Les droits de citoyen
Une consécration imparfaite
Parce que la liberté individuelle de chaque citoyen constituera, dans une société que l’on entend transformer, un postulat sur lequel se greffera l’activité judiciaire, il devient alors indispensable d’en assurer sa protection, pour que son exercice soit pleinement effectif. Inscrite dans un mouvement de critique des cadres organisaient la société de l’Ancien Régime (741), cette affirmation n’est pas sans conséquence dans le rapport qui sera mis en place entre le citoyen et la société. Celui qui est poursuivi pour avoir enfreint la norme, ne peut voir sa liberté réduite à néant. Puisqu’il faut la protéger lorsque le citoyen est confronté au pouvoir judiciaire, il est donc logique que se structurent des garanties lui permettant, non seulement de pouvoir assurer sa défense, mais aussi de ne plus être regardé comme un coupable en devenir. Une volonté existe de rompre radicalement avec ces institutions judiciaires en décalage avec les nouvelles aspirations. Dorénavant, il faut assurer un équilibre entre le juge et l’accusé, et promouvoir réellement les droits de la défense qui assureront effectivement le citoyen soupçonné. Mais la réalité demeure prégnante, et l’esquisse d’une armature procédurale différente n’aboutit pas à organiser une véritable réflexion sur la démonstration de la culpabilité, d’autant plus que le silence persiste sur une éventuelle transformation du système probatoire, pierre angulaire d’une présomption de culpabilité. L’ambition d’élaborer une autre justice criminelle, où l’innocence de l’accusé bénéficierait d’une protection efficace, reste sans véritable transcription légale. Les discussions entreprises reflètent une démarche ambiguë, voire contradictoire, où la réflexion du juge sur la culpabilité ne sera pas véritablement exposée. La reconnaissance de droits fondamentaux pour l’accusé consiste plus à assurer une limite aux mesures coercitives préalable à toute reconnaissance de culpabilité, qu’à admettre que 741 « L’absolutisme de droit divin se trouvait remis en cause au profit de la souveraineté populaire exprimé dans le consentement général », CASTAN (Nicole), la réforme pénale en France à la fin de l’ancien régime : Tentatives et échecs, la léopoldina , Criminalita e giustizia criminale nelle rifome del 700 europeo, Vol 11, le politiche criminali in Italia e negli stati europei nel XVII secolo, 1990, p.316. son innocence soit tenue pour vraie jusqu’à ce qu’il soit définitivement reconnu comme l’auteur du fait criminel. Malgré l’exposé de nouveaux principes judiciaires qui marquent une évolution certaine des droits de l’accusé (Section 1), l’adoption d’une Déclaration des Droits sera sans conséquence sur l’émergence de la présomption d’innocence (Section 2). Section 1 Le rapport de Nicolas BERGASSE Section 2 Le vote de l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen
Le rapport de Nicolas BERGASSE
Au sein de l’Assemblée Constituante se dégage rapidement un consensus sur la nécessité d’opérer des changements importants en matière de justice. C’est ainsi, que le 17 août 1789, un rapport du Comité de Constitution expose ainsi les premiers principes d’une nouvelle organisation judiciaire (Paragraphe 1), tout en dégageant également les axes d’une autre justice criminelle (Paragraphe 2). Paragraphe 1. L’exposé des nouveaux principes judiciaires Indépendamment des différentes tendances politiques qui colorent ce haut lieu de la représentation nationale, se dégage un certain consensus sur la nécessité de répondre aux critiques aigues faites à la justice et au système judiciaire. Il convient de la modifier (A), notamment en essayant de dégager des principes constants et permanents qui s’appliquent tant au procès pénal qu’au procès civil (B). A. Une volonté de changement L’émergence, en cette fin de l’Ancien Régime, d’une opinion publique (742) ne fait que révéler les premières fêlures d’un système qui voyait un Roi justicier interférer dans le cours de la justice en général, et de la justice criminelle en particulier. Les Cahiers de doléances constituent, quant à eux, les premières épures de mesures à adopter pour répondre aux attentes des français. Toutefois, au sein d’une Assemblée « née d’une initiative révolutionnaire des députés du Tiers »(743), il ne fut pas immédiatement envisagé de se consacrer à l’élaboration d’une autre justice criminelle correspondant aux attentes des français. Les débats engagés à l’Assemblée Constituante ne suivaient pas véritablement d’ordre rigoureux sur l’examen des grandes questions engendrées par une société en mutation, et sur lesquelles on souhaitait immédiatement intervenir. En réalité, « celle-ci les évoque tour à tour en donnant la parole aux rapporteurs des différents comités créés par son ordre »(744). Il ne