Chronique ordinaire, chronique singulière
d’une intégration
Une population singulière
L’outil est ordinaire, dans la continuité de la vie de la classe, mais la population qui se l’approprie est fortement masculine − du moins, les hommes en parlent-ils plus − avec un profil d’activité militante que nous devons souligner. La majorité d’entre eux anime au moins un site web ; de plus, le fait de publier sur sa pratique est fortement lié au fait d’animer un site web et d’être affilié à un collectif de professionnels (graphiques 6.11 et 6.16). Enfin, peu de répondants ne sont ni affiliés, ni publiants, ni animateurs de site web (graphique 6.17). Autrement dit, l’engagement minimum affiché par les répondants est d’avoir des responsabilités sur le web, ensuite, parmi eux, nous rencontrons une bonne part d’enseignants publiant et/ou appartenant à des associations. L’outil est ordinaire donc, mais la population d’enseignants qui se l’octroie n’est pas représentative de la population enseignante « ordinaire », du point de vue du sexe des répondants, du fait que seules peu d’écoles possèdent un site web et que la très grande majorité des enseignants ne publient pas sur leurs pratiques de classe, avec ou sans les technologies de l’information et de la communication. Nombreux sont les auteurs qui ont constaté que les femmes sont moins nombreuses à utiliser l’informatique : J.-P. Dufoyer (1988), P. Breton (1990), M. Linard (1996), L. Demailly (1998), entre autres. G. Tessier (2003), quant à elle, s’intéresse à l’engagement des professeurs du second degré vis-à-vis de l’informatique. Elle note que les hommes apparaissent « infiniment moins frileux que leurs collègues féminines, quant à leur capacité d’autoformation, et quant à leur utilisation personnelle de l’ordinateur ; c’est un objet plus usuel pour eux que pour leurs collègues femmes. » La population de répondants à l’enquête est donc un public militant, actif sur le web, plutôt masculine, avec de réelles capacités d’autoformation, tant du point de vue de la maîtrise des technologies de l’information et de la communication que de leur emploi en classe.
Des continuités
Du point de vue des périodes clés telles que nous les avons définies, nous pouvons observer plusieurs permanences dans les discours de praticiens. Depuis vingt ans, « l’outil informatique » a des qualités pédagogiques qui lui sont reconnues : propreté des travaux, autocorrection immédiate, accroissement des capacités de production, « patience » de la machine, motivation des élèves… Nous avons pu le voir dans le chapitre 7. Depuis que l’ordinateur est apparu à l’école primaire, un certain nombre de traits favorables lui sont volontiers attribués. Ceux-ci sont directement décrits en fonction des techniques informatiques utilisées. Par exemple, dans le cas du langage de programmation Logo, des arguments constructivistes sont facilement mis en avant. Dans le cas de la publication assistée par ordinateur, c’est la propreté des pages produites qui est annoncée comme motivante et gratifiante pour l’élève. Dans le cas de l’utilisation de cédéroms éducatifs, leur interactivité et leurs qualités autocorrectives sont appréciées. Dans le cas d’internet, l’échelle mondiale de diffusion permet juste d’opérer un retour qualitatif sur les travaux scolaires présentés sur le web… Il ne s’agit donc pas d’une appréciation globale des avantages ou des spécificités des technologies de l’information et de la communication en classe, plutôt d’une appréciation favorable pour chacune des technologies utilisées, et ce, depuis qu’elles le sont. Le thème T2. Apprendre l’outil aussi est récurrent à travers les cinq périodes clés (graphique 7.11). L’enjeu est ici, autant de mettre en œuvre des séquences d’apprentissages de certaines compétences informatiques, que de mettre en place des activités spécifiques à la présence de l’ordinateur en classe telles que la pratique de langage de programmation, la manipulation de robots, l’utilisation de périphériques de capture d’images… Enfin, d’un point de vue pédagogique, les activités disciplinaires sont présentes dans toutes les périodes. L’ordinateur est utilisé en classe pour instrumenter les disciplines scolaires. Parmi les applications informatiques, le traitement de texte est la plus pratiquée par les enseignants en classe, avec les élèves, et ceci pour toutes les périodes. Ce progiciel renvoie à une des missions fondamentales de l’école : apprendre à lire et à écrire. C’est donc l’application informatique dans laquelle se reconnaissent le plus les enseignants
Des évolutions
Un certain nombre d’évolutions sont sensibles dans les discours de praticiens. Elles sont en partie dépendantes des progrès techniques des ordinateurs et des réseaux. Quand il n’y avait que le langage Logo, les élèves apprenaient à programmer en Logo. Depuis que l’on « fabrique » facilement des images, du son et du texte sur ordinateur, les élèves produisent des hyper documents et des cédéroms multimédias. Depuis la généralisation de l’internet dans la société, les classes se lancent de plus en plus sur le réseau (graphique 7.04 et 7.05). Une double évolution des thèmes sur les périodes clés est à noter. La montée du thème T4. L’outil ordinaire (graphiques 7.07 et 7.12) et la baisse du thème T1. Performance de l’outil (graphique 7.11) dans les articles de praticiens, le deuxième segment du corpus. Avec la pénétration de plus en plus grande des TIC dans la société, et vingt ans de débats, de mesures institutionnelles, de témoignages de pratiques avec l’ordinateur en classe, l’outil est devenu familier, ordinaire, ses performances « épatent » moins, elles ne servent plus d’arguments pour une introduction des TIC en classe. La faible présence du thème T1. Performance de l’outil dans les pages web, le troisième segment du corpus − entièrement sur la vague web, à partir de 1997 −, confirme la chute de l’intérêt pour les qualités propres de l’ordinateur. Il devient intéressant, parce qu’il permet d’aller voir les autres… sur le réseau. Les thèmes du pôle P2. L’élève évoluent aussi. D’abord centrés sur l’apprenant (T7) sur les trois premières périodes 1 , l’intérêt monte sur les vagues « multimédia » et « web » pour l’élève en contact avec le monde extérieur (T8) et avec le groupe classe (T6) pour des activités en groupe, collaboratives (graphique 7.08).
Des ruptures
Dans le questionnaire d’enquête, deux questions s’intéressaient aux objectifs perçus d’une utilisation des TIC en classe d’une part, et aux pratiques de classe intégrant les TIC (graphiques 6.28 et 6.29). À la question des objectifs, 46 % des répondants déclarent l’ordinateur banal et 12 % d’entre eux décrivent des compétences inhérentes à sa présence en classe ou à l’école. À la question des pratiques, 46 % des répondants décrivent des activités où l’ordinateur n’apporte rien de plus, il est banal, et 63 % d’entre eux décrivent des activités qui lui sont spécifiques. À cette même question, 45 % des répondants évoquent des activités où les élèves utilisent l’internet (T8). Il y a donc une rupture entre ce que les enseignants répondants reconnaissent comme objectifs à une intégration des TIC en classe, avec des pratiques déclarées qui reprennent très largement ce qu’elles apportent de nouveau à l’école. Ces pratiques liées à la présence d’ordinateurs, connectés ou non, ne génèrent pas, dans les discours des praticiens de nouveaux types d’objectifs éducatifs spécifiquement dédiés à l’apprentissage de l’outil.