Dispositif français de surveillance et de veille d’émergence
En France, la salubrité des produits de la pêche mis sur le marché est vérifiée par un système de surveillance à double maillage et complétée par un dispositif de veille d’émergence dont la finalité est de détecter d’éventuelles émergences.
Surveillance
L’objectif du système de surveillance est de prévenir la mise sur le marché de produits de la mer contaminés au-delà des seuils règlementaires évoqués dans le paragraphe précédent. La surveillance est dite à double maillage car elle comprend deux niveaux : (i) dans les zones de production avec une surveillance des espèces phytoplanctoniques toxiques dans l’eau et des niveaux en toxines dans les mollusques bivalves et (ii) sur les marchés avec une surveillance des mollusques bivalves destinés à y être vendus. Le dispositif est sous la responsabilité du Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (MAA) et le réseau des laboratoires concernés et chargés de réaliser l’ensemble des analyses est piloté par le Laboratoire de sécurité des aliments (LSAl) de l’Anses, en tant que Laboratoire national de référence (LNR) pour les biotoxines marines. Concernant le maillage « zones de production », l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) est maître d’œuvre en matière d’organisation pratique de la surveillance du milieu, et conserve l’expertise de l’analyse du phytoplancton dans le milieu marin (flores totale et toxique). En revanche, les mollusques bivalves sont analysés par des laboratoires départementaux d’analyse (LDA) agréés par la Direction générale de l’alimentation (DGAl) rattachée au MAA. En cas de dépassement des seuils règlementaires des toxines surveillées, les zones de production sont fermées sur décision du préfet de département ; elles ne rouvriront que si deux résultats consécutifs sont conformes. La fréquence de ces analyses varie en fonction des périodes de l’année, selon qu’elles sont à risque ou non ; ainsi la fréquence peut être hebdomadaire ou mensuelle. Concernant le second maillage, les produits destinés à être mis sur le marché et prélevés par les services vétérinaires sont analysés par les 46 LDA agréés. En cas de dépassement des seuils règlementaires, les mesures de gestion idoines sont prises par l’autorité compétente : retrait du marché et destruction des produits concernés.
Veille d’émergence
Description
Le système de surveillance, qui a vocation à s’intéresser aux toxines définies dans la règlementation est complété par un dispositif de veille d’émergence dont l’objectif est de détecter d’éventuels composés émergents. La notion d’émergence peut prendre différents sens ; il peut s’agir de toxines connues mais jusque-là jamais retrouvées en France ou bien de toxines totalement inconnues dont il s’agirait de la première mise en évidence. Le dispositif de veille d’émergence comprend 11 points répartis le long du littoral faisant l’objet d’une analyse mensuelle afin de rechercher la présence d’éventuelles toxines émergentes dans la glande digestive (moules ou huîtres). Jusqu’en 2017, les échantillons étaient analysés en parallèle par bio-essai sur souris et chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse (LC-MS/MS) afin d’identifier d’éventuelles discordances entre les résultats de ces deux approches. Seules les toxines lipophiles étaient alors concernées. Depuis 2018 le dispositif a évolué ; le BES n’est plus utilisé et seules des analyses par LC-MS/MS sont réalisées. Autre modification apportée au dispositif, les analyses pratiquées uniquement par LC-MS/MS concernent un nombre plus important de toxines puisqu’elles incluent également la recherche de certaines biotoxines marines non règlementées (SPX, GYM, PnTX, BTX, PLTX et OVTX) et cyanotoxines (microcystines, nodularine-R).
Limites du dispositif de veille d’émergence actuel
En l’état, le dispositif de veille d’émergence ne concerne pas les toxines hydrophiles, qu’il s’agisse de biotoxines marines ou de cyanotoxines. Il est prévu qu’à partir de janvier 2019, les toxines hydrophiles (STX, AD, TTX, anatoxines, cylindrospermopsines) soient également incluses dans le dispositif de veille d’émergence et analysées par LC-MS/MS. 47 Du fait de l’abandon du BES qui était un test de toxicité globale, le dispositif a perdu sa valence prospective en matière de toxines émergentes inconnues, l’utilisation de la LCMS/MS restreignant de fait l’analyse à des composés ciblés, préalablement définis. III.L’analyse par chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse La chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse (LC-MS) a gagné en popularité depuis quelques années dans le domaine des biotoxines marines. Grâce aux avancées réalisées notamment en termes de validation de méthodes LC-MS, cette technique est récemment devenue méthode de référence pour l’analyse de certaines toxines lipophiles tels que l’acide okadaïque et de ses dérivés, les azaspiracides, les yessotoxines et les pecténotoxines dans plusieurs pays européens (Anonyme, 2011). Plusieurs autres méthodes LC-MS ont également été développées pour les autres familles de toxines et sont en constante amélioration pour envisager potentiellement leur utilisation comme méthodes officielles de contrôle.