semblait pas y avoir de projet effectifs sur une autre justice criminelle (745), même si la volonté de réformer était partagée par nombre de députés. La Constituante, sans instaurer d’ordre du jour précis ou de programmes de discussion générale sur ce sujet, tisse néanmoins un canevas où, quittant le terrain des idées, elle élabore les premières règles d’une autre justice pénale qui palliera les abus les plus décriés, constitutifs des atteintes à la liberté et à la sûreté individuelle de chaque citoyen. La construction d’une nouvelle justice criminelle, discutée de manière discursive et sans véritable plan de discussion préalablement esquissé lors des débats de l’Assemblée, sera marquée par cette absence d’adéquation entre la solennité des principes évoqués et leur traduction immédiate dans les textes élaborés, discutés, puis votés. Ceci explique donc que le système de la preuve légale, source d’erreurs judiciaires et d’abus tant décriés parce qu’ils bafouaient un droit à l’innocence, n’ait aucunement suscité de véritables discussions de la part des Constituants. Certes, si une certaine révolution du système judiciaire sera entreprise grâce aux travaux préalablement effectués par les Comités de la Constituante (746), il faut toutefois constater que le statut procédural de l’accusé, dans le procès pénal, demeure sans grande consistance. Au nom du Comité de Constitution, Nicolas BERGASSE (747) présente à la tribune de l’Assemblée le 17 août 1789, »un rapport dans lequel se trouvent exposées les grandes lignes de la nouvelle organisation judiciaire »(748). Proche des philosophes et des idées des Lumières, mais aussi parce qu’il est « représentatif de cette fraction du barreau révolutionnaire »(749), le député du Tiers-état de LYON, avec une réelle confiance, énonce dans son préambule qu’a pu être »découvert le seul ordre judiciaire qu’il faille adopter, parce qu’il résulte immédiatement des vrais principes de la société, et des premières lois de la morale et de la nature »(750). Une telle certitude dans le ton de ce discours fait ici ressortir que la justice de l’Ancien Régime ne pouvait perdurer, car elle n’assurait aucunement la protection de ceux qui étaient accusés. Ce que le rapporteur expose constitue les prémices d’une nouvelle organisation judiciaire différente, dans sa finalité, de celle que l’on connaissait. Nicolas BERGASSE conclut qu’il ne s’agit pas de réformer, mais de « proposer un ordre de choses absolument différent de celui qui est établi depuis si longtemps au milieu de nous » (751), parce qu’il est impossible de pouvoir « améliorer simplement »(752) ce système. Dès lors, « les circonstances présentes demandent un autre ordre judiciaire que celui que nous avons si longtemps respecté »(753). Se trouve ici esquissée la notion de pouvoir judiciaire ( 754) qui, parce qu’il a pour objet la seule application de la loi (755), constitue le fondement des garanties indispensables au respect et à la protection de la liberté individuelle (756).
Les nouveaux principes évoqués par cette réforme judiciaire Indépendamment de la difficulté que peut représenter l’élaboration d’une nouvelle justice, le rapport, élaboré en peu de temps par le premier Comité de Constitution, ce qui tend à démontrer l’existence d’un accord entre les différentes tendances de l’Assemblée, expose les principes qui permettront au pouvoir judiciaire d’assurer l’effectivité de cette liberté tant évoquée (758). En préambule, Nicolas BERGASSE énonce que l’organisation de ce pouvoir ne peut avoir « d’autre volonté que celle de la nation »(759). Le peuple doit en être le seul détenteur. Dans ces conditions, le principe est alors posé que les magistrats, dont il faudra en limiter le nombre mais aussi interdire leur regroupement en compagnie importantes et influentes (760), ne pourront plus détenir, soit à titre personnel, soit par des représentants les charges de judicature (761). Il convient de ne plus recréer ce qui pouvait être source de tyrannies et d’injustices (762). Le souci qui occupe ainsi le rapporteur exprime cette nécessité de protéger le pouvoir judiciaire des influences ou des pressions qui viendraient de ces compagnies. Dans ces conditions, il serait souhaitable que la désignation des postes vacants (763) ne dépende plus du seul choix de l’exécutif (764), ce qui aurait pour avantage d’éviter des nominations fâcheuses (765). Mais surtout, les juges nommés n’auront d’autre possibilité que de dire la loi (766). Manifestement, ces propositions marquent une certaine volonté d’encadrer tant la désignation du juge que son pouvoir juridictionnel. Elles traduisent surtout la crise de confiance dans ces magistrats de l’Ancien régime, qui, par leurs décisions, avaient fait naître ce sentiment que la justice se montrait par trop partiale ou par trop inhumaine.