Chronologie éruptive du volcanisme effusif de l’île de la Martinique
La géochronologie est un outil important pour la compréhension de l’évolution temporelle des systèmes volcaniques. L’obtention d’âges précis permet de mieux contraindre (1) les fluctuations spatio-temporelles des sites éruptifs, (2) les variations de la géochimie des laves, et (3) les changements de surface (érosion, effondrements de flancs…). En effet, des études comparables menées récemment en Guadeloupe (Samper et al., 2007 ; 2008) et à Montserrat (Harford et al., 2002) ont démontré l’intérêt d’acquérir une base de données de haute qualité dans le but d’estimer quantitativement les processus volcaniques et magmatiques mis en jeu dans l’histoire d’un complexe. D’autre part, la compréhension des processus magmatiques qui ont lieu au sein d’un arc volcanique nécessite une bonne connaissance de la répartition spatiale des centres éruptifs et de leurs dynamismes de mise en place. Les études précédentes en Martinique, initiées des années 70 à la fin des années 80, ont proposé une évolution de l’activité volcanique en Martinique depuis l’Oligocène, avec une migration des sites éruptifs d’est en ouest et du sud au nord au sein de 8 complexes principaux (Bellon et al., 1974 ; Andreieff et al., 1976 ; Nagle et al., 1976 ; Bouysse et al., 1979 ; Briden et al., 1979 ; Andreieff et al, 1988). Ces études, associant des travaux de géochronologie, géochimie, pétrographie et cartographie, ont été utilisées pour réaliser la carte géologique de l’île (Westercamp et al., 1989). Cependant, les principaux âges effectués par les mêmes auteurs sur les autres îles de l’arc, se sont révélés être relativement mal contraints (± 7 à 40 % d’incertitude), voire controversés (Carlut et al., 2000 ; Harford et al., 2002 ; Samper et al., 2008). Dans l’ensemble, les nouveaux âges K-Ar obtenus au cours de cette étude montrent également des divergences avec les âges publiés. Au cours de ce chapitre, nous allons résumer et discuter les résultats obtenus au cours de cette thèse et leurs implications Chronologie éruptive du volcanisme effusif de l’île de la Chronologie éruptive du volcanisme effusif de l’île de la Martinique, rôle du contexte géodynamique 200 concernant l’évolution volcanique de la Martinique et des Petites Antilles. Il est en effet important de connaître avec précision l’histoire géologique de l’île pour comprendre l’activité de la Montagne Pelée et sa relation avec les massifs antérieurs, mais également pour avoir des informations dur l’évolution du volcanisme des Petites Antilles.
Apports de la géochronologie K-Ar Cassignol-Gillot
Ages disponibles avant cette étude
Lors de la publication de la carte géologique (Westercamp et al., 1989), une compilation des 88 âges disponibles sur les laves de la Martinique a été réalisée principalement à partir des datations effectuées par Bellon et al. (1974), Andreieff et al. (1976), Nagle et al. (1976) et Briden et al. (1979). La plupart des analyses a été réalisée par la méthode K-Ar sur roche totale, et dans de rares cas sur biotite ou hornblende. Disposant de bonnes corrélations biostratigraphiques sur les dépôts sédimentaires, les auteurs de cette base de données (Andreieff et al., 1988 ; Westercamp et al., 1989) ont pu les caler dans le temps de façon relativement satisfaisante, les échelles biostratigraphiques en vigueur à l’époque de ces études étant principalement basées sur les reconnaissances de fossiles dans les Caraïbes (Berggren et al., 1985). Ils ont donc rejeté certains âges radiométriques en désaccord avec la stratigraphie. D’autres âges ayant été obtenus sur des blocs de conglomérats, de lahars ou de brèches pyroclastiques n’ont pas été considérés comme valables par les auteurs. De même, les mesures K-Ar utilisées lors de ces travaux ne permettant pas d’obtenir des âges fiables sur des échantillons contenant moins de 10% d’argon radiogénique ; les âges concernés ont, logiquement, alors été considérés comme non représentatifs de l’âge de mise en place (Westercamp et al., 1989). Au total, ce sont 28 âges sur 88 qui n’ont pas été pris en compte par Westercamp et al. (1989) pout établir la chronologie du volcanisme Martiniquais, soit 32 % des analyses. D’autre part, on peut remarquer que les âges retenus sont donnés avec des incertitudes élevées, de 7 à 40% (incertitudes à 2 sigma).
