorcer une réflexion théorique sur la nature des pratiques de communication, mais aussi sur les conditions de saisie de cette pratique par le chercheur et par l‘acteur de la pratique lui-même. L‘ethnométhodologie d‘Harold Garfinkel est la première référence citée : elle permet de montrer comment l‘analyse peut se pencher sur la façon dont les acteurs sociaux rendent cohérentes leurs propres pratiques en déployant des méthodes d‘ajustement permanent entre les situations de communication, la façon de considérer sa propre pratique et l‘accomplissement d‘une réalité sociale. Elle permet surtout d‘amorcer la réflexion sur le type de rapport qui peut se tisser entre le hic et nunc de l‘expérience d‘un individu et la construction de relations plus générales à la culture. Cette réflexion est au fondement de la démarche d‘analyse qui est menée pour cette thèse. Dans un deuxième temps, c‘est la théorie des représentations sociales de Serge Moscovici et l‘analyse qu‘en propose Joëlle Le Marec qui permettra de poser une deuxième balise, celle de la relation entre situations de communication et circulation des savoirs, qui consiste à prendre acte du « caractère poétique des transformations que connaissent les objets dans la communication et [du] lien qui rattache ces élaborations aux interactions qui les autorisent »32. Enfin, la troisième section sera consacrée à plusieurs textes clefs qui appartiennent à la sociologie des usages et à la théorie de l‘interaction médiatisée. Ces textes permettent de revenir, après l‘incursion auprès des analyses du sens commun, à la situation de médiation ainsi qu‘à la notion de média, pour interroger le rapport entre un dispositif de communication  et un acteur qui souhaite vivre une expérience d‘un type particulier (on s‘engage toujours d‘une façon particulière lorsqu‘on s‘introduit dans une situation de communication, qu‘il s‘agisse d‘un coup de téléphone, ou de la visite d‘un musée).

Cette section présente la démarche théorique de l‘ethnométhodologie d‘Harold Garfinkel. Le choix a été fait de ne pas se référer aux textes de vulgarisation ni aux textes des ethnométhodologues contemporains pour se centrer, surtout, sur le travail pionnier de Garfinkel, pour deux raisons : d‘abord, les textes d‘origine offrent déjà les outils nécessaires pour l‘analyse des méthodes d‘ajustement dans les interactions sociales ; ensuite, l‘ethnométhodologie est relativement peu abordée par les auteurs en sciences de l‘information et de la communication et le travail d‘exégèse ou celui de constitution du champ de l‘ethnométhodologie en sociologie a tracé des problématiques différentes de celle qui est explorée ici. Dans un premier temps, on présentera le programme général de l‘ethnométhodologie, formalisée par Garfinkel, qui est articulé à la reconnaissance des propriétés rationnelles des activités courantes. Ensuite, deux axes théoriques particuliers, celui de la réflexivité et de l‘indexicalité des expressions ordinaires, seront détaillés, car ils apportent des réponses aux questionnements sur le rapport entre l‘individu et sa propre pratique et, plus encore, sur le rapport entre l‘individu et son usage de la situation de communication. Dans un troisième temps, on tentera de pointer le caractère communicationnel de l‘analyse de Garfinkel. Son analyse permet, en effet, de mettre en lumière l‘attention très grande des acteurs sociaux envers la cohérence de la situation de communication. Enfin, pour terminer, on reviendra sur la notion de « breaching experiment »33, car elle est à la fois très proche et très éloignée de la démarche mise en œuvre pour l‘un des deux terrains de la thèse : d‘un côté, elle met en avant la capacité de l‘individu à mobiliser des savoirs et des représentations sur la situation de communication, mais de l‘autre elle ne permet pas de saisir le rapport de médiation pratique que joue le dispositif de communication dans l‘expérience.

Ainsi Garfinkel expose, à l‘aide de nombreux exemples sur les modes d‘investigation « profanes »37, dont l‘un des premiers dans sa carrière de chercheur est celui des jurés38, qu‘il existe une structure formelle des activités courantes. « Nous entendons par ―structures formelles‖ les dimensions suivantes des activités courantes : a) elles manifestent à l‘analyse les propriétés d‘uniformité, de reproductibilité, de répétitivité, de standardisation, de typicalité, etc. b) ces propriétés sont indépendantes des cohortes particulières de production, c) cette indépendance est un phénomène reconnu par les membres et d) les phénomènes a), b),  ou encore la justification du choix45. On comprend, alors, le terme d‘ethnométhodes qui qualifie les modes de raisonnement profanes qui ont leur rigueur propre. Ces méthodes sont utilisées par les membres pour « construire des alternatives, pour produire, tester, et vérifier le caractère factuel d‘une information, pour rendre compte de choix, et des circonstances dans lesquelles ils ont été effectués, pour évaluer, produire, reconnaître, garantir, faire valoir la régularité, la cohérence, l‘utilité, l‘efficacité, l‘intentionnalité – et autres propriétés rationnelles – des actions .

 

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