Théorie de la croissance endogène
Un des principaux objectifs de la macro-économie est d’expliquer l’origine de la croissance et les différences entre pays. Plusieurs théories ont donc été proposées pour tenter de révéler les mécanismes fondamentaux de la croissance. Les théories néo-classiques ont été les premières à proposer des explications satisfaisantes. La théorie proposée par Robert Solow dans les années 1950 a ainsi connu une grande diffusion. Parmi les théories plus récentes celles de la croissance endogène occupent sans doute une place centrale. Ces théories ont été pensées afin de corriger les imperfections de la théorie de Solow (I). Elles accordent notamment une importance fondamentale à la connaissance (II) et ont de nombreuses implications en matière de politique économique, notamment de R&D (III).La théorie de Solow, bien que complétée, n’est pas une explication satisfaisante de certains faits.
La première théorie de Solow n’arrive pas à expliquer la croissance à long terme.
Robert Solow a proposé sa première théorie de la croissance dans les années 1950 afin d’en révéler les mécanismes dissimulés. Il s’appuie pour cela sur deux équations, une équation de production et une équation de dynamique du capital par tête. La production ne dépend que de deux facteurs, le travail et le capital. La dynamique du capital par tête est fonction des investissements (considérés comme égaux à l’épargne), de la croissance de la population et de la dépréciation du capital. La combinaison de ces deux équations mène à l’état d’équilibre du capital par tête.
avec Y la production, K le capital, L le travail, k le capital par tête, y la production par tête, f une fonction croissante concave, s le taux d’épargne, n la croissance de la population, δ la dépréciation du capital, ces trois derniers facteurs étant supposés exogènes.
L’état d’équilibre est donné pour , ce qu’un graphique permet d’aisément visualiser.
On aboutit finalement à un taux de croissance du capital par tête nul à long terme. La croissance n’est positive que lors de la période transitoire d’accumulation du capital. Hors empiriquement on observe une croissance à long terme du capital par tête. Qui plus est on devrait observer une convergence des différents pays, ce qui ne semble pas être le cas puisque les écarts de richesse ont eu tendance à rester stable, voire à se creuser.
Solow propose ensuite un deuxième modèle qui prend en compte le progrès technique
Afin de surmonter ces contradictions, Robert Solow affine son modèle en introduisant le progrès technique au moyen d’un facteur d’efficacité du travail A. La fonction de production devient alors . On suppose de plus que A crois avec un taux g constant et exogène. Les nouvelles variables intensives à considérer est cette fois . Les équations deviennent alors :
On procède donc de même qu’auparavant avec au lieu de . La différence fondamentale que désormais tend vers une valeur d’équilibre, mais comme cette variable intensive incorpore à son dénominateur A qui est croissant, le capital par tête est croissant à long terme. Solow peut donc ainsi expliquer l’origine de la croissance à long terme observée. Néanmoins, ce modèle s’avère encore une fois imparfait. D’une part le progrès technique, « manne tombée du ciel », y est donné comme exogène, ce qui est peu satisfaisant, d’autre part il n’explique pas les différences technologiques entre pays.
Les théories de la croissance endogène cherchent à corriger les imperfections du modèle de Solow en s’intéressant à l’économie de la connaissance.
L’économie des idées est à la base des théories de la croissance endogène
Les théories de Solow n’étaient donc pas totalement satisfaisantes. Qui plus est on était passé d’une économie du capital à une économie des idées. Il convenait donc d’en prendre compte dans les modèles. C’est dans cette perspective qu’interviennent les théories de la croissance endogène. Elles accordent une place fondamentale à l’économie de la connaissance et tentent d’endogénéiser le progrès technique.
Romer a notamment formalisée cette économie des idées dans le schéma suivant :
Les idées peuvent en effet être partagées, au contraire des autres biens. Deux personnes peuvent utiliser en même temps la même idée, ce qui n’est pas le cas d’une fourchette. Cela implique des rendements croissants
S’il existe des coûts fixes pour le développement d’une idée, les coûts marginaux sont ensuite très faibles. La plupart des industries de hautes technologies (pharmacie, logiciels…) répondent à ce critère. Enfin, les rendements d’échelle croissants impliquent une concurrence imparfaite. Le découvreur d’une idée a souvent une rente de situation (brevet) qui tend à la création d’un monopole (Microsoft). Ce nouveau modèle économique va entraîner une formalisation innovante, tant micro que macro-économique, de la croissance.
Une microfondation associée à une modélisation macroéconomique permettent d’expliquer la croissance.
Le progrès technique n’est plus désormais considéré comme une manne tombée du ciel. Les entreprises vont l’endogénéiser et vont fournir un effort de R&D en anticipant les profits qui peuvent en résulter. Ces profits sont notamment liés à la protection de la propriété intellectuelle. Si le progrès se traduit par un bien social et de la croissance, il est donc nécessaire de lui associer un bien privé pour que celui-ci puisse avoir lieu.
Romer proposait ainsi des fondements microéconomiques reposant sur la distinction entre trois secteurs :
– Le secteur de la recherche : il produit des idées protégées par des brevets.
– Le secteur des biens intermédiaires : il transforme les idées en moyens de production à l’aide de brevets. Il est régi par des rendements d’échelle croissants et une concurrence imparfaite.
– Le secteur des biens de consommation : il obéit à des rendements d’échelle constants et à une concurrence parfaite.
En modélisant ces trois secteurs avec des équations idoines, on finit par retrouver les modèles macroéconomiques avancés.
