VERS UNE THEORIE SUBSTANTIVE DE L’IMPARTITION DE LA R&D
L’objectif de la recherche est de théoriser le phénomène étudié, d’en générer une théorie substantive, théorie qui sera fortement subjective et contextualisée mais qui pourra par la suite être testée afin d’en observer sa possible généralisation (cette théorie n’a pas pour vocation d’être généralisable mais de fournir une compréhension d’un phénomène spécifique). Créer une théorie ou fournir une explication scientifique consiste à raconter l’histoire du phénomène étudié, celle-ci doit être cohérente, complète et elle doit faire sens (Becker, 2002). La théorie générée doit être un ensemble de propositions décrivant des relations entre deux ou plusieurs éléments dans un schéma conceptuel (Denzin, 1970). Cette théorie, inscrite dans le cadre d’une méthodologie de recherche particulière, doit être enracinée (c’est-à-dire issue) des données obtenues empiriquement, ainsi la théorie sera « valide, pertinente et testable » (Glaser et Strauss, 1967). Avec cette façon de procéder, la récolte des données, l’analyse et la littérature sont interreliées. La littérature a été mobilisée en tant qu’outil analytique mais elle ne doit pas être considérée comme n’ayant joué qu’un rôle secondaire. En effet, la richesse des résultats de cette recherche et de la théorie enracinée repose notamment sur la confrontation régulière des données empiriques et des apports théoriques. Ce dernier chapitre tend à mettre cela en valeur. Les théories existantes ont amené des concepts et des arguments pertinents sur la problématique de l’impartition de la R&D, cependant de nombreuses critiques peuvent être soulevées, la principale étant la simplification à l’excès du phénomène et la non-prise en compte des particularités de l’activité considérée (section 1). Le thème abordé dans cette étude de l’impartition de la R&D s’inscrit dans le cadre général des frontières de l’entreprise. La littérature reposant sur cette problématique est abondante et variée. Ces courants, mobilisés régulièrement au long de ce travail, reposent sur des points de vues et des logiques explicatives différentes (1.). Cette diversité a suscité de nombreux débats notamment concernant la place de chaque logique par rapport aux autres : sont-elles en opposition ? ou au contraire sont-elles complémentaires ? (2.)
Dans cette logique, s’inscrivent la théorie des coûts de transaction et la théorie de l’agence. L’argument central est que la firme cherche à minimiser ses coûts (de production, de transaction, d’agence…). En effet, l’essence de la TCT est de limiter les coûts de transaction. Ainsi, Coase (1937), le premier, rompt avec la tradition néoclassique en expliquant que des coûts apparaissent lors du recours au marché et que la firme s’impose comme forme organisationnelle pour permettre l’économie de ces coûts. Williamson (1975) explique que les coûts de transaction sont issus de la négociation, du suivi et du contrôle lié à tout contrat. Ainsi, le marché est préféré jusqu’à ce que la somme des coûts de transaction et de production devienne trop élevée. Dans la même logique, la TA qui considère la firme comme un nœud de contrats et s’intéresse aux relations qu’entretient la firme, que ce soit avec ses salariés, ses actionnaires, les établissements financiers, ses clients mais aussi ses fournisseurs. Son but est de déterminer le contrat idéal minimisant les coûts d’agence engendrés par la mise en place de systèmes de contrôle et d’incitation. Trois éléments sont pris en compte dans les coûts d’agence (Jensen et Meckling, 1976) : les dépenses de surveillance et d’incitation, les coûts d’obligation et la perte résiduelle. Au centre de cette logique d’efficience, on retrouve le concept d’opportunisme. Pour la TCT, l’opportunisme, ainsi que la rationalité limitée, sont les deux dimensions comportementales à la base de l’existence des coûts de transaction. Ainsi pour Williamson (1986), l’opportunisme correspond à la remise en cause de l’honnêteté des agents lors de transactions, ces derniers n’hésitant pas à mentir, voler et tricher. L’intérêt personnel est toujours recherché (parfois même par la ruse). Plus tard, dans les années 1990, Williamson ajoutera que les comportements opportunistes prévisibles limitent les dimensions de confiance réciproque et incitent donc à internaliser. Cette notion se retrouve également dans la TA, puisque les problèmes d’agence pouvant apparaître sont liés à deux phénomènes majeurs que sont la sélection adverse (un des contractants peut cacher à l’autre certains éléments de sa situation réelle au moment de la signature du contrat) et le risque moral (l’un des contractants peut abuser de l’autre pendant la phase de réalisation du contrat) (Arrow, 1985 ; Milano, 2002).