Un milieu judiciaire qui évoque des idées nouvelles
Devoirs du juge, Droits de l’accusé
Cette volonté de réformer mais aussi d’apporter des modifications c penseurs ou de philosophes. Bien au contraire cette d é vont évoquer ces idées nouvelles développées dans ce petit ouvrage (A). Celles-ci seront amplifiées par les mémoires judiciaires des avocats ou les concours littéraires organisés par les Académies de province (B). A) Les premiers signes d’un débat : le discours judiciaire. L’idéal classique du XVIIème siècle, fondé non seulement sur l’obéissance à Dieu et à ses représentants sur terre, mais aussi sur une soumission aux institutions issues et façonnées par cette règle, se trouve progressivement remis en question dans cette France du XVIIIème siècle, par la diffusion de savoirs et d’idées nouvelles. Cette mutation progressive des esprits pénètre également une partie du milieu judiciaire ouvert à l’esprit et aux idées du siècle des Lumières. Ayant un regard plus analytique, et par voie de conséquence plus critique sur les conditions dans lesquelles la relation entre les hommes et le pouvoir monarchique doit se définir puis s’inscrire dans l’espace social (450), ce monde du droit engage une réflexion sur une autre justice criminelle (451). Concomitamment, et parce que les scandales judiciaires (452) « véhiculent une méfiance croissante de la population contre l’ordre judiciaire, la complexité et l’arbitraire de la procédure, les préjugés, la partialité, la complexité et la négligence des magistrats »(453), ces quelques représentants de la haute magistrature (454) n’hésitent pas à critiquer l’Ordonnance criminelle de 1670, en en contestant les aspects les plus contraires à la raison. L’absence d’une loi pénale générale qui s’applique à toute, la rigueur d’une procédure inquisitoire, non contradictoire et secrète, la recherche impérieuse d’une preuve pleine et entière pour condamner, constitue les aspects les plus critiques du système répressif. Il est indispensable d’y apporter des changements Cette volonté de réformer existe réellement et s’exprime par le besoin de donner des garanties procédurales réelles à l’accusé, et qui constituent une véritable reconnaissance des droits de la défense mais aussi provoque l’émergence d’un droit à une innocence supposée (455). Joseph Michel Antoine SERVAN (456), avocat général au Parlement de GRENOBLE, exprime cette ovembre 1766, lors de la rentrée solennelle de ce Parlement. Très nouvelle façon de regarder la justice dans un discours prononcé le 26 n représentatif de cette jeune génération de magistrats du parquet (457) qui « n’entendent pas être en reste de modernité »(458), ce dernier considère comme indispensable de faire évoluer un système pénal toujours régi par l’Ordonnance criminelle de 1670 (459), continuellement admiré par une doctrine très influente (460), mais dont la stricte application minore en réalité les droits de l’accusé puisqu’elle paralyse la démarche personnelle du juge en l’enfermant dans des règles par trop rigides mais aussi étouffe le droit à l’innocence en laissant le juge se libérer de ces règles par la recherche d’une certitude morale. Sur un ton offensif, et souhaitant s’adresser à un auditoire plus élargi que les seuls membres de ce Parlement (461), il s’écrie, « O mes concitoyens ! Écoutez & rassurez-vous ; en exposant nos devoirs, je vais vous instruire de vos ressources : apprenez le peu que vous avez à craindre, par les obligations que nous avons à remplir. Mais en réclamant pour vous la justice la plus sacrée, j’ose à mon tour vous la demander moi-même ; & l’unique retour que j’espère & qui puisse me flatter, c’est de vous entendre avouer que je chéris des devoirs qui m’obligent à vous chérir vous-mêmes »(462). Ce texte ne peut qu’enflammer les représentants les plus connus des Lumières (463), ce qui confère de fait à Joseph Michel Antoine SERVAN une notoriété certaine qui, au demeurant, « proclame son adhésion à l’esprit de réforme »(464). Un tel discours met en évidence toute l’influence positive d’une philosophie qui « a jeté quelques regards sur les lois criminelles. Ses progrès sont lents, mais infaillibles : semblables à ces aiguilles qui marquent le temps, on ne l’aperçoit point marcher, mais on la voit arriver »(465). Pour ce magistrat des Lumières, la raison doit l’emporter sur la tradition car la pérennisation de règles anciennes nullement remises en cause, a engendré une procédure qui, par certains aspects, ne sont pas favorables à l’accusé. A partir des devoirs qui s’imposent au juge dans la recherche de la vérité judiciaire, ce dernier dénonce les travers d’une procédure criminelle mais expose également quelques idées nouvelles susceptibles d’en améliorer son fonctionnement.
Un droit à l’innocence évoqué
Les scandales judiciaires qui émeuvent l’opinion publique font ressortir l’idée A) Juristes et praticiens en quête d’un autre système probatoire. emps (547) et a Consacrant l’idée qu’un changement s’a l’ de la culpabilité, ces auteurs considèrent, implicitement, que le système de la preuve légale conduit à favoriser la culpabilité supposée. Pour autant, ils ne cherchent pas à consacrer d’autre système probatoire. Dénonçant les excès de celui qu’ils connaissent, ils esquissent cependant un cadre qui préfigure un droit à l’innocence. P L que les juges se trouvent enfermés dans un système probatoire par trop rigide qui conduit à des erreurs judiciaires. Se dessine alors, chez quelques professionnels du droit, un mouvement qui pense autrement la preuve pénale (A) mais sans que soit posé le principe procédural de la présomption d’innocence (B). La diffusion de ces idées nouvelles ne fléchit nullement, en cette fin du XVIIIème siècle, la position des criminalistes. Pour ces derniers, il ne peut être question de modifier une Ordonnance criminelle qui a franchi ldont la finalité demeure le moyen de maintenir une société qui se voudrait pérenne (548). La publication de nombre de traités en cette seconde partie du XVIIIème siècle (549) entend confirmer cette confiance en un texte mais aussi un système qui pourtant n’a pas manqué pas, s’agissant des droits de l’accusé, de montrer toutes ses limites. Pour autant, ils paraissent isolés et même décriées (550) car le débat est publiquement engagé sur les conditions qui permettraient de changer cette justice et qu’il intéresse également une population qui se questionnait sur la justice criminelle car « une campagne iolente agitait, en effet, le pays depuis 1760, en faveur d’une réorganisation de la v justice »(551). La crise de confiance dans les institutions judiciaires (552) était réelle, et le besoin d’une autre forme de justice criminelle, certain.La conjonction de toutes ces causes fait alors dire à Jacques Pierre BRISSOT de WARVILLE, dans le discours préliminaire de son ouvrage, la Bibliothèque philosophique du législateur, du politique, du jurisconsulte, publié entre 1782 et 1785 que »rien de plus important que cette réforme car le mal est urgent, la plaie est ancienne, elle est profonde et jette tous les jours de nouvelles racines »(553). Pour lui, comme pour un autre juriste des Lumières, Pierre Louis de LACRETELLE (554), il faut penser autrement la justice criminelle, mais surtout la réformer (555), le constat est en effet sans appel (556). Le débat lancé par MONTESQIEU, VOLTAIRE et les philosophes des Lumières, puis amplifié par le livre de Cesare BECCARIA, se veut être l’écho d’un sentiment qui s’est progressivement construit sur la nécessité de réformer la justice criminelle. Plutôt que de permettre la découverte puis la condamnation du criminel, les lois « semblent un piège continuel, tendu à la simplicité et à l’innocence »