La méthode du champ de phase
Description des critères de choix de l’outil numérique Notre objectif est de proposer ici une modélisation de la cinétique de stratification d’un bain de corium oxyde-métal dans une approche « fine » du comportement du bain de corium. Le modèle ainsi proposé devra alors permettre de décrire la répartition des espèces dans un système multi-composants et multiphasique que représente le bain de corium oxyde-métal. Le choix de cet outil est fait selon 3 critères : • garantir la cohérence avec les données thermodynamiques associées au système U-O-Zr-acier contenues dans les bases thermodynamiques ; • être « compatible » avec une approche CFD de la modélisation de la convection naturelle d’un bain de corium en fond de cuve ; • être suffisamment flexible pour permettre un « paramétrage » de la modélisation à partir de propriétés physiques du système U-O-Zr-acier disponibles ou qui pourront faire l’objet de mesures expérimentales. Tout d’abord, notre approche de modélisation de la cinétique de ségrégation des phases liquides doit s’appuyer sur les bases de données thermodynamiques construites selon la méthode CALPHAD (CALculation of PHAse Diagram) [48]. Ces bases de données font l’objet d’une consolidation expérimentale continue [49–51] et servent par exemple au calcul de l’équilibre thermodynamique isotherme de systèmes multi-composants. L’équilibre thermodynamique d’un système multi-composants est donné à température, pression et composition fixés, par la minimisation de l’énergie libre de Gibbs G du système : min (G) = min X α n αG α M T, P, {y α i }i∈C ! (2.1) Gα M est l’énergie libre de Gibbs molaire de la phase α contenue dans les bases thermodynamiques, n α la quantité de la phase α et y α i la fraction molaire du constituant i dans la phase α. Enfin, T et P désignent respectivement la température (en kelvin) et la pression (en pascal) du système. L’équilibre thermodynamique associé est obtenu par un code de minimisation d’énergie de Gibbs. Dans le cadre de cette thèse, nous utilisons le minimiseur d’énergie de Gibbs Open 35 Chapitre 2. La méthode du champ de phase : un outil numérique pour la modélisation de la cinétique de stratification CALPHAD pour les calculs d’équilibres thermodynamiques (voir [52] pour une description de ce minimiseur et de l’algorithme de minimisation associé). Cette information thermodynamique Gα M T, P, {y α i }i∈C est également utilisée pour décrire l’évolution des microstructures comme discuté dans [48], lorsqu’elle est couplée avec une base de données cinétiques de diffusion. Dans le cadre de la cinétique des transformations de phases, on peut faire référence au code DICTRA [53] qui met en jeu un formalisme de diffusion pour les systèmes multi-composants. Ces données CALPHAD permettent de fournir une description thermodynamique pertinente des systèmes multi-composants puisque celle-ci est construite à partir de données expérimentales obtenues sur de tels systèmes. Par ailleurs, pour le système physico-chimique qui nous intéresse ici, à savoir le système U-O-Zr-acier, l’équilibre thermodynamique décrit, dans la lacune de miscibilité, l’état stationnaire de stratification du bain en termes de répartitions des phases liquides oxyde et métallique tel que discuté dans le chapitre 1. Un couplage robuste de notre outil de modélisation avec ces bases de données thermodynamiques constitue donc un pré-requis dans notre choix de l’outil numérique. Cela permettra notamment de valider notre approche de modélisation en condition isotherme par le biais de comparaison entre les résultats obtenus avec notre outil numérique et des calculs d’équilibre thermochimique réalisés avec un code de minimisation de l’énergie de Gibbs.
La méthode du champ de phase
Description générale
La méthode du champ de phase a connu un développement important au cours des 2-3 décennies passées pour décrire l’évolution de microstructures complexes lors de transformations de phases (croissance de précipités dans une matrice, décomposition spinodale, croissance dendritique, transition de phase solide-solide, dynamique des dislocations, …) [54– 58]. Macroscopiquement, les interfaces séparant des phases α et β aux propriétés différentes apparaissent raides puisqu’elles sont d’épaisseur nulle : les propriétés physiques φ de chacune des phases présentent ainsi une discontinuité à cette interface comme représenté schématiquement à la Figure 2.1a. A l’échelle microscopique, l’interface entre deux domaines peut présenter un caractère diffus. C’est notamment le cas des interfaces liquide-liquide qui apparaissent comme une zone de transition entre deux phases liquides α et β d’épaisseur non nulle (quelques rangées atomiques). L’interface peut être dotée d’un caractère diffus à cette échelle et les propriétés physiques du système varient ainsi de manière continue d’une phase à l’autre (Figure 2.1b). C’est dans ce cadre qu’intervient la méthode du champ de phase puisque cette dernière s’appuie sur une description diffuse de l’interface en introduisant un ensemble de variables φ (~r,t), couramment appelé paramètre d’ordre, pour décrire l’état local du système. Cette approche fait ainsi apparaître une nouvelle échelle de longueur : l’épaisseur de l’interface diffuse entre deux domaines α et β. La localisation de l’interface est alors implicite dans la méthode du champ de phase puisque les valeurs prises par les paramètres d’ordre suffisent à déterminer sa position précise. Le concept d’interface diffuse a été initialement introduit par Van der Waals dans son étude de la transition liquide-vapeur [59]. La notion de paramètre d’ordre a été introduite par Landau dans sa théorie phénoménologie des transitions de phase ordre-désordre qui se produisent à une température critique Tc. Pour caractériser cette transition entre un état ordonné (à basse température) et une phase désordonné (à haute température) Landau a introduit une variable supplémentaire, le paramètre d’ordre, valant 0 dans la phase désordonnée et prenant une valeur non nulle dans la phase ordonnée.