Nouvelles données K-Ar
Fiabilité des mesures
Des âges K-Ar ont été récemment obtenus selon la méthode Cassignol-Gillot sur des laves du Morne Jacob et du Complexe du Carbet (Samper et al., 2008). Les âges obtenus sur les laves de ce dernier complexe sont systématiquement plus jeunes que ceux proposés par Westercamp et al. (1989) avec des incertitudes plus faibles (1.18 à 1.61 %). Il en est de même pour les âges présentés dans cette étude. En effet, nous obtenons des incertitudes comprises entre 1.43 et 3.17 % pour l’ensemble de nos échantillons (annexe II). Seuls trois échantillons sur les 56 datés lors de ce travail, présentent des incertitudes élevées. Un âge obtenu sur plagioclases (Morne Jacob, 06MT32, 4.74 ± 0.28 Ma) a une incertitude de 8.65 %, avec seulement 0.017 % de K et 1.76 % d’40Ar*. Les échantillons 06MT30 (Morne Jacob, K = 0.120 %, 40Ar* = 1.5 %, 3.01 ± 0.19 Ma) et 06MT18 (Mont Conil, K = 0.888 %, 40Ar* = 0.8 %, 346 ± 42 ka) ont des incertitudes de 9 et 18 % respectivement, pouvant s’expliquer par la présence de plans de circulation de fluides en surface de l’affleurement et donc d’une contamination atmosphérique importante. Cependant,ces incertitudes restent toutefois admissibles si l’on tient compte des faibles teneurs en K et en 40Ar* de ces échantillons. Toutefois, l’homogénéité des âges et des incertitudes pour les laves d’un même complexe atteste de la qualité de l’échantillonnage, des préparations et des mesures. En effet, les âges obtenus sur les laves d’un même édifice ou d’une même unité lithologique ne présentent pas d’écarts importants et restent, dans la limite des incertitudes cohérentes. De même en ce qui concerne les incertitudes, on l’a vu, elles restent comprises entre 1.43 et 3.17 % quel que soit l’âge de l’échantillon (annexe II).
Comparaison des âges obtenus sur phases minérales différentes
Pour certains échantillons (06MT66, 06MT69, 06MT65, 06MT32, 06MT14, 06MT36 et 07MT121), nous avons daté à la fois la mésostase et les feldspaths (annexe II). Pour l’échantillon 06MT66, de la carrière La Source, au Marin, nous avons préparé, dans la fraction 125 – 250 μm, la mésostase avec une densité de 2.56 – 2.58, et les phénocristaux de plagioclases avec une densité comprise entre 2.63 et 2.70. La pâte a une teneur en potassium de 1.166 %, une teneur en argon radiogénique de 82 %, et donne un âge moyen de 24.82 ± 0.35 Ma. Les plagioclases, qui ont 0.212 % de potassium, ont un âge de 24.86 ± 0.35 Ma avec une teneur en 40Ar* de 73 %. Les âges obtenus sur les deux phases minérales sont en accord, ce qui nous assure de ne pas avoir ni perte d’argon ou de potassium (malgré le pourcentage de potassium variant d’un facteur 5), ni gain d’argon, et donnent un âge moyen de 24.84 ± 0.35 Ma représentatif de l’âge de mise en place de la coulée (Chapitre III et annexe II). Pour l’échantillon 06MT69, du sommet de la Montagne du Vauclin, nous avons préparé la mésostase dans la fraction 125 – 250 μm avec une densité entre 2.93 et 2.95. Puis nous avons séparé les microlithes de la mésostase en broyant une faction de celle-ci entre 63 et 125 μm, et en récupérant les plagioclases dans une gamme de densité comprise entre 2.70 et 2.79. Nous obtenons un âge de 10.86 ± 0.17 Ma (K = 0.710 %, 40Ar* = 30.3 %) sur mésostase, confirmé à 2 sigma par l’âge sur microlithes (10.46 ± 0.15 Ma). Il faut toutefois noter que la datation sur microlithes a été effectuée sur un spectromètre de masse à champ magnétique (MMS Hadès, voir annexe I), alors que celle sur mésostase a été réalisée sur un spectromètre de masse quadrupolaire (QMS Ulysse, annexe I) et doit être dupliquée sur MMS. Néanmoins, nous pouvons conclure que l’âge moyen de 10.64 ± 0.16 Ma (Chapitre IV et annexe II) est représentatif de l’âge de la Montagne du Vauclin. Cette adéquation entre datation sur mésostase et sur feldspaths a été aussi vérifiée pour l’échantillon du Morne Gommier (06MT65) daté à 8.44 ± 0.12 Ma sur mésostase (K = 2.073 % ; 40Ar* = 69.5 %), et à 8.42 ± 0.12 Ma sur phénocristaux de plagioclases (K = 0.124 % ; 40Ar* = 24 %). De même, pour l’échantillon 06MT32 (Morne Jacob, près du Lorrain), la mésostase (K = 0.435 %, 40Ar* = 28 %) donne un âge de 5.14 ± 0.07 Ma, et les plagioclases (K = 0.017 %, 40Ar* = 1.7 %) un âge de 4.74 ± 0.28 Ma. Ces deux analyses sont dupliquées seulement à 2 sigma, mais il faut remarquer que nous sommes dans les limites de détection du K et de l’40Ar* pour la mesure sur plagioclases. L’âge moyen calculé sur deux analyses de pâte et sur une analyse de plagioclases donnant 5.13 ± 0.08 Ma (Chapitre V et annexe II) est ainsi considéré comme l’âge de l’éruption.