L’abeille, insecte soci

L’abeille, insecte soci

L’abeille domestique, Apis mellifera L., est un insecte eusocial de l’ordre des Hyménoptères, vivant en groupes structurés en castes. L’espèce est organisée en colonies de plusieurs milliers d’individus (entre 10 000 et 50 000) (Winston, 1987) autour d’une seule reine (seule femelle fécondée de la colonie, capable d’une reproduction sexuée). La reine, lorsqu’elle pond des œufs fécondés, produit des femelles qui se différencieront en ouvrières ou en d’autres reines selon le régime alimentaire qui sera apporté aux larves. La reine peut également pondre des œufs non fécondés, qui par parthénogénèse donneront des mâles, ou faux-bourdons (figure 1). Toutefois et en cas de perte de la reine, les ouvrières sont également capables de produire des faux-bourdons par parthénogénèse, mais cette issue est sans avenir pour la colonie (alors dite bourdonneuse) qui périclitera (Winston, 1987). Pendant le stade larvaire, la future reine est élevée par les ouvrières qui la nourrissent uniquement de gelée royale jusqu’à operculation de l’alvéole, à l’inverse les futures ouvrières ne sont supplémentées en gelée royale que les 3 premiers jours puis reçoivent ensuite du pollen et du nectar ou du miel. Au sein de la colonie, les ouvrières sont organisées selon un polyéthisme d’âge : une division du travail en fonction de leur âge (figure 2). Les ouvrières les plus jeunes nettoient les alvéoles précédemment occupées par leurs consœurs (3-4 premiers jours), puis elles deviennent nourrices des larves et de la reine (5-10 jours), productrices de cire pour operculer les alvéoles, responsables de l’hygiène et/ou/puis gardienne (11-22 jours) et enfin deviennent pour certaines gardiennes (10-15%) gardiennes et ensuite, ou directement, butineuses jusqu’à leur mort, qui survient environ 25 à 30 jours après l’émergence pour les abeilles nées entre avril et septembre (Winston, 1987). Les abeilles « d’hiver », nées des dernières pontes en septembre – octobre, possèdent une physiologie différente qui leur permet de survivre tout l’hiver pour maintenir la ruche à une température permettant la survie de la reine, pour la nourrir, puis afin de s’occuper du nouveau couvain au retour des beaux jours (Winston, 1987).

Importance des pollinisateurs

En qualité d’insecte pollinisateur domestique, A. mellifera a pris une place considérable dans l’agriculture mondiale, au point que le seul continent où elle n’a pas été importée est l’Antarctique (Winston, 1987). Elle est utilisée par l’homme non seulement pour produire de la cire ou du miel depuis le Néolithique (Roffet-Salque et al., 2015), mais aussi pour sa grande capacité de pollinisation de diverses plantes à fleurs (sous-ordre : Angiospermes) (Aston and Bucknall, 2009) comme pollinisatrice de cultures. La demande en services de pollinisation pour l’agriculture est en augmentation constante (Aizen and Harder, 2009). Notamment aux Etats-Unis, une partie des apiculteurs n’utilise plus les abeilles pour produire du miel mais surtout pour le service de pollinisation qu’elles offrent, transhumant leurs ruches d’une région de monoculture à une autre, et ce à travers tout le continent Nord-Américain (Morse and Calderone, 2000). La pollinisation des plantes entomophiles par les insectes est reconnue comme cruciale (Gallai et al., 2009), et est donc récemment devenue un sujet d’étude important visant à évaluer l’apport de ces derniers à la production de fruits, légumes, noix et enfin graines pour la propagation ou la création de cultures et le maintien de variétés florales. On peut citer Williams, 1994, qui estimait que 84% des 264 cultures les plus importantes en Europe dépendent au moins jusqu’à un certain point de la pollinisation animale (presque exclusivement des insectes) pour leurs productions. Klein et al., 2007 ont calculé à partir de données de 200 pays que les pollinisateurs étaient absolument essentiels pour 13 des 107 plus importantes cultures mondiales en fonction de leur type. En outre, 30 autres de ces cultures étaient très dépendantes des pollinisateurs, 27 modérément dépendantes, 21 légèrement dépendantes, 7 peu dépendantes, et enfin de dépendance aux pollinisateur inconnue pour 9 d’entre elles. En effet, certaines des cultures les plus répandues n’ont effectivement aucun besoin de pollinisation animale, pouvant être reproduites de façon végétative ou être anémogames (se dit de plantes dont la pollinisation s’effectue par le vent, par exemple les céréales, riz et maïs). Cependant, la fraction de cultures dépendantes de la pollinisation dans l’agriculture augmente beaucoup plus rapidement que n’augmente le nombre de colonies domestiques (45% d’augmentation de la population d’abeilles domestiques contre 300% d’augmentation  de la fraction de cultures dépendantes de la pollinisation dans les 50 dernières années (Aizen and Harder, 2009; Breeze et al., 2014)). L’abeille domestique, Apis mellifera, n’est pas forcément le meilleur pollinisateur pour toutes les cultures, et n’est pas non plus le seul insecte indispensable à une pollinisation efficace (Garibaldi et al., 2016); cependant dans un contexte de déclins sévères des insectes pollinisateurs sauvages (Goulson et al., 2015), l’abeille domestique, avec sa répartition globale et sa domesticité, pourrait devenir encore plus précieuse par sa capacité de pollinisateur généraliste et son potentiel de remplacement d’autres espèces locales en diminution. Cependant, il a été démontré qu’une plus grande richesse en diversité des pollinisateurs permettait d’améliorer le rendement des cultures de petites exploitations ; pour les grandes cultures, une richesse très élevée est indispensable à un bon rendement (Garibaldi et al., 2016).