A un niveau plus macroéconomique, le progrès va également reposer sur l’état des connaissances antérieures et sur l’émulation entre chercheurs. Newton déjà affirmait que «s’[il avait] pu voir plus loin que les autres, c’est parce qu’[il était assis] sur les épaules de géants ».
Romer avançait ainsi le modèle suivant de croissance du progrès technique A, avec LA la main d’œuvre consacrée à la recherche :
Soit
Avec une constante, un facteur d’émulation entre chercheurs et qui traduit l’influence du stock d’idées sur la découverte de nouvelles idées. En supposant que la population croît à un taux n, à l’équilibre le capital par tête croit à la même vitesse que la connaissance, la main d’œuvre scientifique à la même vitesse que la population totale. On a donc un taux de croissance g égal à :
On le voit, deux facteurs permettent donc d’augmenter la croissance. Un proche de 1, signe de nouvelles idées plus faciles à trouver lorsque le stock est plus important (il est plus facile d’inventer l’avion lorsque l’on a déjà théorisé la gravité) et un élevé (les chercheurs coopèrent et se répartissent le travail plutôt que d’être en concurrence) permettent de l’optimiser. Ce modèle assez simple dévoile toute l’importance d’une politique de recherche.Les théories de la croissance endogène permettent donc une microfondation des modèles de croissance néoclassiques fondés sur le progrès techniques. La clef de ces modèles réside sans doute dans les rendements d’échelle croissants de l’économie de l’innovation et l’incitation à la R&D que constitue l’espoir d’un monopole technologique.
Le progrès technique endogène révèle enfin un équilibre entre privé et public.
Arrow, dès 1962, avait théorisé la dimension partiellement endogène du progrès technique. Par sa théorie relative aux effets d’apprentissage (« Learning by doing »), il souligne que l’expérience permet d’augmenter de la productivité du capital au cours du temps. Idée qu’il formalise sous la forme suivante :
A = ZKq
Le niveau de productivité (A) est fonction du stock de capital (K) et d’un facteur autonome (Z), où q est le coefficient d’apprentissage résultant des dépenses publiques en éducation.
Ainsi, il apparaît que par l’émergence d’effets externes, « le rendement social du capital (est) supérieur à son rendement privé[1] ». Prenons l’exemple d’une plateforme d’échange (Deezer, YouTube etc.). L’arrivée sur ce réseau d’un utilisateur supplémentaire accroit l’utilisé de ce réseau pour l’ensemble des utilisateurs. Ainsi, cette connexion supplémentaire génère une externalité positive, et le bénéfice social qu’elle produit est supérieur au seul bénéfice privé de l’utilisateur n+1.
Se pose dès lors la question de la production de ces externalités.
Dans le cadre de Romer, la recherche est plus le fruit de la production des entreprises. L’Etat doit ici encore intervenir pour garantir la propriété intellectuelle, incitation à rechercher, tout en permettant la diffusion des nouvelles idées, pour ne pas laisser une trop grande et nuisible rente de monopoles aux entreprises innovantes. Le progrès technique implique la recherche d’un nécessaire et difficile équilibre entre rendement privé et rendement public.
Endogénéiser le progrès technique et envisager la production d’externalités positives a des implications théoriques et politiques. Quelles sont-elles ?
Si l’Etat doit intervenir pour financer les externalités de recherche…
La prise en compte de la connaissance, du capital humain et de la R&D s’appuie sur une hypothèse nouvelle : les rendements d’échelles sont désormais croissants. Dès lors, deux grands types de modèles peuvent être distingués en fonction du statut qu’ils confèrent aux connaissances : présentées comme un produit dérivé pour Arrow, elles sont le résultat d’une production pour Romer.
Que l’accent soit mis sur la R&D (Romer) ou sur le système éducatif (Lucas), ces théories posent une question essentielle : celle de l’intervention publique dans la production des externalités.
Tout d’abord, Il convient de souligner que l’importance des dépenses publiques dans la théorie de la croissance endogène n’est pas du même ordre que celle de l’intervention étatique keynésienne. Alors que selon ce dernier, les dépenses publiques sont facteurs de croissance par un effet de demande, l’intervention de l’Etat repose ici sur un effet d’offre. Le développement d’infrastructures publiques, ou plus généralement les dépenses publiques, sont ici considérées comme un facteur de production bloquant la contraction des rendements marginaux du capital.
… Se pose cependant la question de son degré d’intervention.
Si les théoriciens de la croissance endogène ont placé l’éducation au cœur de leurs modèles (notamment Lucas), cela ne répond pas pour autant à la question du degré d’intervention de l’Etat. Par exemple, certains économistes ont mis en avant le caractère distortionnaire de l’éducation publique, soulignant que des subventions à l’éducation privée généraient davantage de croissance (Zhang, 1996).
La question du niveau optimal d’intervention publique soulève le problème du coût de la production des externalités. En effet, le financement par la fiscalité des dépenses publiques réduit la rentabilité de l’investissement privé. L’intervention de l’Etat est donc susceptible de faire naitre une distorsion, entrainant une baisse du niveau de la production. En ce sens, il convient pour l’Etat de procéder à un arbitrage entre le fruit de son intervention et l’effet d’éviction inhérent à cette même intervention.
Ces distorsions dues à la fiscalité ont été formalisées par Barro et Sala-i-Martin qui mettent en avant le caractère non linéaire du lien entre taux d’imposition et taux de croissance. Ils expliquent ainsi qu’il existe un taux d’imposition optimal, au delà duquel la contribution de l’Etat à la PGF est décroissante.
[1] Politique Economique, A. Bénassy-Quéré ; Benoit Coeuré ; Pierre Jacquet ; Jean Pisani-Ferry, Ouvertures Economiques, 2004.