DU DOCUMENT EXPLORER LES FRANGES
lms consacrés à la ville de Pittsburgh, Stan Brakhage engage une correspondance avec six personnalités (journalistes, critiques, cinéastes, poètes) qui aura pour objet le rôle du document dans l’art. Les courriers qu’il adresse à ces personnes sont assez longs, personnels et dévoilent un véritable work in progress qui intéresse tout autant l’état d’une question que la façon dont l’artiste entend mener sa propre production cinématographique. Il ne s’agit pas de tendre vers une défi nition ou une synthétisation de cette question du document, mais bien plutôt de formuler des hypothèses, des suggestions, qui trou- vent une application quasi-immédiate dans le projet de la « Trilogie de Pittsburgh re une formulation théorique dont il est possible de mesurer l’implication pratique de façon presque simultanée. Par ailleurs, le geste de l’explicitation auquel se livre Brakhage est important car il est courant de situer le travail de l’artiste du côté de ce qui échappe à première vue à l’entreprise documen- taire. Brakhage est ordinairement compris comme le cinéaste d’une nouvelle vision, hautement subjective, qui confi ne au rêve, à l’hallucination. Si le documentaire est présent dans son travail, il l’est d’abord au sens où l’artiste le formule, ici en 1954 : « : à travers mon art, je suis devenu une espèce d’explorateur du subconscient, des émotions éprouvées par ceux que j’ai pu connaître. »
Le tournant manifestement engagé au début des années 1970 permet à l’artiste de prendre une autre direction, ainsi qu’il le raconte, contrainte par les images qu’il : c’est le sens le plus littéral du mot ‘autopsie’ et c’est exactement l’impulsion qui m’a poussé à endurer cette épouvantable série de prises de vue. […] Au début, je n’arrêtais pas de dire que je pensais entremêler ces images de la morgue avec des chaînes de montagnes, des lunes, des soleils, de la neige, des nuages, etc. – l’esprit cherchant à s’échapper vers n’importe quel symbole imaginable… comme cela m’était arrivé pendant que je fi lmais […]Après un coup d’œil aux rushes […] j’ai su qu’il serait impossible (en tout cas pour moi en ce moment) d’interrompre CETTE parade des morts avec Quoi Que Ce Soit, toute fuite serait un blasphème, même la fuite dans l’Art telle que je l’avais connue jusqu’ici. Ce rassemblement (plutôt cilement être oubliées. La crudité des plans de Brakhage ainsi que leur rigueur transforment la morgue en un lieu d’exercice extrême pour le regard. Exercice qui rejoue celui de l’autopsie. Le geste fi lmique trouve ainsi un écho direct dans celui pratiqué à la morgue. En un sens, Brakhage continue, par d’autres voies, la descente dans les profondeurs et la mise à nu qu’il s’était données pour objectif de mener depuis ses premiers fi lms.
exif, de mise en abyme, Th e Act of Seeing commente à mi-parcours tout le travail de l’artiste, en en passant par la matérialité du corps. Dans les deux cas, l’autopsie d’une part et l’enregistrement puis le montage d’images en mouvement, il s’agit bien d’une exploration des profondeurs.Dans son récit épistolaire, Brakhage lui-même est « » par ses propres images qui l’empêchent de réaliser le fi lm qu’il avait en tête. L’acte qu’il fi lme, les corps qu’enregistre sa caméra, l’exhibition de la mort en somme possèdent une puissance telle qu’ils l’emportent sur le projet que l’artiste avait pu préalablement formuler. Pas de chaînes de montagnes, pas de soleil ni de neige dans le montage fiplastiques, qui lui permettent d’insérer dans une séquence donnée des éléments provenant de régimes visuels parfois très diff érents. Ici, pas d’échappatoire, comme il l’indique. Or, c’est bien cette qualité, ou disons ce sentiment d’être proprement aspiré par les images, qui fait plonger le fi lm dans ce qu’il nomme le Document : n me donne le sentiment d’échapper à cette propagande rhétorique et catégorique associée au ‘Vieux Doc’ des écoles de cinéma…et de sauver le ‘ment’ pour une autre fi n – espérant ainsi (re)mettre en avant le sens du documentum latin : l’exemple… sur lequel se fonde aujourd’hui la ‘leçon’ du ‘documentaire’). Mes dernières prises de vue m’ont amené à rassembler des images (plutôt que de les monter) qui se réfèrent plus à leur Source (par exemple les policiers, les couloirs de l’hôpital, etc, comme dans ‘Eyes’ ou dans ‘Deus ex’) qu’elles ne la réfl