Les affaiblissements et pertes de colonies d’abeilles domestiques

Comme un certain nombre d’autres organismes, les pollinisateurs subissent, depuis le dernier demi-siècle notamment, un fort déclin caractérisé par une réduction à la fois de leur répartition et de leur nombre inter et intra-espèce (Goulson et al., 2015). Une très grande partie des cultures exploitées par l’homme pour se nourrir dépend donc de la pollinisation par les insectes. Smith et al., 2015 ont modélisé l’impact d’une perte totale des pollinisateurs (abeille domestique comprise) à l’échelle mondiale sur la nutrition humaine, et conclu que les réserves globales en fruits seraient diminuées de 22,9%, en légumes de 16,3% et en graines et fruits à coques de 22,1% ; entraînant de façon directe la mort de 1,42 million de personnes par an, sans compter les morts indirectes dues à l’aggravation de conditions préexistantes. Ce scénario, très alarmiste, devait surtout servir à souligner l’importance de la pollinisation animale dans le monde et pour l’alimentation humaine en général. L’abeille domestique elle-même subit de fortes pertes. Ces pertes sont toutefois plus faciles à déterminer, en termes de colonies, grâce à leur importance socio-économique, et à une plus grande facilité de suivi dans le temps, puisque ces colonies sont relativement  pérennes. Des suivis dans le temps ont été effectués par un grand nombre de pays (Laurent et al., 2015a; Lee et al., 2015). Cependant, cette importance socio-économique peut entrainer des biais dans l’évaluation du nombre de colonies au cours du temps. En effet, le nombre de colonies est en général fortement lié au nombre d’apiculteurs. En Europe et aux Etats-Unis, où de forts déclins en nombre de colonies ont été enregistrés (baisse de 16% du nombre de colonies entre 1985 et 2005), il a été rapporté un déclin concomitant du nombre d’apiculteurs (baisse de 31% du nombre d’apiculteurs entre 1985 et 2005 (S. G. Potts et al., 2010b). Les apiculteurs peuvent néanmoins eux même compenser les pertes en augmentant leur nombre de colonies. Il faut également noter que le nombre de colonies d’Apis mellifera dans le monde est en augmentation, avec une augmentation de 45% dans le monde entre 1960 et 2010 ; mais une diminution de 25% en Europe et de 57% aux Etats-Unis (VanEngelsdorp and Meixner, 2010). Nonobstant ces causes socio-économiques, un phénomène de fortes mortalités d’abeilles et de pertes de colonies existe bel et bien. En Europe sur l’hiver 2012-2013, il a été rapporté de forts pourcentages (jusqu’à 29,3% au Royaume Uni par exemple) de pertes de colonies par les apiculteurs en sortie d’hivernage (Laurent et al., 2015), supérieurs aux taux naturels attendus de 10 à 15%, mais également en 2013-2014 des pertes élevées en saison (10,5% en France) (Laurent et al., 2015) (figure 3). Il est d’autant plus important d’étudier ces pertes puisque les autres pollinisateurs sont en déclin -et que peu de colonies d’Apis mellifera sauvages ou « férales » subsistent encore dans la nature (Goulson et al., 2015; S. Potts et al., 2010; S. G. Potts et al., 2010a). Un phénomène de disparition des abeilles de leur ruche a été décrit en 2007 aux EtatsUnis (Oldroyd, 2007), puis rapporté également par des apiculteurs Européens (Dainat et al., 2012c). Décrit sous les termes de Colony Collapse Disorder (CCD), il se caractérise principalement par un nombre extrêmement réduit d’ouvrières adultes dans la ruche, malgré la présence de la reine, des réserves de nourriture et du couvain. N’ayant plus une population suffisante pour subvenir à ses propres besoins, la ruche finira par mourir ou sera éliminée par l’apiculteur. Lors de l’hiver 2007, des pertes atteignant de 50 à 90% des colonies de différents ruchers ont été enregistrées (Cox-foster et al., 2007), voire jusqu’à 100% des colonies pour certains  (Oldroyd, 2007). De telles disparitions avaient déjà été observées dans l’histoire (i.e. en 950 puis en 1443 en Irlande, en 1903 ou en 1995 aux USA) mais sans être aussi extrêmes que la disparition totale de colonies observées début 2007 (Oldroyd, 2007). Des pertes de colonies correspondant aux syndromes de CCD sont régulièrement observées depuis cette date. Le CCD, ainsi que les fortes pertes hivernales ou en saison observées en Europe, ne peuvent être expliquées par une seule cause spécifique, et serait le résultat d’un stress multifactoriel agissant sur les colonies (Goulson et al., 2015; Oldroyd, 2007; S. G. Potts et al., 2010a).

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