La détection par spectrométrie de masse
La spectrométrie de masse (MS, de l’anglais « Mass Spectrometry ») s’est imposée au fil du temps comme la technique de choix pour l’analyse d’un grand nombre de molécules organiques permettant une spécificité et une sensibilité accrue. Le spectromètre de masse, initialement conçu par le Britannique Joseph John Thomson, comporte une source d’ionisation suivie d’un ou plusieurs analyseurs fonctionnant sous vide qui séparent les ions produits selon leur rapport masse sur charge (m/z), d’un détecteur qui transforme les ions générés en signal électrique, et enfin d’un système de traitement de signal permettant la visualisation et l’enregistrement des spectres de masse représentant les rapports m/z, où m est la masse de l’ion et z sa valence.
Les sources d’ionisation
Les sources utilisées en spectrométrie de masse sont basées sur l’ionisation en phase gazeuse ou sur la désorption-ionisation d’analytes. L’ionisation en phase gazeuse peut être réalisée sous vide à l’aide de sources à impact électronique (EI) ou à pression atmosphérique : sources APCI (Atmospheric Pressure Chemical Ionisation), APPI (Atmospheric Pressure PhotoIonisation et DART (Direct Analysis in Real Time). La désorption-ionisation d’analytes peut, quant à elle, s’opérer sous vide (sources DIOS) ou encore sur des supports solides à l’aide de matrices, ce qui est le cas des sources MALDI (Matrix Assisted Laser Desorption), ou à pression atmosphérique sur des nébulisâts telles que les sources electrospray ESI (ElectroSpray Ionisation) et, DESI (Desorption Electrospray Ionisation). Le choix de la source d’ionisation doit se faire en fonction de la nature des molécules à analyser. Parmi les techniques d’ionisation déjà employées pour les toxines on retrouve les ionisations ESI, APCI, APPI (Pardo et al., 2007), MALDI et l’ionisation par bombardement d’atomes neutres (Fast Atom Bombardment: FAB) (Vilariño et al., 2013). La source ESI reste l’interface la plus adaptée pour l’analyse des biotoxines marines car elle permet un couplage avec la chromatographie liquide, qui est la méthode de séparation de choix pour ces molécules. L’electrospray est une source à pression atmosphérique dans laquelle l’échantillon est introduit en solution. Le principe d’ionisation consiste à appliquer une différence de potentiel entre un capillaire de nébulisation contenant les espèces à analyser et une contre électrode située à l’entrée du spectromètre de masse puis, les gouttelettes chargées en sortie de capillaire vont être desolvatées par un flux d’azote chaud, ce qui va initier une cascade d’explosions coulombiennes. Les ions ainsi produits en phase gazeuse sont attirés vers le spectromètre de masse par la contre électrode (Figure 13). Les sources ESI assurent une ionisation douce recommandée pour les molécules peu volatiles et de polarité moyenne à forte sans fragmentation induite. Deux modes d’ionisation existent : le mode positif (ESI+) et le mode négatif (ESI-). En mode positif, le capillaire devient le siège d’oxydations où sont retenus les anions tandis que les 49 cations sont repoussés dans l’extrémité du cône de Taylor et inversement en mode négatif. Ces modes permettent de produire respectivement des ions chargés positivement ou des ions chargés négativement. La charge positive est souvent un adduit de proton (H+ ) mais l’ajout de sels et d’acide dans les phases mobiles peut favoriser la formation d’adduits sodium (Na+ ), de potassium (K+ ) ou d’ammonium (NH4+ ). En mode d’ionisation négative, on observe majoritairement les ions déprotonés.