Enfance et construction définition des personnages
Le récit de l’enfance, chez les trois auteurs étudiés, révèle l’évolution sociale des narratrices qui se détermine par des représentations politiques et sociales. Leur construction occupe une place décisive quant au rôle distribué aux personnages féminins, dans une injonction à être soi. Dans le roman de Virginie Despentes, les personnages des deux sœurs se développent par opposition et dans une perpétuelle confrontation. Leurs qualités sont nécessairement opposées et restent figées. Le rôle de chacune est désigné dès l’enfance par le personnage du père et doit demeurer définitif. Claudine et Pauline ne peuvent se reconnaître que par celui-ci. Dans Amour, Prozac et autres curiosités de Lucía Etxebarria, les trois personnages féminins se distinguent chacun dans un domaine nécessairement différent des autres. La position d’aînée du personnage d’Ana entraîne sa fonction de ménagère et la maintient dans un rôle de femme au foyer, et se caractérise par sa douceur et sa raison. Rosa, par ses facultés intellectuelles, s’établie dans la différence et dans la solitude et répond à la condition de génie qui lui a été imposée, n’entretenant alors que son rôle social. Quant à Cristina, elle se distingue par sa rébellion et son opposition systématique aux attentes familiales. Elle cherche à se former comme une « femme moderne », libérée de toute contrainte. Enfin, les personnages féminins de Maïssa Bey refusent le rôle fixé dès l’enfance. Ils doivent fuir pour nier les attributions imposées, et se concevoir de façon différente. Dans le roman de Virginie Despentes, les personnages des deux sœurs évoluent dans l’opposition. Cette opposition est déterminée avant la naissance par les personnages du père et de la mère, en choisissant un prénom chacun et donc une fille chacun : « « Alors on décide chacun d’une. » Ainsi fut fait, le ventre déchiré en deux » (p.40). Ce choix entraîne une césure entre les personnages de Claudine et de Pauline qui se trouvent déjà séparés, et révèlent par la suite une construction fondée sur la confrontation et sur une perpétuelle rivalité, instaurée par les parents. Les deux sœurs ne peuvent adopter un comportement similaire mais doivent au contraire se distinguer l’une de l’autre. C’est le père qui distribue les rôles des jumelles. Il donne à Claudine le rôle de la petite fille bête et peu dégourdie, tandis que Pauline se voit confiée celui de l’enfant intelligent et beau : « « Elles se ressemblent bien un peu mais elles ne se ressemblent pas du tout. » […] Elle était celle des deux qui n’était pas très futée, franchement, pas bien dégourdie. » (p.36) Claudine se fige dans ce rôle, d’autant plus que celui-ci est reconnu par la mère : « […] « c’est pas de ta faute, mon ange…
récupère les tares… mon pauvre ange, toi, t’y peux rien » » (p.36). Claudine enfant se caractérise finalement par une médiocrité intellectuelle dans laquelle elle demeure figée tandis que Pauline reste l’enfant qui se distingue par ses facultés. A l’adolescence, l’absence du père permet au personnage de Claudine de se découvrir des qualités physiques. Pour rester dans l’opposition, Claudine arbore élégance et coquetterie tandis que Pauline entretient une image terne et rejette la séduction : « Même exercice que d’habitude : être à l’autre bout de Claudine, en face, différente. » (p.86) Si Claudine recherche charme et amabilité, Pauline développe agressivité et violence. Elle s’identifie ainsi au personnage du père. Les caractéristiques paternelles – fondées sur la violence masculine – et le rôle du père en font le personnage principal de la famille. Le personnage de Pauline se veut à son image et par sa condition « d’enfant choisi » elle s’octroie les mêmes attributions. Cependant, celui-ci refuse d’accorder les mêmes prérogatives à Pauline, puisqu’elles ne peuvent s’assigner qu’à son seul personnage : Une fille ne peut s’apparenter à l’image du père, elle doit se définir selon les qualités qu’il décide pour elle. A son retour, la distinction physique de Claudine et la nouvelle agressivité de Pauline font l’objet d’une nouvelle définition des personnages féminins. Claudine se transforme en la fille belle et agréable et Pauline, son contraire. Ces deux nouvelles identités sont acceptées par le père qui les reconnaît et les jumelles se figent donc dans ce dernier rôle.